Une prépension est un système qui permet à un travailleur d’interrompre plus tôt sa carrière s’il remplit certaines conditions. L’âge de la pension est au plus tôt à 60,5 ans depuis 2013. Au plus tard à 65 ans. Cette marge s’explique par le fait qu’il y a une autre condition que l’âge pour pouvoir partir à la pension : la durée de la carrière. En effet, nous n’avons pas tous commencé à travailler en même temps. Certains ont débuté dès leurs 16 ans, d’autres à 23 ans, etc. Mais pour avoir le droit à la pension complète, il faut avoir travaillé durant une période de minimum xxx années.
La prépension est calquée sur le même principe : satisfaire à des conditions d’âge et de carrière pour pouvoir partir plus tôt.
Pourquoi eux et pas moi ?
Les travailleurs qui bénéficient d’une prépension sont-ils des profiteurs ? Pourquoi eux pourraient-ils arrêter de travailler plus tôt et pas moi ? Le système de prépension a été instauré pour deux raisons. Premièrement, la difficulté pour des travailleurs âgés de retrouver du travail après un licenciement. Malgré les déclarations du gouvernement, trouver un job après 50 ans relève du miracle. Qui plus est si on a travaillé toute sa vie dans la même entreprise où l’on a pris ses habitudes, où l’on s’est formé, etc. Quand la boîte ferme, c’est toute une vie qui s’écroule. Ce n’est pas un hasard, le système de prépensions en Belgique a été créé en 1974, au début du choc pétrolier [1].
Deuxièmement parce que tous les métiers ne se valent pas. Certains travailleurs ont trimé toute leur vie en plein air, qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente ou qu’il y ait canicule (c’est par exemple le cas des ouvriers de la construction), d’autres ont un métier très pénible où l’on porte des charges toute la journée (c’est encore le cas de la construction), ou bien travaillent la nuit (c’est le cas des ouvriers des entreprises qui ne cessent jamais de tourner : un haut fourneau, une raffinerie, une usine pétrochimique, etc.). Enfin, les travailleurs avec un handicap ou qui ont été victimes d’un accident de travail les ayant invalidés ont aussi droit à des conditions de départ à la retraite plus avantageuses (voir notre encadré).
Bref, pourquoi eux et pourquoi pas vous, cela a du sens. Mais chacun est « libre » de demander à son entreprise de fermer, de se couper le doigt, de travailler vingt ans durant la nuit ou de porter des sacs de ciment jusqu’à cinquante ans pour bénéficier d’une prépension. Du moins, libre... Signalons un autre élément important : la prépension n’est jamais un droit. Il faut que l’employeur "accepte" de licencier le travailleur pour que celui-ci obtienne sa prépension. Se couper le doigt n’est donc utile que si le patron est d’accord pour vous licencier.
- Travailler oui, mais jusqu’à quel âge ? (crédits : archives américaines</A>)
D’accord, mais qui paie pendant qu’eux se détendent ?
C’est là qu’est l’astuce. Depuis de nombreuses années, les employeurs réclament la suppression des prépensions. Au nom disent-ils de la sauvegarde de l’économie ou de l’activité des ainés [2]. En réalité, c’est uniquement parce que les prépensions leur coûtent des soussous. En effet, le travailleur prépensionné n’est plus réellement travailleur mais n’est pas encore retraité. Dans le cas de la retraite, tout le montant de la pension serait payé par la collectivité (l’Etat). Dans le cas d’une prépension, via un calcul complexe [3], une grande partie est assumée par la collectivité, une plus petite part… est payée par le patron. En plus de cela, les cotisations sociales, qui financent la sécurité sociale, sont plus élevées pour les prépensions que pour le chômage. La vraie raison, c’est donc celle-là : les patrons veulent se débarrasser d’un système qui leur coûte de l’argent. Ils veulent bien épuiser les travailleurs, à coups de travail de nuit, de portage de sac de ciments, d’accidents de travail, etc. … Mais refusent d’assumer et de payer les conséquences. Un travailleur qui est mis au chômage plutôt que d’être prépensionné aura ses allocations entièrement payées par la collectivité [4]
La prépension nous permet de travailler moins
Pourtant, les prépensions sont indispensables dans un système où la pression sur les travailleurs est de plus en plus forte. Même si le système n’est pas automatique, travailler moins longtemps signifie qu’on cède alors sa place à un autre travailleur, plus jeune. C’est également une forme de réduction globale et collective du temps de travail. Elle n’est plus exprimée par un nombre d’heures par semaines (de 38h à 35h par semaine, par exemple), mais sur l’ensemble de la carrière de tous les travailleurs (en moyenne les travailleurs ont une carrière de x années).
