Définitions
Le mot sécurité, attesté dès la fin du XIIième siècle, est peu utilisé avant le XVIIIième. Issu du latin securitas, "absence de soucis", "tranquillité", "sûreté", il désigne d’abord "l’état d’esprit confiant et tranquille d’une personne qui se croit à l’abri du danger". A partir du XVIIIième, il désigne également "une situation tranquille qui résulte de l’absence réelle de danger". Pour qualifier l’état contraire, l’antonyme insécurité apparaît à la même époque. Repris au XXième siècle, sécurité désigne "le fait de fonctionner, de s’effectuer sans difficulté" et est lié à l’idée de "protection". Il qualifie aussi une "organisation, [des] conditions matérielles, économiques, politiques, propres à créer un tel état". Sécurité sociale apparaît en 1945 et désigne "le système de protection sociale et l’organisation destinée à garantir les travailleurs contre certains risques liés à l’emploi, à la santé, à la maternité etc.". Quant au dérivé sécuritaire, il est attesté dès le XIIIième siècle mais son sens premier a disparu. Réformé dans les années 1980, il s’applique à "ce qui tend à privilégier les problèmes de sécurité". [1].
Droits de l’Homme
La sécurité ou sûreté constitue une notion-clé dans les textes traitant de droits de l’homme. Ainsi peut-on lire dans l’article II de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 que "Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression." [2]. La Déclaration universelle des Droits de l’homme [3] stipule dans son article III que "Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne". En ce qui concerne la sécurité sociale, l’article XXII précise que "Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays." [4].
L’(in)sécurité : face visible
Le thème de l’insécurité est omniprésent dans les discours politiques et médiatiques. Deux sujets font particulièrement fortune : l’insécurité urbaine d’une part et le terrorisme d’autre part.
L’insécurité urbaine.
Délinquance, agressions, vols à l’arraché, car-jackings, incivilités, vandalisme, émeutes,... "l’insécurité urbaine" est au coeur des préoccupations politiques et médiatiques. Celle des "jeunes" est tout particulièrement pointée du doigt et volontiers grossie : des "bandes urbaines" à Matonge [5], aux jeunes Rom pickpockets [6], en passant, bien sûr, par les émeutes de "jeunes des quartiers" ou "des banlieues" [7] etc.
- Emeutes
- (cc) Philippe Sergent
Les réponses apportées s’inscrivent d’abord dans une logique de répression, en renforçant les pouvoirs policiers et judiciaires : multiplication des contrôles dans les "zones sensibles", arrestations préventives, procédure de comparution immédiate [8], etc. Les mesures sécuritaires s’inscrivent également dans une logique de restriction de l’espace privé des individus : généralisation de la vidéo-surveillance [9] et des systèmes de "sécurisation" (alarmes, papiers d’identité ou abonnements de transport public équipés de puces [10] ; introduction de la biométrie dans les écoles [11],etc.).
Cette réponse sécuritaire est préoccupante à plusieurs titres. D’abord, elle intervient en aval du problème plutôt que de s’attaquer à ses causes profondes. Pourquoi, de tout temps et dans tous les pays, les quartiers pauvres (ou "défavorisés") sont-ils considérés comme les moins sûrs ? Pourquoi les jeunes émeutiers proviennent-ils rarement des classes dominantes ? L’insécurité urbaine apparaît d’abord dans un contexte d’insécurité économique et sociale. Si l’on entend se soucier de la sécurité de la population, il faut commencer par se préoccuper des exclus du système. Une réponse purement répressive est vouée à l’échec : non seulement inefficace (soigne-t-on une jambe cassée avec du sparadrap ?), elle crée en outre le ressentiment auprès des "couches défavorisées" qui se sentent - à raison - incomprises.
Ensuite, la réponse sécuritaire stigmatise une partie de la population suggérant qu’il existe des classes "dangereuses" : les pauvres, les jeunes, les étrangers [12]. Les jeunes d’origine immigrée font principalement les frais de ce climat de méfiance et de rejet, confrontés régulièrement à la discrimination raciste, notamment de la part des autorités (le délit de faciès lors des contrôles policiers est malheureusement incontestable [13]), mais également dans leur vie quotidienne (emploi, logement, etc.). Cette situation ne peut qu’alimenter la colère et l’agressivité.
Enfin, le fait de privilégier une politique de répression, de "tolérance zéro", et d’orienter cette politique vers certaines catégories de population envoie un message clair aux forces de police qui ont à peu près carte blanche pour faire "régner l’ordre" [14] et n’hésitent pas à exercer des violences parfois très graves tout en bénéficiant d’une large impunité [15]. A titre d’exemple, le comportement des policiers de la zone Bruxelles-Midi fait franchement frémir, laissant apparaître une forme d’institutionnalisation de la violence [16].
Le terrorisme.
La "lutte contre le terrorisme" apparaît comme l’autre grande préoccupation liée au thème de la sécurité. Actuellement, on pense immédiatement à Al Quaïda et à la "menace verte" [17] venue remplacer la "menace rouge" [18]. Après les attentats du 11 septembre 2001, les pays occidentaux ont renforcé un arsenal législatif déjà très complet en adoptant de nouvelles lois dites "anti-terroristes" [19]. Partout, les "mesures de sécurité" sont régulièrement renforcées : dans les entreprises [20], dans les aéroports [21], dans les métros [22] ou à l’occasion de rassemblements populaires [23] etc.
