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La STIB harcèle son personnel

Metro-boulot-bobo

vendredi 2 avril 2010, par Gérard Craan

Alain [1] est en incapacité de travail. Il est suivi pour dépression depuis plusieurs mois. L’accumulation de multiples frustrations dans son travail, des refus consécutifs d’aménagement de son horaire, une inactivité forcée et pesante ont constitué les gouttes d’eau d’un vase qui ne demandait qu’à déborder. Mais derrière les causes de sa maladie se cache aussi la volonté de la direction de faire de la STIB une entreprise commerciale plutôt qu’un service public.

Alain travaille comme agent de sécurité de la STIB depuis plusieurs années. Je suis d’abord passé par le service « contrôles » [NDA : le contrôle des tickets]. Après, je suis entré au service « interventions ». Nous agissons sur appel pour tout ce qui concerne les agressions sur chauffeurs, les suicides, les accidents de la route, etc. Mais nous n’avons plus rien d’autre à faire dans notre service [2] que de patrouiller dans le métro, sans pouvoir réellement intervenir. Tout le monde grignote nos compétences. A présent, nous sommes juste appelés quand un clochard dérange.

Avant 2004-2005, la STIB était encore dotée de son propre service de police [3] pour assurer la sécurité dans les transports en commun ou assumer des OS, des « ordres spéciaux » comme la surveillance de stations de métro lors de matches de foot. Depuis la loi Tobback [4] réglementant les services de sécurité et de gardiennage, le service de sécurité interne a abandonné matraques et boucliers, au grand soulagement de nombre de ses victimes [5]. Il est devenu un service de sécurité dans les transports en commun. Depuis, les agents de sécurité doivent porter des badges permettant de les identifier, une formation est devenue obligatoire [6] et, surtout, leurs compétences ont été restreintes. Mais la STIB ne nous jamais fourni les badges adéquats et chaque fois que je me balade dans une station, je risque une amende de 2.500€., explique Alain. Je suis constamment dans l’illégalité. La STIB a dit qu’elle nous couvrait pour le volet "civil" mais pas sur le plan pénal. Si quelque chose dérape, nous sommes donc responsables.

Parallèlement à son service de sécurité, la STIB a développé un service de prévention, ce sont les agents de l’organisme parapublic que l’on voit affublés de leur gilet rouge et gris. Tout ça c’est de la poudre aux yeux pour donner une impression de sécurité. Ces types n’ont aucune formation. Ils sont engagés pour quelques mois et ne savent absolument pas quoi faire en cas de problème. Quand ils découvrent un colis suspect, par exemple. La règle est de ne pas utiliser son téléphone portable, mais ils s’empressent de s’en servir pour alerter la police. Et en cas de problème d’ordre général, ils téléphonent aussi à la police.

C’est qu’en plus du service de sécurité, il existe une police des métros, rattachée à la police des chemins de fer depuis 2001. Ils patrouillent jusque 1 heure du matin et nous assurons le reste de la nuit. Mais ils ne connaissent pas le terrain ni le réseau de transports. Avant, nous étions souvent en contact. désormais la police des chemins de fers est en sous-effectifs et ils n’arrivent plus dans les délais quand nous avons un problème [7]

Du coup, les tâches du service d’Alain se trouvent peu à peu éparpillées parmi d’autres unités ou services, qu’ils dépendent de la STIB ou non. Certaines communes ont même signé des accords avec la STIB pour que les stewards [8] descendent dans le métro. Alain et ses collègues se retrouvent sans boulot. Il y a une volonté délibérée de la STIB de mettre fin à notre service. Les plus âgés de mes collègues n’osent rien dire. Ils sont arrivés dans le service un peu par hasard et n’ont pas de diplôme. Ils ne veulent pas partir. A quarante-cinq cinquante ans, ils n’ont pas envie de travailler à la chaîne. certains des plus jeunes prennent du plaisir à ne rien faire, mais ils sont en général plus revendicatifs.

Mais ce n’est pas tout. En plus de cela, la direction a inventé un système de facturation interne, entre services. En conséquence de quoi, les superviseurs [NDA, les personnes chargées de veiller à la fluidité des transports en commun dans leurs voitures grises avec gyrophares] ne nous appellent plus en cas de problème avec un chauffeur. Ils préfèrent se rendre sur place eux-mêmes pour faire quelques économies dans leur département [9]. Dans le même esprit comptable, la STIB aurait réintroduit les quotas de Procès-verbaux pour les agents de contrôle [10]. En parallèle, la direction n’a pas souhaité procéder à l’engagement de responsables compétents, avec le souci du service public. Ils ont engagé des personnes qui étaient inspecteurs de magasins ou encore directeur de prison. Ils n’ont jamais travaillé dans la sécurité publique. Cette compétence coûte cher et ils n’ont pas voulu mettre les moyens.

