Qu’est-ce que la radioactivité ?
La radioactivité est le phénomène physique par lequel les noyaux de certains atomes instables se transforment en d’autres atomes plus stables par l’émission d’énergie sous forme de rayonnements.
Essayons de clarifier un peu la définition qui précède.
Les atomes sont constitués d’un noyau atomique entouré d’un nuage électronique. Le noyau atomique est lui-même constitué de neutrons, électriquement neutres, et de protons, portant une charge électrique positive. Le nuage électronique est constitué d’électrons, porteurs d’une charge électrique négative, d’un nombre égal au nombre de protons dans le noyau, de sorte qu’un atome soit électriquement neutre.
Si le nombre de protons et d’électrons doit être identique de manière à assurer la neutralité électrique de l’atome, le nombre de neutrons peut lui varier. Les atomes issus de ces variations sont appelés isotopes.
Ces isotopes sont souvent instables et peuvent, en émettant de l’énergie sous forme de rayonnement (voir plus bas), se retrouver dans une configuration atomique plus stable. C’est la radioactivité.
Pour illustrer tout cela, prenons l’exemple du carbone :
La forme la plus répandue [3] du carbone (noté C dans le tableau périodique des éléments) est composée de 6 protons et 6 neutrons et est appelé Carbone 12 (). Le 12 représente la masse atomique de l’atome, en gros, l’addition du nombre de protons et de neutrons [4]
Le carbone possède 16 isotopes connus ; mais, en dehors du (6 protons + 6 neutrons), on ne trouve dans la nature que deux autres isotopes du carbone : le (6 protons et 7 neutrons) et le (6 protons et 8 neutrons) [5].
Le et le sont des formes stables du carbone. Ce n’est pas le cas du qui se désintègre en (Azote 14 : 7 protons et 7 neutrons).
Mais, s’il existe 16 isotopes connus, pourquoi n’en trouve-t-on naturellement que 3 ?
Puisque les isotopes instables se désintègrent, ils disparaîtront complètement au bout d’un certain temps. La variable temporelle généralement utilisée pour caractériser l’instabilité d’un isotope est le temps de demi-vie. C’est à dire le temps nécessaire pour que la moitié d’un échantillon de l’isotope en question se soit désintégré.
Pour revenir à notre exemple du carbone, le temps de demi-vie du est de 5730 ans. Ce qui signifie qu’après 5730 ans, un échantillon de aura diminué de moitié (l’autre moitié étant devenu du ). [6]
Un autre isotope du carbone, le (6 protons et 5 neutrons) est fréquement utilisé comme traceur en médecine. Il se transforme en (Bore 11 : 5 protons et 6 neutrons) et a une demi-vie de 20,38 minutes.
On peut donc comprendre qu’il n’en subsiste plus à l’état naturel vu sa demi-vie très courte.
La désintégration radioactive ne s’effectue pas selon une progression linéaire mais bien exponentielle.
Donc, un élément radioactif ne se sera pas complètement désintégré après 2 fois le temps de demi-vie.
Après le temps de demi-vie, la moitié de la quantité initiale se sera désintégrée. Après une deuxième période égale au temps de demi-vie, la moitié de la quantité restante se sera à son tour désintégrée. Il restera donc, la moitié de la moitié, c’est à dire le quart de la quantité initiale. Après une troisième période de demi-vie, il restera donc la moitié du quart restant, donc un huitième de la quantité initiale. Et ainsi de suite.
Prenons l’exemple d’un échantillon de 1000 atomes de qui possède une demi-vie de 5730 ans.
Donc, après 5730 ans, il ne restera plus que 500 atomes de .
Après 11460 ans, 250 atomes. Après 17190 ans, 125 atomes. Après 22920 ans, 72 atomes. Après 28650 ans, 36 atomes, ...
Au final, il faudra 63030 ans pour que l’ensemble de notre échantillon de se soit désintégré.
Les différentes formes de radioactivité
Comme on l’a vu, la radioactivité consiste en la désintégration d’un atome instable vers un autre atome plus stable. Cette désintégration émet de l’énergie sous forme de rayonnement.
Ces rayonnements sont au nombre de 3, appelés : (alpha), (beta+) et (beta-).
On parle alors de radioactivité et de radioactivité , en fonction du rayonnement émis.
De manière schématique, la radioactivité correspond à l’émission d’un noyau d’hélium ( : 2 protons et 2 neutrons). Le noyau source perd donc 4 unités de masse atomique dans l’opération.