Officiellement, les politiques menées contre cette "menace terroriste" ont pour but de protéger la population contre les attentats. On peut très sérieusement se demander si l’objectif poursuivi n’est pas plutôt de créer un climat de peur généralisée, permettant de justifier la surveillance et la répression d’individus en raison de leurs convictions et engagements politiques ou de leurs origines pseudo-raciales. Combien d’attentats ont-ils pu être évités grâce à ces mesures de sécurité ? Nous ne disposons pas de chiffres probants, mais l’épisode de l’attentat raté de Noël est à cet égard interpellant : l’homme avait été signalé auprès des agences anti-terroristes américaines et a malgré tout réussi à embarquer, sans passeport et malgré une fouille. Dans le même temps, de simples journalistes voient leur vol détourné parce qu’ils représenteraient une "menace" pour les Etats-Unis... [24]
Les mesures "anti-terroristes" ont en outre permis d’arrêter et d’enfermer des personnes, non sur base de faits, mais en fonction de suspicions liées à leurs convictions, à leurs amitiés politiques ou simplement à leur manière de vivre [25]. Pour avoir organisé des manifestations (autorisées), des alter-mondialistes liégeois ont été placés sur écoute pendant des mois [26]. De manière générale, l’opinion de gauche anti-capitaliste est criminalisée [27]. Comme l’a souligné le collectif "Solidarité avec les 5 solidaires" (S5S) [28], le risque réel est que "demain, n’importe quelle organisation syndicale, politique, non-gouvernementale, alter-mondialiste, environnementale ; n’importe quel citoyen engagé ou ayant simplement parlé au cousin de l’oncle de la belle-soeur d’un suspect lointain pourra être surveillé, qualifié de terroriste et arrêté" [29].
Quant aux "Arabo-musulmans" et aux "bronzés" de tous poils, ils n’ont qu’à bien se tenir, surtout s’ils ont l’arrogance de porter un voile, un turban ou une barbe. Le délit de faciès est généralisé et bien peu dénoncé. Ainsi, la TSA (Administration de la sécurité dans les transports) a ordonné un contrôle renforcé, pour les vols à destination des Etats-Unis, de 100% des passagers originaires ou en provenance de pays considérés comme soutenant le terrorisme. Cela signifie pour ces personnes l’ouverture et l’inspection de tous leurs bagages ainsi qu’une fouille corporelle "complète". [30]
L’(in)sécurité : face obscure
A l’opposé des exemples que nous venons d’envisager, il existe des situations d’insécurité parfois extrêmes qui ne bénéficient pas de la même visibilité. Nous avons déjà évoqué l’insécurité due à la violence légale, et notamment policière [31].
Il ne faudrait pas oublier la délinquance patronale. Les entreprises constituent de véritables zones de non-droit [32]. Elles jouent sur la peur des travailleurs (peur du licenciement, essentiellement) pour leur faire accepter une situation d’exploitation et d’insécurité économique et sociale absolument intolérables : vais-je trouver un boulot ? Vais-je garder mon boulot ? Va-t-on me virer si je tombe malade ou enceinte ? Que vais-je faire avec mes enfants si je dois travailler le dimanche ou prester des heures supplémentaires ? Va-t-on reconduire mon contrat temporaire ? Aurai-je droit à une pension ? Autant de questions qui hantent de nombreux ménages dont l’avenir est tout sauf sûr.
Parallèlement, une autre forme d’insécurité est attachée au monde de l’entreprise : celle liée au travail lui-même. Accidents [33], stress, maladies [34], suicides [35] nous rappellent régulièrement que la souffrance au travail est une réalité qu’il ne faut pas sous-estimer [36].
- "Europe de Lisbonne : avec l’Etat-social actif, ça va bouger pour les exclus !", Titom (http://www.bxl.attac.be/spip/spip.php?article1043)
Dépassant le cadre strict des entreprises, l’idéologie du profit à tout prix est imposée et mondialisée par les dirigeants politiques internationaux en tant que seul système "réaliste" et "démocratique" envisageable. Ainsi, de part le monde, une masse intolérable d’individus est plongée dans l’insécurité socio-économique [37]. Parallèlement, alors que les chômeurs et tous les exclus du système - devenus des "assistés" dans la langue des puissants - sont soumis à des contrôles sévères, la délinquance patronale bénéficie, elle aussi, d’une large impunité, les pouvoirs publics tendant à absoudre les crimes économiques [38] - pourquoi sont-ils les seuls pour lesquels on n’encourt pas de prélèvement ADN ? [39]
Pour conclure : qui terrorise qui ?
Comment interpréter ce paradoxe ? D’un côté, un discours sécuritaire omniprésent, dont nous avons souligné non seulement l’inefficacité mais également l’aspect "insécuritaire" pour certains types d’individus - ce que l’on désigne en général par "dérives sécuritaires". De l’autre, une insécurité économique et sociale gigantesque qui s’inscrit dans les structures mêmes du système et qui est renforcée par les "réformes néo-libérales" imposées aux quatre coins du monde par le Fonds Monétaire International (FMI) ou la Banque Mondiale [40].
Les notions de sécurité et d’insécurité apparaissent très élastiques, elles varient (en termes de priorité politique et de visibilité médiatique) en fonction de la classe sociale, du statut ou de l’origine prétendument raciale des personnes qui la subissent ou la provoquent.
Quant aux "mesures sécuritaires" qui nous entourent, nous sommes en droit de nous interroger sur leur rôle réel. Se préoccupent-elles en priorité de la protection des citoyens ou constituent-elles un prétexte pour maintenir le contexte martial ("guerre contre le terrorisme") et assurer la police de la population [41] ?
Christine Oisel