Le gouvernement et le patronat nous font travailler plus
Or, aujourd’hui, la politique vis-à-vis des travailleurs plus âgés est complètement schizophrène. Très peu d’entreprises veulent les garder [5] mais l’Etat belge, poussé dans le dos par l’Union Européenne [6], veut les faire travailler plus longtemps. Résultat : ces travailleurs se retrouvent au chômage et coûtent plus cher à la collectivité que s’ils étaient prépensionnés.
- La rage libérale...
Enfin, officiellement et philosophiquement, les prépensions ont officiellement... disparu. Depuis le premier janvier 2012, elles s’appellent « Régime de chômage avec complément d’entreprise ». Le travailleur est considéré comme un chômeur et doit donc être "activé" et bien entendu contrôlé par l’ONEM. Par ailleurs, on décourage le patronat "conciliant" [7] d’octroyer des prépensions. Les cotisations sociales payées par l’employeur en cas de prépension sont en très forte hausse. Le seul espoir, dans cette politique du pire, est que la lutte syndicale, en l’absence de possibilité de sortie, sera plus forte. Et plus désespérée.
En bref, la disparition prochaine de la plupart des prépensions permettra de nous faire travailler plus pour gagner moins. Dans le contexte actuel, regagner cette désormais ancienne conquête sociale que sont les prépensions est une gageure. Elles ont été sorties du système par la petite porte. Pour autant, un combat global pour la réduction collective du temps de travail pourrait leur permettre de revenir par la fenêtre.
- ... contamine le PS (action de la CNE contre l’austérité 30/01/2012)
Les premières attaques contre les prépensions sont récentes. Elles remontent à 2005 et au "pacte de solidarité entre les générations", au nom trompeur [8]. Ainsi la prépension conventionnelle passe de 58 à 60 ans et exige progressivement que l’on ait pas moins de 35 ans de carrière [9]. D’autres restrictions sont également adoptées et diverses compensations accordées [10]. On crée par exemple la notion "de métier lourd", pour maintenir une assise à la prépension à 58 ans. Le hic : la notion de métier lourd n’a jamais été définie au-delà de l’inclusion du travail en équipes successives. A l’époque, les syndicats avaient réagi en ordre dispersé.
Le front commun syndical fut plus homogène lors de la deuxième offensive contre les prépensions. Fin 2011, le gouvernement libéral - social-chrétien - socialiste prends en priorité des mesures d’austérité. Parmi celles-ci, l’augmentation de la carrière légale [11], la fin de la pension de survie [12]... et l’extrême durcissement des possibilités de prépensions. Les entreprises qui licencient ne peuvent ainsi plus recourir à la prépension à 50 ans. Petit à petit, on passera à 55 ans. La prépension à mi-temps, qui permettait un atterrissage en douceur est supprimée [13].
En septembre 2011, quelques mois avant la fin des prépensions, le nouveau président de la Fédération des Entreprises de Belgique plaidait pour un allongement de la carrière. Si ce n’est le report de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans, il a été exaucé, au chiffre près, par le gouvernement Di Rupo.
GC