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Pauvreté & Précarité

Edito n° 3

mercredi 9 décembre 2009, par Fiona Wallers

Maïga a 21 ans. Il est est burkinabé. Il y a un an et demi, appelé par un ami de la famille pour travailler dans une auberge pour touristes, Maïga est parti à Ségou, au Mali. Sa famille nombreuse avait besoin de revenus réguliers. Et depuis, Maïga est devenu gérant de l’Auberge de l’Amitié.
Il nous a accueillis lorsque nous sommes arrivés, crevés du trajet, et surtout râlant d’avoir perdu des sous dans le taxi. Il a sillonné la ville pour nous aider. Sans résultat, mais voilà, Maïga était devenu un ami.

Maïga est debout à cinq heures, il termine lorsqu’il n’y a plus rien à faire. Gérant à l’Auberge de l’Amitié, ça veut dire « Homme à tout faire » : accueil, réservations, courses, cuisine... Pas de congés hebdomadaires, pas de congés annuels, Maïga travaille sept jours sur sept et envoie la plus grande partie de son salaire tous les mois au Burkina. Son salaire… Maïga gagne 25.000 francs CFA par mois, soit 38 euros.

Des mecs comme Maïga, il y en a beaucoup. Parfois, les gens de là-bas estiment qu’ils ont de la chance : ils ne sont pas à la rue, ils vivent de leur travail, ils peuvent surtout envoyer de l’argent à la famille. Mais il suffit de parler quelques heures avec lui, il suffit aussi de regarder les petits garçons qui travaillent dans l’Auberge pour se dire que ce n’est pas vrai. La chance n’est pas passée par là.
 [1]

Un regard très rapide sur ce qui se passe à l’extérieur de l’Union européenne suffit à nous faire réfléchir un peu sur le statut que le capital assigne à des millions de travailleurs.
Main d’œuvre malléable, parce que dans le besoin ; exploitations multiples ; déréglementation - ou absence de règlementation - du marché du travail ; précarisation des conditions de vie. C’est ce qu’Hélène Châtelain nous a proposé de partager dans son article sur São Paulo. On y voit un tableau sans nuances qui montre, par des exemples de rencontres, une société d’extrêmes : débrouille, précarité, pauvreté. Le Brésil, économie « en plein essor », nous montre l’atrocité d’un système économique basé sur la libéralisation, et montre aux pays les plus pauvres comme le Mali ou le Burkina, que le libéralisme ne peut pas être un chemin à suivre.

Parmi les victimes de la rentabilité, plus près de chez nous, il y a les travailleurs handicapés. Arnaud Levêque propose une mise au point sur les conditions de travail dans anciens ateliers protégés, aujourd’hui appelés entreprises de travail adapté… Protégés ? Peut-être pas tellement aujourd’hui, où on ferme hypocritement les yeux sur une exploitation qui ne dit pas son nom.
Exploitation à l’abri des regards aussi, ça se passe dans les prisons. Les détenus « modèles » y sont forcés de perpétuer des règles de travail dignes d’une époque qu’on croyait révolue. Bienvenue au 21ème siècle, c’est dans l’article de Fifi Bridacier.

Exploitation aussi, lorsque des délégués syndicaux expliquent le quotidien des nettoyeuses, pudiquement appelées aujourd’hui « techniciennes de surfaces ». Gérard Craan visite, interroge, raconte les conséquences d’une crise économique sur un secteur déjà largement précarisé. Restructuration, réorganisation, licenciements : la charge de travail de ces ouvrier-e-s est constamment augmentée par les grandes firmes qui les emploient… Peuvent-ils-elles dire qu’ils-elles ont de la chance d’avoir un travail ?

