Le grand brûleur d’églises Asser Toropainen se préparait à mourir. (…)C’était la quinzaine de Pâques, la veille du Vendredi saint. Un baroud contre Dieu, les prêtres et l’Eglise. Voilà ce qu’était Asser Toropainen, un athée d’aujourd’hui. Le dernier bolchevik de la planète. Il confie ses dernières volontés à son petit fils, Eemeli Toropainen : la construction d’une église en bois. Si je peux me permettre, tu n’aurais pas perdu la boule ?, s’étonne son petit-fils.
Et s’amorce ainsi Le Cantique de l’Apocalypse joyeuse d’Arto Paasilinna [1], fiction douce-amère sur la construction progressive d’une communauté villageoise tandis que le chaos devient mondial.
- (cc) bjaglin
Dès l’entame du roman, Paasilinna nous conte cette construction d’église sans prêtre [2], autour de laquelle se regrouperont peu à peu des familles environnantes et quelques écologistes. Sur base d’une vie simple au fond des bois, de mœurs libres et de plaisirs partagés, s’érigera petit à petit une communauté. De la construction de quelques chalets épars au sein desquels on aura tôt fait d’installer un alambic, à l’extension du domaine sur plusieurs milliers d’hectares, de la gestion particulière des problèmes avec l’administration centrale finlandaise à l’autonomie complète, de la pêche au jour le jour de quelques poissons à la mise en conserve des réserves pour l’hiver, au gré des histoires d’amour et des séparations, la vie des habitants d’Ukonjärvi permet à Paasilinna de critiquer par l’absurde notre mode de consommation. L’auteur ne se prive pas non plus d’attaquer certaines visions écologiquement bien-pensantes. Ainsi, il décrit ironiquement l’amateurisme de quelques écologistes enthousiastes venus s’installer à proximité. Arrivés à court de vivres, incapables de se construire un chalet de rondins avant la survenue de l’hiver, affaiblis et malades, ils seront aidés par le charpentier responsable de la construction de l’église. C’est un passage révélateur de la pensée de Paasilinna : le retour à la nature n’est pas le mythe du paradis d’Adam et Eve où tout est acquis. C’est aussi une manière de vivre parfois pénible qui nécessite organisation et savoir-faire.
Parallèlement à l’évolution de la communauté villageoise, la crise économique au sein des pays de la Communauté européenne crée des millions de chômeurs, les administrations nationales ne sont plus financées, les médias finlandais censurent les informations. Des réfugiés russes rallient la communauté, inquiets des guerres civiles et des massacres de populations commis dans leur pays tandis que le président de l’URSS est assigné à résidence. Les éléments se mettent en place pour le déclenchement d’une troisième guerre mondiale appréhendée par les pacifiques habitants de la communauté.
- Paasilinna, une ouverture à la nature
- (cc) Xabier Cid
Le Cantique de l’Apocalypse joyeuse s’inscrit dans la lignée des autres romans d’Arto Paasilina. Un style doux-amer, une critique de la société de consommation et d’une inutile complexité du monde. Ses personnages sont hauts en couleur et résistent joyeusement aux contraintes d’un monde formaté. Néanmoins, Le Cantique de l’Apocalypse joyeuse ne doit pas être vu comme l’évangile de la construction d’un monde meilleur. La communauté n’est pas exempte de contradictions. Si son système de démocratie directe est réel, elle n’en est pas moins dirigée de bout en bout par Eemeli Toropainen, de façon parfois un peu patriarcale. De même, les grandes questions que sont la santé et l’éducation [3] ne sont que très peu abordées. Enfin, elle est très peu préoccupée par le monde extérieur sauf quand celui-ci vient vers elle. Ce n’est que lorsque des milliers de réfugiées [4] ayant traversé la Russie d’Est en Ouest, arrivent aux abords d’Ukonjärvi que la communauté se souciera quelque peu de la guerre qui fait rage alentours.
Il n’empêche, Paasilina [5], successivement bûcheron, ouvrier agricole, journaliste et poète, nous rappelle que beaucoup de choses sont possibles avec un peu de volonté et de savoir-faire : construire des logements, se nourrir [6], se divertir, résoudre des problèmes de société complexes sont accessibles à tout groupe vivant de manière collective, respectueuse des modes de vie de chacun et solidaire. Et que beaucoup d’autres : les loisirs de masse, les télécommunications, l’usage intensif de l’automobile, ne servent plus à rien si on opte pour un mode de vie plus simple.
Le Cantique de l’Apocalypse joyeuse, d’Arto Paasilinna, Folio, 1992 (traduit du finnois par Anne Colin du Terrail).
Gérard Craan