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Les droits fondamentaux de la deuxième génération : droits fondamentaux de seconde zone ?

vendredi 27 novembre 2009, par Manuel Lambert

Si les droits fondamentaux de la première génération - que constituent les droits de vote, liberté d’expression et d’opinion, de religion, d’association, etc. - sont un acquis bien établi (quoique) de notre système politique, il n’en va pas de même pour ce que l’on appelle les droits fondamentaux de la deuxième génération que constituent, entre autres, les droits au travail, au logement, à la santé.

Genèse

Les droits économiques, sociaux et culturels (droit au travail, au logement, à la santé, à la sécurité sociale, droit de grève…) sont qualifiés de droits fondamentaux de la deuxième génération, par opposition aux droits fondamentaux de la première génération, les droits civils et politiques (droit à la vie, droit de vote, liberté d’expression, liberté de religion, droit de propriété…) et aux droits fondamentaux de la troisième génération (qui sont principalement les droits environnementaux, à la paix et au développement) [1].

Cette division en générations de droits fondamentaux est le résultat de leurs consécrations successives au cours de l’Histoire. En effet, les droits de la première génération ont pour principales bases les réflexions des philosophes des Lumières et pour principales consécrations les déclarations issues des révolutions américaines et françaises de la fin du 18ème siècle. Ils consacrent des droits fondamentaux revendiqués par les révolutionnaires en réaction à l’absolutisme royal de l’Ancien régime.

A ces droits initiaux, qualifiés de droits bourgeois par Karl Marx en raison notamment de leur caractère individualiste et de la nécessaire, mais inexistante, égalité entre les être humains qu’ils présupposent pour pouvoir en jouir pleinement, se sont développés au cours du 19ème siècle et du début du 20ème siècle les droits de la deuxième génération. En effet, sous la pression des mouvements ouvriers furent progressivement reconnus des droits conçus, à l’origine, comme des droits dont la fonction était de remédier à certaines formes d’insécurité et de précarité qui étaient caractéristiques de la condition des travailleurs salariés.

Ensuite, à partir des années 70, dans le cadre du développement des mouvements écologistes, pacifistes et tiers-mondistes, se sont développés les droits de la 3ème génération, qui se définissent comme des droits globaux, attachés à l’espèce humaine dans son ensemble, plutôt qu’à des individus et à des collectivités.

Reconnaissance juridique

La Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 (DUDH), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, va juxtaposer en son sein les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels.

Après la seconde guerre mondiale et l’adoption de la DUDH, la guerre froide va sensiblement compliquer les choses. L’élaboration du droit international va en être affectée, particulièrement en ce qui concerne le droit élaboré au sein de l’ONU. Dès lors, lorsqu’il a fallu consacrer les droits contenus dans la DUDH dans un instrument juridiquement contraignant, les Etats s’opposèrent sur le contenu à donner à ce nouvel instrument. Les Etats d’obédience capitaliste favorisaient la reconnaissance des droits civils et politiques, alors que les Etats d’obédience socialiste privilégiaient les droits économiques, sociaux et culturels. Dès lors, il fut décidé d’adopter, non un seul, mais deux instruments de protection des droits fondamentaux : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), tous deux adoptés en 1966.

Obstacles

D’emblée, les deux instruments ne furent pas placés sur un pied d’égalité. En effet, alors que le PIDCP adoptait une formulation telle que les droits reconnus s’imposent directement aux Etats, le PIDESC adoptait une formulation qui ne présente pas le même degré de contrainte pour les Etats parties : la nature des obligations juridiques qui en découlent diffère, les droits de la 1ère génération étant directement applicables en droit interne (ce qui signifie qu’on peut en saisir un juge de son Etat et directement se plaindre de leur non respect), alors que cela ne semblait pas être le cas des droits de la 2ème génération (le juge interne ne pouvant être directement saisi concernant ces droits). En outre, les mécanismes de contrôle au niveau international de l’application des deux Pactes différent également, tant en ce qui concerne les rapports étatiques (que les Etats sont chargés de remettre périodiquement) que pour les communications individuelles (que les individus souhaitent soumettre aux instances internationales).

Cette situation de fait a pérennisé l’opinion selon laquelle les droits économiques, sociaux et culturels n’ont pas la même valeur que les autres droits fondamentaux, qu’ils présentent un défaut de justiciabilité : il ne s’agit pas de droits que les particuliers peuvent invoquer directement en justice ; il s’agit simplement d’indications données aux Etats, d’engagements vers lesquels ils doivent tendre. Bref, d’obligations de moyen et non de résultat.

Pourquoi une telle différenciation ?

