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La docilité de l’individu lambda face au poids de la télévision

lundi 1er mars 2010

Près de 50 ans après l’étude initiale, une équipe scientifique a reproduit l’expérience de Milgram sur l’autorité [1], en l’appliquant à un jeu télévisé fictif.

Cette expérience reprend les conditions de celle de Milgram, public en plus (pour que les candidats soient convaincus de la véracité du jeu). Une présentatrice connue remplace le scientifique en tant qu’élément d’autorité légitime qui donne les ordres aux candidats et leur intime les injonctions de mener à bien leur tâche lorsqu’ils y rechignent.

Concrètement, les candidats doivent poser des questions à choix multiple à une personne (un acteur qu’on leur a présenté comme un candidat au même titre qu’eux) qu’ils croient attachée dans un caisson fermé. A chaque mauvaise réponse, ils doivent lui envoyer des décharges électriques croissantes en intensité (ces décharges s’échelonnant entre 20 et 460 volts).

Le public présent pense également qu’il s’agit d’un nouveau jeu télévisé et, comme dans ce type d’émissions, est conduit par un chauffeur de salle. L’ensemble de l’équipe de la télévision sait qu’elle participe à une expérience.
Les candidats, quant à eux, pensent prendre part à un test pour mettre un nouveau jeu télévisé au point et il leur a été clairement expliqué qu’ils ne recevraient aucune rémunération.

Tous les candidats ont accepté de jouer leur rôle a priori. Ensuite, malgré les cris de douleur et demandes de plus en plus pressantes de l’acteur pour arrêter (au fur et à mesure de la progression de l’intensité des décharges), 81% sont allés jusqu’au bout de l’expérience. 30% n’ont contesté leur tâche à aucun moment.

Les candidats sont des personnes normales, ils n’ont pas de particularismes qui les distinguent de la population moyenne. La plupart ont vécu cette expérience comme un combat entre leurs valeurs et les ordres donnés. La plupart ont développé des stratégies conscientes (protestations verbales, tricherie pour aider le candidat) ou inconscientes (rires nerveux, mise sur mode automatique pour nier leur victime) pour se libérer des tensions consécutives à ce combat intérieur. Stratégies d’évitement qui prouvent qu’ils étaient conscients des conséquences de leurs actes et de la souffrance de la victime. Et qui maintiennent l’individu en obéissance en allégeant ses tensions et en le déculpabilisant.
L’expérience a également été menée en l’absence de l’élément d’autorité (la présentatrice télé) ; dans ces conditions, 75% des candidats ont arrêté le jeu.

Ces résultats témoignent de l’autorité de la télévision sur le comportement des individus et révèlent même une docilité accrue des candidats par rapport à l’expérience de Milgram (dans laquelle, 62% étaient allés jusqu’au bout). La télévision a acquis un pouvoir considérable. Le scientifique qui a dirigé l’expérience en 2009, Jean-Léon Beauvois [2] explique cette obéissance accrue par le fait que la participation à un spectacle télévisé est vécu comme une sorte d’écrasement de l’individu. Rappelons que, dans cette expérience, les candidats n’encouraient aucun risque de sanction ou répression et qu’ils ne subissaient aucune autorité hiérarchique (comme ça aurait été le cas dans le cadre d’une relation employeur-employé).

« La zone extrême », documentaire de Christophe Nick (2009), sera diffusé le 17 mars sur France 2.

Le documentaire est téléchargeable sur le site de La Deux :
http://www.rtbf.be/ladeux/revoir/detail_intermedias-special-en-direct?uid=44730313668&idshedule=441979febbd4c1af379dc370754419e9

Un livre reprend la description et les résultats de l’expérience : « L’expérience extrême », Christophe Nick et Michel Eltchaninoff, Editions Don Quichotte, 2010.

Equipe scientifique : Jean-Léon Beauvois, chercheur en psychologie sociale, en collaboration avec Dominique Oberlé, Didier Courbet et Yves Jeanneret.

Notes

[1Cette étude avait pour objet d’évaluer le degré d’obéissance d’un individu face à une autorité qu’il considère légitime et d’analyser les processus de soumission à cette autorité. Les participants, sous les ordres d’un scientifique, devaient appliquer des décharges électriques à une personne, en croyant prendre part à un test d’une nouvelle méthode d’apprentissage (relative à l’efficacité de la punition sur l’apprentissage

[2Chercheur en psychologie sociale

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