Avoir ou ne pas avoir de travail, cela détermine un statut dans nos économies panachées de social : l’ouverture du « droit aux allocations de chômage ». C’est quoi le chômage ? Comment manipule-t-on les chiffres des demandeurs d’emploi et à quelles fins ? Guéric Bosmans essaie de nous expliquer, chiffres à l’appui, les incohérences des communications gouvernementales, et le scandale de la paupérisation croissante des allocataires sociaux. Les allocations de chômage et les aides sociales : un droit, une protection, qui chagrine d’ailleurs plus d’un patron. On est encore loin, même au cœur de la crise libérale la plus dure depuis plusieurs décennies, des lendemains qui chantent. Dans son article en deux parties à propos des mesures de chasse aux chômeurs, Yves Martens nous propose de nous mobiliser pour défendre ce droit, cette protection [2].
Celui-ci ferait certainement partie de ce qu’on appelle les droits sociaux ou « droits fondamentaux de deuxième génération »… ou alors de seconde zone ? Quelles sont donc les difficultés qui nous empêchent de les revendiquer juridiquement ? C’est l’article complet de Manu Lambert qui va nous amener quelques réponses.

Oui, on est manipulé-e-s, non, le monde libéral n’amène pas le bonheur. Pour s’en rendre compte, il faut aussi passer par le décodage des expressions et des mots utilisés par le pouvoir. Un travail de sape linguistique est de plus en plus nécessaire. L’article de Christine Oisel nous montre le détournement de sens du mot réforme. Littéralement désignant un retour à l’ordre établi, le renversement sémantique imposé par les classes dominantes le transforme en outil émancipateur... Une manipulation visant à masquer les mesures de régression sociale. Enfin, Didier Brissa complète son article de fond à propos du mouvement écologique : ici aussi, le décodage s’avère nécessaire.

Maïga n’a certainement pas de chance. Comme des millions de travailleurs dans le monde, il est obligé d’accepter un boulot inacceptable. Comme des milliers de travailleurs en Belgique, qui voient leurs protections disparaître, qui voient leurs salaires réduits, qui se retrouvent en dessous du seuil de pauvreté....
A l’heure de rédiger cet édito, une révolte : comment mettre bout à bout la suite de chiffres qui tombent dans les dépêches d’info ? 800 pertes d’emploi chez DHL, 100 chez MD verre, 3000 emplois menacés chez Opel, une cinquantaine chez Sanofi-Aventis… [3]
Une photographie de deux ou trois jours noirs pour l’emploi, comme tant d’autres cette année. Sans avoir encore clôturé les chiffres de l’année 2009, on annonce encore 60.000 suppressions d’emplois en 2010 [4].

La reprise économique ? Elle ne concerne pas la majorité, mais bien les exploiteurs de tous poils qu’il est urgent de déloger. Au Mali comme ailleurs, notre combat est le même.
Merci à Arnaud, Christine, Didier, Fifi, Gerard, Gueric, Hélène, Manu, Ode et Yves d’y avoir contribué.

Fiona Wallers, pour l’équipe de JIM

Bannière : Ode

Le JIM devient un outil incontournable chaque mois. Pour les désormais habitué-e-s des articles qui grattent là où il faut, il ne prendra d’ailleurs pas ses quartiers d’hiver. Un nouveau numéro sera sur la toile dès le 13 décembre, pour un thème bien de saison en cette période d’achats frénétiques : le consumérisme. Du jouet, outil de reproduction sociale, aux gadgets électroniques et leurs effets désastreux sur la planète, autant d’arguments pour refuser de se soumettre à la spirale économique de la consommation. ... Le JIM aura d’ailleurs une belle surprise pour tou-te-s ses lecteurs/trices au mois de janvier : il faudra ouvrir ses oreilles...

Notes

[2Pour les détails du combat contre la chasse aux chômeurs, voir www.asbl-csce.be

[3Pour avoir une idée à propos des pertes d’emploi en Belgique en 2009, voir la rubrique Brèves ; dans la presse bourgeoise, un récapitulatif des plus grandes suppressions d’emploi dans l’Echo du 1er décembre 2009

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