Humainement, la situation d’Alain est intenable. Et il n’est pas le seul : selon lui, 30% des agents du service sécurité et contrôle sont régulièrement malades [11]. Un collègue est en dépression depuis plusieurs mois. Depuis peu, il est en absence illégale. Il n’a plus de contact avec personne et ne remet plus de certificats médicaux.

Et Alain, comment vit-il son inoccupation ? Je me suis rendu compte que j’étais de plus en plus surmené et agressif. Que je n’avais plus de contacts sociaux. Avant, quand il y avait un sans-abri on lui disait parfois de se mettre à un endroit bien précis, hors du champ des caméras. Tout ça disparaissait, je n’avais plus de considération et de préoccupation sociale. Un soir où l’on évoquait un clochard ivre, il a menacé de porter plainte, râlait, s’est finalement accroché à moi et nous sommes tous les deux tombés. Je lui ai donné un coup de poing. Et en même temps, j’ai immédiatement eu un déclic me disant STOP. J’étais allé trop loin.

Suite à son incapacité de travail, plusieurs collègues lui ont témoigné leur sympathie. A l’inverse, le soutien syndical est faible. Les délégués libéraux ont été achetés et je ne sais plus quoi penser de la CGSP [12]. Dans mon service, seule la CSC résiste.

La constante volonté de rentabilité [13], exprimée par la direction de la STIB a des conséquences humaines désastreuses sur les agents qu’elle emploie. Entre alignement sur la future concurrence entre sociétés de transports urbains [14] et souci d’un service public pour lequel travaille un personnel motivé, la balance est nettement déséquilibrée.


Gérard Craan

Notes

[1Prénom d’emprunt. Dans le même souci d’anonymat, certains détails non-essentiels pour la bonne compréhension ont été modifiés ou omis

[2Le service d’Alain est actuellement divisé en trois parties : les agents de contrôles des titres de transport (une centaine de personnes), le service d’intervention, dont il fait partie (nombre équivalent) et une brigade canine (15 unités).

[3En réalité, il s’agit du Service de surveillance générale avec compétence de police. Suite à des mépris nombreux des libertés fondamentales, assortis de violences policières, ce service a été dissous en 2001 pour devenir le Service de contrôle et de gardiennage. Aujourd’hui, l’organigramme de la STIB (pdf) mentionne un service de sécurité et de contrôle. A titre informatif, le rapport annuel du Comité P 2001 décrit le fonctionnement « milicien » de cet ancien service.

[4Loi du 10 avril 1990 organisant la sécurité privée et particulière. Les dispositions relatives aux services de sécurités dans les transports en communs sont rentrées en vigueur en 2005

[6Dixit la loi Tobback

[7Alain évoque ici la possibilité de rétention de personnes dans certains cas très spécifiques. Comme le mentionne la loi du 10 avril 1990 (modifiée pour ce chapitre en 2004) La rétention ne peut durer plus longtemps que les circonstances le justifient.

Il faut en tout état de cause y mettre fin immédiatement :
a) si le service de police averti fait savoir qu’il ne viendra pas sur place ;
b) si le service de police averti signale qu’il ne viendra pas sur place ultérieurement dans les 30 minutes à compter de l’avertissement ;
c) si le service de police averti signale qu’il arrivera sur place, mais que les fonctionnaires de police appelés ne sont pas sur place ultérieurement dans les 30 minutes après que le service de police a été averti.
d) si l’intéressé présente un document d’identité aux agents de sécurité ou s’identifie à l’aide d’autres documents, sauf si le § 1er, alinéa 2, est d’application
[NDA plus ou moins un flagrant délit].

Il semble que la police n’arrive que rarement dans les trente minutes.

[8Que l’on reconnaît à leur chasuble de couleur variée selon la commune : mauve, verte, etc.

[9L’aspect de la sécurité des chauffeurs et de l’arrivée tardive du service de sécurité est indirectement abordé dans cet article

[10Sur le principe des quotas de PV, lire cet article consacré aux quotas de PV pour les policiers français.

[11En Belgique, le taux d’absence au travail pour maladie est largement inférieur à 5%.

[12L’auteur de l’article a, à plusieurs reprises et de sources différentes, entendu parler des problèmes syndicaux au sein de la STIB. D’où le choix de publier ces propos.

[13Consulter notamment ce rapport du Quatrième rendez-vous de progrès, (sic), consacré au financement des transports publics de la STIB en juin 2005. Document en pdf.

[14Sur cette question, lire cet article de même que le communiqué de presse de Jean-Louis Borloo, ministre sarkozien.

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