Par exemple, un atome de radium peut se désintégrer en un atome de radon (lui-même radioactif) et une particule (un noyau d’helium donc) [7]
La radioactivité conserve la masse atomique du noyau source et transforme donc :
soit un neutron surnuméraire en proton (émission )
soit un proton surnuméraire en neutron (émission )
Toutes ces rayonnements sont ionisants, c’est à dire que comme ils sont chargés électriquement [8], ils peuvent interagir avec la matière et l’ioniser.
Ces émissions radioactives laissent souvent l’atome résultant dans un état qu’on qualifie d’excité dans le sens où il se trouve dans un état d’énergie supérieur à son état fondamental. Dans ces cas, il retourne dans son état fondamental en émettant un rayon (gamma), un rayonnement électromagnétique similaire aux rayons X, aux UV ou à la lumière visible, la particule élémentaire associée à ce rayonnement est le photon.
Ces rayons peuvent également interagir avec la matière, ce qui peut provoquer une ionisation indirecte.
Les unités de mesure
Il existe de nombreuses unités de mesure de la radioactivité. Les plus répandues sont les suivantes :
Le Becquerel (Bq) : mesure l’activité radioactive d’une source. Elle correspond au nombre de désintégrations radioactives par seconde. On retrouve souvent une mesure de l’activité volumique, c’est à dire un nombre de Becquerel par mètre cube (Bq/m³)
Pour mesurer l’incidence de la radioactivité sur une cible, on utilise des grandeurs subjectives [9] telles que la dose absorbée, mesurée en Gray (Gy) et qui représente la quantité d’énergie par kilogramme reçue par la cible en question.
Une autre grandeur subjective fréquemment utilisée est la dose efficace, mesurée en Sievert (Sv) et le plus souvent en milli-sievert (mSv - un millième de Sv) ou micro-sievert (µSv - un millionième de Sv). Elle mesure l’impact des rayonnements ionisants sur des tissus biologiques. Elle est définie par la dose absorbée corrigée par des facteurs tenant compte de la dangerosité du rayonnement considéré ainsi que de la sensibilité du tissu biologique considéré. C’est cette mesure qui est utilisée pour estimer les risques stochastiques (voir plus bas) et donc les risques de cancers.
Radioactivité naturelle et artificielle
La radioactivité est à l’origine un phénomène naturel en raison de l’existence dans la nature d’éléments radioactifs (provenant généralement d’événements cosmiques - supernovae, rayons cosmiques, ...). Le principal isotope naturel radioactif est le radon 222 ( - demi-vie 3,8 jours) qui résulte de la chaîne de désintégration de l’uranium 238 ()
Avec la (très relative) maîtrise de l’atome, l’être humain a également commencé à produire des isotopes volontairement (par ex. en médecine ou en recherche nucléaire, la production de combustible nucléaire, ...) ou involontairement (comme résultat d’activités telles que les retombées de bombes nucléaires, les déchets radioactifs provenant des centrales, les catastrophes comme Tchernobyl ou Fukushima, ...).
Cette activité humaine a eu pour conséquence la dissémination dans l’environnement d’isotopes potentiellement dangereux, tels que le césium 137 ( - demi-vie de 30,15 ans) [10], l’iode 131 ( - demi-vie 8 jours) [11] ou le plutonium 239 ( - demi-vie 24110 ans) [12].
Dès lors, la plupart des pays ont mis en place des réseaux de mesure de la radioactivité. Ces mesures sont plus ou moins transparentes et/ou accessibles en fonction des pays.
En Belgique, le site Telerad de l’Agence Fédérale de controle nucléaire permet de visualiser les mesures de radioactivité (en µSv/h) prises sur différents points du territoire.
Au Japon, le site de l’Autorité de régulation nucléaire donne des mesures de radioactivité dans l’ensemble du pays (en nano (milliardième de) Gray par heure). Un simple coup d’oeil nous permet de voir que les émissions radioactives dans la préfecture de Fukushima sont plus de 300 fois plus importantes que dans la préfecture de Kanagawa (proche de Tokyo).
Dangers
Les dangers de la radioactivité sont multiples et complexes. Les différents facteurs à prendre en compte sont (principalement) l’intensité du rayonnement, la durée de l’exposition et la nature des tissus irradiés.
On a vu plus haut que les émissions radioactives (, et , ) étaient (directement ou indirectement) ionisantes et donc susceptibles d’interagir avec la matière. Mais chacune de ces émissions possède un degré de pénétration différent.
Les émissions , constituées de noyaux d’helium et possédant 2 charges positives, interagissent très rapidement et pénètrent très peu la matière. Une feuille de papier suffit à les stopper.
