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Editorial - La culture dans presque tous ses états

vendredi 15 mars 2013, par Ode

Quelques jours après la Foire du Livre, le JIM propose un numéro dont le thème est la culture "dans presque tous ses états" ! Sex and Drug’s and Rock’n’Roll !

Il y a une petite vingtaine d’années, mes yeux d’enfant voyaient la Foire du Livre comme une énorme librairie dans laquelle j’aimais passer des heures - flâner entre des présentoirs emplis de livres, feuilleter des ouvrages. J’y allais tous les ans et en revenais avec un sac plein de romans publiés dans diverses collections jeunesse.

Adolescente, j’ai ralenti ma fréquentation de cette foire pour finalement ne plus y aller pendant plusieurs années. J’y suis ensuite retournée, espérant y retrouver cette multitude de livres que j’avais l’habitude d’y découvrir. Mais quelle fut ma déception d’être confrontée à des stands présentant plus de fascicules publicitaires que de livres ! La Foire du Livre m’est alors plus apparue sous l’angle d’une foire aux bestiaux. Et les bestiaux ce sont les visiteurs qui payent pour se faire alpaguer et noyer par un ras-de-marée de messages publicitaires. Mais dans cette équation, les visiteurs ne sont pas les seuls à payer : il en va de même des exposants. L’auteur et blogueur Baudouin Van Humbeeck estime qu’un budget de 1779€ est nécessaire à la location d’un petit stand de 6m² à la Foire du Livre de 2013 [1]. Une telle foire devrait permettre aux petits éditeurs et auteurs peu connus d’accroître leur visibilité, mais à l’inverse, la Foire du Livre ne semble être qu’un outil de reproduction et de renforcement des structures et mécanismes culturels à l’oeuvre dans la société : quelques grands éditeurs, plus nantis, occupent des stands d’une bonne centaine de mètres carrés tandis que d’autres, plus petits, se partagent un petit stand de quelques mètres carrés et une seule caisse enregistreuse (quand ils en ont une). Et pendant ce temps, quelques individus isolés se reposent sur leur magot.

Malgré un a priori extrêmement négatif de l’événement, j’y suis retournée cette année : je disposais d’une entrée gratuite et habite à proximité. A ma grande surprise, de très nombreux stands proposaient beaucoup plus de livres que de fascicules publicitaires. Le choix restait encore beaucoup trop restreint, mais j’y ai vu une amélioration par rapport à ma précédente visite, il y a quelques années. La très relative diversité des exposants couplée à l’organisation de l’espace m’a même fait découvrir et acheter des oeuvres que je n’aurais à mon avis jamais vues dans une librairie « classique » [2]. J’ai cependant été déçue de constater que le nombre de visiteurs des stands tend à être proportionnel à la surface occupée par ces mêmes stands : les petits éditeurs étaient généralement délaissés au profit des plus gros. S’agit-il d’une conséquence de la massification de la culture ? Ce phénomène s’explique-t-il par le désintérêt porté à la Foire du Livre par les individus à la recherche de diversité littéraire ? La Foire du Livre reste, en effet, un événement discriminant tant que pour les petites maisons d’édition que pour le public qui doit payer un droit d’entrée (8€ cette année).

Si bon nombre aimeraient voir la culture comme un espace de liberté, de diversité et de créativité, tant l’histoire que les temps présents dévoilent de nombreux cas radicalement opposés où la culture apparaît plus comme un espace de contrainte et de restriction. L’article de Gaëlle Mouton, "L’Europe se serre la culture", décrit la situation actuelle en Europe, où la culture est entravée par des politiques d’austérité économique, et relate le cas concret du collectif belge Conseildead, directement confronté aux restrictions budgétaires de Fadila Laanan. Le contexte économique ne doit cependant pas être compris comme seule cause des diverses contraintes qui font de la culture un espace peu démocratique. Comme nous le décrit Lise Grejo dans son article "Critique de la critique (I)", des rapports de pouvoir et de domination préexistent aux mécanismes propres à l’économie capitaliste. Et sous un angle encore plus sombre, l’article "Le nazisme et la culture" de Ataulfo Riera, inspiré d’une conférence de Franck Lepage, nous décrit comment la culture a été utilisée à des fins de propagande nazie en Allemagne.

La Foire du Livre consacrait également quelques très rares stands aux ouvrages numériques. Dans l’article « Nous sommes à un tournant majeur de l’histoire de l’édition », François Gèze, président-directeur général de La Découverte, est très optimiste sur les possibilités offertes par les technologies numériques dans le contexte de l’édition. Google, quant à lui y a vu une opportunité financière de grande ampleur... au détriment des auteurs (voir article de Jean Pérès : "L’alliance de Google avec les éditeurs Les enjeux, les accords"). Pour ma part j’ai une opinion assez mitigée sur cette nouvelle technologie dont je ne vois une utilité affirmée que pour les lecteurs dont la vision serait imparfaite - tels que les personnes âgées, par exemple - ou peut-être aussi pour les longs déplacements - un lecteur numérique et plusieurs fichiers sur une clé USB sont bien moins encombrants qu’une dizaine de livres. Mais comment se passer du plaisir du toucher et de l’odeur de cet objet orné d’une couverture qu’il serait bien souvent dommage de cacher, voire de supprimer. Quant à l’impact écologique, est-il vraiment moindre en produisant plus de lecteurs numériques que d’amateurs de lecture - la surconsommation technologique ne ferait certainement pas une exception de ce cas [3] ? Et quid de toutes les dépenses technologiques nécessaires à la remise en circulation d’ouvrages qui ne seront peut-être lus que par quelques rares individus ?

Pour entamer ce numéro du JIM, nous vous invitons à lire, à partir du 19 mars, l’article de Marilena Chaui, professeure de philosophie à l’université de Sao Paulo, qui analyse les rapports entre "Culture et démocratie ".

Ode pour l’équipe du JIM

Notes

[2j’ai pour mauvaise habitude, dès mon entrée dans une librairie, de me diriger le plus rapidement possible vers mon but - qui est bien souvent le rayon SF - avec des oeillères m’isolant des autres rayons

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