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STIB Brother

mardi 26 janvier 2010, par Céline Delforge

En 2008, la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles (STIB) a entamé le passage du titre de transport à carte magnétique vers le titre de transport à puce RFID.

Des fortes inquiétudes ont été soulevées à l’époque concernant le respect de la vie privée par l’usage de cette technologie. En effet, la carte Mobib, sur laquelle pourront être téléchargés tous les titres de transport de la STIB et, à terme, ceux des autres opérateurs de transports en commun mais aussi des tickets de parking de sociétés privées, doit être validée à chaque montée dans un véhicule ou entrée dans une station de métro. Ce pointage est obligatoire même pour les détenteurs d’un abonnement alors que celui-ci n’est pas payé au trajet mais donne le droit de circuler sur le réseau de la STIB pendant une durée mensuelle ou annuelle.

Le fait que la carte Mobib soit nominative (alors qu’une version anonyme existe par exemple sur le réseau de Transport of London) rend les usagers traçables : chaque pointage est enregistré avec le numéro de la carte. La concordance entre les numéros de carte et l’identité de leur détenteurs est enregistrée dans un fichier séparé de celui des trajets effectués avec la carte mais un nombre limité de personne a accès aux deux fichiers. Il est donc matériellement possible de retracer les trajets d’une personne. Et bien sûr, si elle le demande, la police se verra communiquer ces informations.

Enfin, alors que le Ministre Smet, qui avait la tutelle sur la STIB à cette époque, avait affirmé le contraire devant le Parlement [1], les contrôleurs de la STIB ont accès aux trois derniers trajets qui sont directement enregistrés sur la puce de la carte.

La STIB a toujours soutenu désirer utiliser les données récoltées grâce à Mobib dans le but d’adapter au mieux son réseau aux besoins [2]. Or, des comptages de voyageurs existent déjà depuis des années sur le réseau de la STIB qui permettent de savoir « à la louche » quelles sont les lignes surchargées. Des données plus fines ne seraient utiles que si on était face à un réseau de haute qualité. C’est plus une question de moyens et de choix stratégiques qui empêchent l’amélioration du réseau qu’un manque d’informations.

Par contre, et c’est ce qui se dessine quand on écoute les nouvelles tendances du transport en commun, tous pays confondus, ces informations fines sont fondamentales pour cibler des publics à des fins commerciales. Les voyageurs sont étudiés sous toutes les coutures (que font-ils en attendant le métro, est-ce un lieu de rendez-vous, …) pour voir comment utiliser leur temps de transport pour en faire des cibles de la publicité mais également pour leur proposer des services commerciaux.

Enfin, il ne faut pas négliger le risque de privatisation par voie de sous-traitance des lignes rentables. Mais pour conclure ce type de contrat, mieux vaut disposer de chiffres de fréquentation très… précis.

Mobib poursuit un second objectif, qui fait également écho à « 1984 » où les « prolétaires » ne sont pas contrôlés mais doivent vivre en marge : des portillons sont en cours d’installation dans les stations de métro et il sera bientôt impossible de pénétrer dans les stations de métro sans ce précieux sésame. C’est-à-dire que seules les personnes traçables, et donc contrôlables, seront admises. On peut même parler des personnes désirables tandis que les indésirables sont exclus. Plusieurs mesures déjà prises par la STIB tendent à prouver qu’il s’agit bien d’une philosophie délibérée : la diffusion de musique classique en soirée pour pousser les jeunes à ne pas traîner dans les stations, la campagne avortée suite aux vives réactions visant à chasser les mendiants des stations et l’opération « Beethoven » qui a abouti à limiter le droit à chanter ou jouer de la musique sur le réseau de la STIB à un petit nombre de musiciens ayant été sélectionnés par la STIB au cours d’une audition.

Il y a désormais deux catégories de personnes : celles qui sont tracées, contrôlées et rentables ont le droit de fréquenter les transports en commun, les autres en sont écartées.

On le voit, Mobib est un élément d’un dispositif plus large qui vise à transformer le service public de transports en commun en un service commercial, en une entreprise certes publique, en tout cas jusqu’à présent, mais gérée comme une entreprise privée, axée sur la rentabilité financière. Et c’est ainsi que l’espace de la STIB se rapproche de plus en plus de celui d’une galerie commerçante où tout est fait pour convaincre le public souhaité de consommer tout et n’importe quoi.

La conclusion qui s’impose, à travers le cas de la STIB, qui n’est que le reflet de l’évolution de toute la société, c’est que seuls les services publics, entendus comme rentables socialement et non financièrement, permettent des lieux de liberté. Dès que les aspects commerciaux priment, le besoin de rentabilité croissante qui les accompagne inévitablement conduit à devoir tout contrôler pour mieux cibler et manipuler des citoyens usagers transformés malgré eux en consommateurs-clients [3].

Céline Delforge

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