Les services de renseignement français sont en alerte, les scientifiques militaires sont diligemment avisés de la situation : des émanations radioactives ont été découvertes autour du centre européen Euratom [1], à Chooz.
Les techniciens de Chooz avaient, les premiers, remarqué un phénomène dont ils étaient incapables de déterminer l’origine : une radioactivité sensible, au sol, dans une zone entourant les installations franco-belges de l’Euratom. A première vue, rien de très inquiétant. Rien, sinon que le phénomène était inexplicable. Difficile d’incriminer des retombées, aucune explosion nucléaire dans l’atmosphère n’ayant eu lieu, sauf la chinoise. D’ailleurs, bien qu’elle fût loin d’atteindre un seuil immédiatement dangereux, l’intensité des radiations était très supérieure à tout ce qu’on avait jamais relevé à la suite des passages de nuées radioactives consécutives à ces explosions. De soigneuses explorations, menées avec des moyens de détection très précis, révélèrent que la zone "touchée" - on avait évité dans tous les comptes rendus d’utiliser le mot "contaminé" - affectait la forme d’une couronne assez régulière, s’étendant sur un rayon de mille mètres environ autour des installations. Les abords immédiats étaient vierges de toute pollution. Il en allait de même des laboratoires et des bâtiments du Centre. [2]
Assiste-t-on à une mutation inconnue du nucléaire ? Les centrales sont-elles "contagieuses" ? Le secret d’Etat sera vite utilisé pour masquer les événements. D’autant plus que les vagues concentriques de radioactivités se propagent à d’autres centrales. La rare population environnante sera évacuée. Le problème est considéré avant tout comme scientifique.
Mais un officier de renseignement, Merry Pontus, a un doute. Pourrait-il s’agir d’une tentative de déstabilisation de l’Etat français ? Dans la plus pure tradition des romans d’espionnage, Merry Pontus est isolé. Il agit en solo, sans le soutien de sa hiérarchie. Inquiet, il va enquêter et se demander si une grande puissance étrangère n’est pas à la manœuvre. En 1966, c’est la Chine qui fait peur. Deux ans auparavant, elle procédait à son premier essai nucléaire. A l’inverse, l’URSS et les Etats-Unis étaient entrés depuis peu dans une période de coexistence pacifique. A l’instar des romans SAS, mais nettement moins marqué à droite, Michaël Maltravers se fait l’écho de cette réalité stratégique mondiale, le KGB collaborant même avec les services français.
Mais Maltravers optera finalement pour un autre choix que le "péril jaune". L’ennemi est mondial mais il est surtout autonome. Et c’est précisément la coexistence pacifique et son impact sur les partis communistes occidentaux, renonçant à la révolution à l’Ouest, qui lui fera imaginer la "Tendance" [3], nébuleuse de communistes déçus par l’URSS et par la Chine, ayant roulé leurs bosse dans tous les pays en révolte et en rébellion. Indélicat mélange de guerilleros ayant amorcé des luttes de libérations nationales et de contestataires de tout poil [4]. Pour la "Tendance" il faut :
Agir, agir... Ni Moscou, ni Pékin n’agissaient vraiment... On s’y était laissé prendre au piège des Occidentaux, aux pièges des politiques nationales. Comment avait-on pu oublier si vite, ici et là, les vieux préceptes de la lutte des classes, de l’action directe, du combat sans relâche. Les vrais mots d’ordre de base ? [5]
Il y a donc "terrorisme". Et il ne faut pas s’appeler Oussama pour avoir des idées. Michaël Maltravers a évoqué, avec 40 ans d’avance, des méthodes d’action fantasmées par certains cerveaux contemporains. C’est là qu’est l’aspect le plus intéressant de l’ouvrage. Pour arriver à ses fins, la "Tendance" provoque le chaos avec des moyens à sa portée, terriblement peu coûteux en regard du résultat : utiliser des matières radioactives, non pas pour fabriquer une bombe atomique de facture classique, objectif techniquement hors de portée pour la Tendance mais en construisant une bombe sale. Soit une bombe avec des explosifs classiques, mais dont la tête est remplie de matière radioactive. L’idée de la bombe sale a été ravivée suite aux attentats du onze septembre 2001 et à un approvisionnement rendu possible par la désintégration de l’URSS [6]. Pour autant, la possibilité avait déjà été envisagée dans les années cinquante. Ainsi, Michaël Maltravers évoque la volonté égyptienne de se doter de missiles balistiques dotés de têtes radioactives [7].
Mais La maladie de Chooz est particulièrement inventif. A la différence des théories militaires contemporaines impliquant le plus souvent un approvisionnement en produits radioactifs via le vol ou l’achat à des militaires, Maltravers pense plus simplement. La "Tendance" se fournit tout simplement en mer du Nord où, depuis quelques années, plusieurs pays, surtout la Grande-Bretagne immergent allègrement leurs déchets [8]. Jusqu’en 1963, la Grande-Bretagne déposera 17.000 tonnes de déchets à moins de 200 m de profondeur. Certains futs ont même été retrouvés "par hasard" dans des filets de pêche [9].
Le poison récupéré par des petits sous-marins spécialement équipés, restait à diffuser efficacement. La "Tendance" gardera la menace d’une bombe sale sur Paris pour l’apothéose escomptée. Auparavant, elle aura pris soin d’innover. Les les déchets récupérés sont, tout compte fait, faiblement radioactifs, il faut donc propager rapidement et efficacement de grandes quantités. La meilleure solution consistera simplement à en remplir des camionnettes qui les vaporiseront dans la France entière. Mieux encore : la "Tendance" s’arrangera pour faire réaliser la propagation de la radioactivité par d’autres. Elle placera les déchets dans les réservoir d’eau des locomotives à vapeur. La grande panique peut alors commencer, même si le lecteur se doute bien que l’apocalypse n’aura pas lieu.
Banal roman d’espionnage au style fluide, La maladie de Chooz n’en est pas moins un redoutable roman d’anticipation. L’auteur semble pourtant inconnu. En fait, sous Michaël Maltravers se cache très probablement Frédéric Dard, célèbre pour la série des San Antonio. L’analyse ayant permis le recoupement est due à l’assocaition les Polarophiles tranquilles [10] qui n’a pas ménagé sa peine. Si Frédéric Dard s’est toujours défendu du moindre engagement politique, de gauche ou de droite [11], il n’en est pas moins un écrivain à l’écoute de son temps, inquiet des ravages potentiels de l’énergie nucléaire.
La maladie de Chooz est encore disponible pour moins de €5 dans les librairies. Il peut également se trouver dans les bouquineries ou en contactant l’auteur de ces lignes qui le prêtera volontiers.