Les émissions , constituées d’électrons (ou de positrons) possédant une charge négative (ou positive) sont plus légers et interagissent moins rapidement avec la matière que les émissions alpha. Une plaque d’aluminium parvient à les arrêter.
Les émissions sont constituées de photons, non-chargés électriquement, qui n’interagissent pratiquement pas avec la matière et sont donc très pénétrants. Des plaques de plomb permettent de les atténuer (mais non de les arrêter complètement [13]).
On voit donc que dans le cas d’une irradiation externe, les émissions sont a priori les plus redoutables puisque les plus difficiles à arrêter.
Mais l’irradiation peut également être interne en cas d’ingestion (par voie respiratoire ou via la chaîne alimentaire par exemple) d’éléments radioactifs. Dans ce cas-là, les émissions et , en raison de leur caractère directement ionisant, sont les plus dangereuses parce qu’elles peuvent atteindre directement certains organes importants. Lors de catastrophes nucléaires, les éléments radioactifs les plus susceptibles d’être ingérés sont l’iode 131 () et le césium 137 ().
Les effets de l’irradiation peuvent être
soit déterministes : les symptomes apparaissent peu de temps après l’irradiation et sont directement liés à la dose reçue. Dans le cas d’une forte exposition sur l’ensemble du corps, on observe un syndrome d’irradiation aiguë qui peut être mortel au-delà de 3 à 5 Gy.
soit stochastiques, c’est à dire aléatoires. Des symptomes peuvent apparaître de manière statistique, on ne peut donc qu’associer un risque de voir un symptome apparaître lors d’une irradiation de ce type.
On voit immédiatement que les effets aléatoires posent un problème pour identifier les effets strictement dûs aux radiations d’effets externes. C’est ce qui explique les disparités énormes (et les conflits de chiffres) qui entourent le nombre de victimes des catastrophes nucléaires, puisqu’en-dehors des effets déterministes, il est quasiment impossible de déduire avec certitude qu’une maladie (comme un cancer) est directement liée à une irradiation. D’autant plus que les études sur les effets de la radioactivité à faible dose sur des temps longs restent très parcellaires [14].
La question des temps longs est particulièrement importante quand on considère la demi-vie de certains des produits radioactifs émis lors de catastrophes nucléaires, comme le (30 ans) [15] voire le dont la demi-vie est de 24000 ans...
Et concrètement ?
Tout cela restant très théorique, regardons quelque chiffres pour mieux appréhender les risques liés à la radioactivité.
Par exemple, quelle est la dose annuelle reçue par un habitant du centre de Bruxelles ?
Si l’on se fie au chiffre donné par le site Telerad, on voit que la moyenne pour la station du centre de Bruxelles est de 0,136 µSv/h. Sur une année (8760h), cela représente 1191,36 µSv ou 1,19136 mSv [16].
On estime généralement la dose annuelle de radioactivité naturelle reçue autour de 1 à 2 mSv.
Par comparaison, regardons le cas d’un habitant de Futaba dans la préfecture de Fukushima [17] et supposons que la valeur observée plus haut de 16470 nGy/h représente la moyenne. On peut généralement considérer une équivalence entre Gray et Sievert [18]. Cela nous donnerait donc : 16,470 µSv/h x 8760 h = 144277,2 µSv = 144,277 mSv/an.
C’est plus de 100 fois la dose reçue par le Bruxellois ! Quel risque cela représente-t-il pour le Japonais ?
Le seuil de déclenchement des effets déterministes commence à 1 Sv (1000 mSv), les doses potentiellement mortelles commencent à partir de 2 Sv [19].
Pour autant, notre Japonais n’est pas tiré d’affaire. En effet, on estime qu’à partir de 100 mSv le risque relatif de cancer augmente de 1%.
D’autant plus, qu’on ne parle ici que de contamination externe, alors que l’air qu’il respire et les aliments qu’il ingère sont également contaminés.
De plus, un rapide calcul montre qu’en un peu moins de 10 ans sur place, il recevra une dose équivalente à 1 Sv. On comprend dès lors toute l’importance à la fois des mesures d’évacuation des zones contaminées et la nécessité d’un contrôle strict de la contamination radioactive de la chaîne alimentaire.
Pour terminer, quelques données pour permettre de mieux appréhender les doses reçues artificiellement.
A titre informatif, la limite pour la dose annuelle artificielle reçue est généralement fixée à 1 mSv pour le public (mais à 20 mSv pour un travailleur du nucléaire) [20]
Un rayon X de la poitrine correspond à 50 µSv
Un vol transatlantique correspond +/- à 200 µSv [21]
Une mammographie représente 400 µSv
Un CT-scan abdominal représente 7 mSv (7000 µSv)
La dose moyenne annuelle totale (naturelle et artificielle) est estimée autour de 4 mSv pour le grand public.
