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Témoignage

Le premier combat

mercredi 31 mars 2010, par Cerise Van Aa

Le premier combat, c’est de se lever tous les matins. Pour « y » aller. Ce sont les trajets. Toujours trop courts les matins, toujours trop longs les soirs.

Le premier combat, c’est de se lever tous les matins. C’est de savoir que cette journée, exactement comme toutes les autres depuis que ce calvaire a commencé, va se dérouler sur le même mode : des travaux demandés qui ne seront jamais assez bien et qui finiront dans une poubelle, des tâches irréalisables ou en totale contradiction avec d’autres travaux en cours, et des reproches, des pluies de reproches ; des reproches qu’on fasse bien ou mal.

Des reproches sans qu’on puisse se défendre « à la loyale » parce qu’ici aucune loyauté : un pur monde de mépris, de coups bas et de critiques. Toujours dans votre sens. Facile, vous ne pouvez pas répondre.

Et si vous répondez ? La porte. « Ah, personne ne vous interdit de la prendre ». Si ! Vous, et c’est justement cela qui dérange. Le fait que la « poussière » que vous êtes et dont on aimerait tellement qu’elle s’en aille (« Ce serait mieux pour tout le monde ») ou qu’elle se cache (« vous ne voulez pas de ce charmant cagibi sous l’escalier ? ») ne prenne pas la porte. Parce qu’elle sait que si elle ferme cette porte, elle y laissera le peu de dignité qui lui reste et les principes auxquels elle croit. Et qu’elle sait que ne tarderont pas à fuser les « Bon débarras » et les « Enfin, elle en a mis du temps ») de ceux qui l’auront poussée à la franchir.

Le deuxième combat, c’est la peur au ventre, la « grosse boule » qui s’installe, la peur de savoir que, comme les autres jours, on va rester dans l’attente de s’en manger plein la figure et qu’on ne va pouvoir faire qu’une chose : rester là et encaisser.

Oui, qu’une seule chose parce que tout ce qui devait être fait pour faire connaître cette pourriture de situation a déjà été fait.

Tout.

Le service de prévention (s’il existe), les supérieurs, les travailleurs sociaux, les collègues et soutiens, les syndicats. Tout et tout le monde, pour peu que « radio couloir » fasse son office, est au courant et hormis de belles âmes amicales, courageuses ou pensant que rien n’est plus important que de combattre des injustices, la majorité se tait. Souvent par peur, parfois par traitrise, toujours par lâcheté.

In fine il ne reste deux personnes dans le bureau que vous occupez seul : la peur et vous.

Et tous les cafés compatissants, les clins d’oeil en passant, les petits mots envoyés aussi précieux soient-ils - et comprenez-bien que chacun de ces indices de solidarité resteront à jamais gravés dans le cœur de la personne qui souffre de cette situation - n’empêcheront pas cette boule de s’installer en vous. Rien ne l’empêchera. Parce que même le jour où, d’une façon ou d’une autre, et les situations peuvent varier du tout au tout, on vous dira que c’est « fini » (et on ne compte plus les cas où dans un contexte de harcèlement dénoncé, c’est le…harcelé qui se fait mettre au placard, ou, pire, à la porte…Rappelez-vous, la poussière sous le tapis) la boule sera toujours là.

Parce que vous vous demandez ce que vous avez fait. Ou pas. Ce qu’il aurait fallu. Comment les choses ont pris une telle ampleur ? Pourquoi vous ? Et comment s’en relever ?

Cette boule sera toujours là. Pour quelques jours, quelques mois, la vie entière qui sait ? Qui sait quel fardeau portait David, postier, qui a mis fin à ses jours et dont l’employeur a été acquitté de tout fait de harcèlement en appel en 2007 ? Et que dire des employés de France Télécom ?

Le harceleur, lui, a déjà probablement trouvé une toute nouvelle proie. Une souris pour le chat.

« Le bruit des bottes et le silence des pantoufles » disait cette affiche anar qui fleurissait souvent sur les murs de la ville. Dans l’univers du travail, c’est le bruit du harceleur, le silence des collègues et le salaire de la peur.

Mais jusqu’à quand ?

Cerise Van Aa

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