- Tout d’abord, la formulation des droits économiques, sociaux et culturels est vague, ce sont des droits à géométrie variable, ce qui les rend plus difficile à cibler, à en déterminer la nature. En effet, qu’implique exactement le droit au travail ? Est-ce que cela signifie que l’Etat à l’obligation de donner un travail à tous les individus se trouvant sur son territoire ?
- En outre, il s’agit de droits dont la réalisation doit se faire de manière progressive : les Etats doivent arriver à cet objectif, mais ne doivent pas les garantir tels quels immédiatement.
- Ensuite, ce sont des droits qui ne sont pas subjectivables : ils sont par nature collectifs, ils ne peuvent faire l’objet d’une appropriation personnelle par les individus, qui ne peuvent, dès lors, en demander l’application à l’Etat. Ils nécessitent une mise en oeuvre par celui-ci, une fourniture de prestations et non une simple abstention.
- Enfin, ce sont des droits dont la mise en œuvre implique des sommes considérables, qui nécessitent des moyens financiers importants. En effet, fournir un logement décent à tous demande un budget conséquent.

En substance, et même si la subtilité du droit ne rend pas cette distinction aussi caricaturale, les droits de première génération sont invocables devant le juge, ce qui fait que celui-ci va devoir donner un contenu concret aux droits et qu’on peut dégager de la jurisprudence une essence moins vague. Par exemple, la Cour européenne des DH a clairement établi où s’arrêtait la liberté d’expression ou que le droit de propriété n’est pas absolu et peut connaître des limites pour respecter d’autres droits fondamentaux. Des délimitations aussi concrètes n’existent pas pour les droits de la deuxième génération.

Solutions

Toutefois, la présomption d’injusticiabilité de ces droits peut être surmontée [2].

- Tout d’abord, l’argument selon lequel les droits économiques, sociaux et culturels sont formulés de manière trop vague constitue en réalité un argument en faveur de la justiciabilité de ces droits. En effet, il est nécessaire, de ce fait, de prévoir un système d’interprétation, de développer une jurisprudence qui pourra donner à ces droits un véritable contenu, un cadre déterminé.

- La thèse selon laquelle ces droits doivent se réaliser de manière progressive n’a pas de fondement véritablement incontournable : les droits civils et politiques ne doivent pas être réalisés de manière progressive. On ne voit dès lors pas pourquoi les droits de la deuxième génération devraient l’être. Le seul fait qu’ils nécessitent plus de temps pour être mis en œuvre ne saurait justifier leur inapplication.

- Ensuite, le caractère collectif et non subjectivable de ces droits ne signifie pas que le juge ne peut pas en être saisi : il faut donner au juge les moyens d’évaluer l’application correcte de ces droits. Il doit pouvoir déterminer si le droit à un logement décent d’un individu a été violé ou non.

- Enfin, l’argument budgétaire n’est pas toujours pertinent : la mise en œuvre des droits de la première génération peut également exiger un budget considérable (par exemple, l’organisation d’élections requiert certaines dépenses importantes).

Indivisibilité

Il est important de noter que les Nations Unies ont mis en évidence le caractère indivisible et interdépendant des droits fondamentaux à de nombreuses occasions. Il n’est donc pas justifié de privilégier certains droits par rapport à d’autres, de considérer qu’il existe une hiérarchie entre eux. La jouissance des droits civils et politiques n’est possible que si les droits économiques sociaux et culturels sont satisfaits et vice versa. Il est en effet illusoire de reconnaître le droit de vote ou le droit au respect de la vie privée à une personne qui ne dispose ni d’un logement ni d’un niveau de vie suffisant qui lui permette de se nourrir ou de se soigner. En outre, on constate que les personnes qui voient leurs droits économiques et sociaux violés sont également celles qui subissent le plus de violations de droits civils et politiques [3]
.

Par ailleurs, la Cour européenne des Droits de l’Homme a eu l’occasion d’affirmer que « nulle cloison étanche ne sépare les droits civils et politiques des droits économiques et sociaux » [4].

Dès lors, il est important de souligner que la décision de privilégier les droits de la première génération par rapport à ceux de la deuxième génération n’est pas tellement une question juridique, mais est avant tout un choix politique, de société.

Manuel Lambert

Conseiller juridique
Ligue des droits de l’Homme

Notes

[1Cette division des droits de l’homme en générations est remise en cause par certains auteurs. En effet, celle-ci peut parfois paraître inutilement simplificatrice.

[2Voir Olivier de Schutter, Systèmes de protection des droits de l’Homme, UCL-FUSL

[3Voir entre autres Observatoire International des Prisons - Section belge, "Notice 2008 : De l’état du système carcéral belge", Bruxelles, 2008, P. 27, disponible à l’adresse : http://www.oipbelgique.be/biblio/notice/Notice_2008.pdf

[4Cour eur. Dr. H., arrêt Airey c. Irlande, 9 octobre 1979.

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