Conclusion
L’objectif de cet article était de présenter une vue générale de la radioactivité et de ses potentiels dangers, permettant au lecteur de mieux comprendre et appréhender des enjeux plus spécifiques (exposition spécifique liée à une catastrophe nucléaire, au passage d’un convoi de déchets nucléaires, risque de contamination de la chaîne alimentaire, risque déterministe ou aléatoire, etc.). Cette approche semble nécessaire car, la complexité du sujet aidant, le public a longtemps dépendu de la parole d’experts (publics et/ou privés) dont l’intérêt principal semble avant tout de le rassurer plutôt que de l’informer comme on a pu le constater lors des nombreux incidents et catastrophes récentes [22]. Il s’agit évidemment pour eux de préserver avant tout une industrie mêlant allègrement les intérêts privés [23] et nationaux [24]. Cependant, la remise en cause de cette "parole experte" a pu faire naître des sentiments de paniques parfois peu justifiés [25] quoique parfaitement compréhensibles au vu de l’absence d’informations spécifiques (comme la présence de particules radioactives dans l’air ou la contamination de la chaîne alimentaire, cas susceptibles d’entraîner une irradiation interne).
Peu à peu, telle une cuve de réacteur de Doel ou Tihange, le mythe du "risque zéro" du nucléaire a commencé à se fissurer. La question n’étant dès lors plus de savoir si un accident majeur va se produire ; mais plutôt quand il se produira. Le vieillissement du parc nucléaire, l’incapacité des autorités et des opérateurs à prévoir, par définition, l’imprévisible et, pire, leurs réactions instinctives de systématiquement nier ou minimiser les accidents nucléaires, nous montre à quel point l’industrie nucléaire fait pendre, non seulement au-dessus de nos têtes, mais également au-dessus de celles de générations encore à naître, une véritable épée de Damoclès.
La prudence la plus élémentaire devrait nous pousser à exiger la sortie immédiate (ou du moins très rapide) du nucléaire ; mais également à repenser globalement la question de nos besoins énergétiques.
Franz Tofer
A titre d’exemple, voici un tableau, basé sur des estimations fournies par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) Français à la date du 22 mars 2011 [26]. Cette estimation ne tient compte que des gaz qui se sont échappés des réacteurs et qui sont potentiellement les plus dangereux.
Sur cette liste, voici les 20 premiers par ordre d’activité (en Bq) :
Element | Demi-vie | Produit |
---|---|---|
Xe 133 | 5,243 j | Cs 133 |
I 131 | 8,0207 j | Xe 131 |
I 132 | 2,295 h | Xe 132 |
Te 132 | 3,204 j | I 132 |
I 133 | 20,8 h | Xe 133 |
Xe 133m [27] | 2,19 j | Xe 133 |
Xe 135 | 9,17 h | Cs 135 |
Xe 131m | 11,934 j | Xe 131 |
Cs 134 | 2,065 a | Ba 134 |
Cs 137 | 30,167 a | Ba 137 |
Te 129m | 33,6 j | Te 129 |
Cs 136 | 13,16 j | Ba 136 |
Te 127 | 9,35 h | I 127 |
Sb 127 | 3,85 j | Te 127m |
Te 131m | 30 h | Te 131 |
Sb 130 | 39,5 m | Te 130 |
Te 127m | 109 j | Te 127 |
Xe 135m | 15,29 m | Xe 135 |
Sb 125 | 2,7586 a | Te 125m |
Te 131 | 25 m | I 131 |
Kr 85m | 4,480 h | Rb 85 (78,6%) Kr 85 (21,4%) |
Te 125m | 57,40 j | Te 125 |
On voit que ceux dont la demi-vie dépasse une semaine sont plus limités, essentiellement des isotopes de l’iode, du césium, du tellure et de l’antimoine. Sur des temps plus longs (de l’ordre de quelques années), c’est essentiellement le césium qui va perdurer (non seulement le césium initialement présent ; mais également celui produit par les désintégrations secondaires du xénon et de l’iode par exemple).
Pour autant, la dispersion atmosphérique peut être très rapide. L’IRSN a effectué une modélisation de la dispersion des rejets de la centrale de Fukushima (voir l’animation), et l’on constate qu’après une semaine, l’amérique du nord est touchée, après 10 jours, l’Europe commence à être atteinte et que le 29 mars (18 jours plus tard), l’ensemble de la planète est impactée [28].