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La chronique d’Eric Léon

Toujours sur la route de Katana

lundi 11 février 2013, par Louis Jazz

Près de Bukavu au Congo, il y a un petit village, en plein coeur du Sud-Kivu : Katana. Dans le cimetière des pères blancs de Katana repose mon grand-oncle Alphonse avec ses secrets : il est resté entre le Congo, le Burundi et le Rwanda durant le génocide et ce n’était pas un nouveau venu. Dans ma famille très catholique, Alphonse est un héro. En dehors de ma famille, l’église catholique a collaboré activement avec les génocidaires. Un jour, j’irai à Katana percer les secrets de mon grand-oncle. Je vous raconterai comment c’est et vous enverrai une carte postale. Mais pour le moment, je suis au Rwanda en route vers le petit village près de Bukavu. Quelques extraits de mon carnet de route.

Kigali

13 décembre 2012

Je n’ai pas beaucoup avancé sur la route de Katana depuis la dernière fois. Toujours entre Bruxelles et Bukavu, à Kigali, prof à l’Ecole Belge de Kigali, E.B.K. Ma compagne et moi-même n’avons jamais cherché à travailler dans une Ecole Belge en Afrique. En rentrant un soir du boulot, elle d’un centre pour enfants non-accompagnés et moi d’une école à discrimination positive dans le centre de Bruxelles, on ne s’était même pas donné la peine de se dire bonjour et on s’est affalés devant la télé. Quelques jours plus tard, on s’est dit qu’il nous fallait reprendre la route, peu importe la destination, mais la route nous appelait. Nous voilà au Rwanda.

Comment expliquer ce que sont les écoles belges... A part le programme, l’Ecole Belge de Kigali (EBK) n’a rien de... Belge. C’est une école privée de droit rwandais gérée par un Comité d’Administration composé essentiellement de quelques parents d’élèves, de notables locaux et d’expats. Le président du conseil est d’origine belge, ça l’a toujours été, le vice président est rwandais, ça ne l’a pas toujours été. Les Ecoles Belges d’Afrique ont d’abord été créées pour assurer l’éducation des enfants de colons et ensuite d’expats belges, avec un enseignement bilingue. L’école n’a jamais reçu de financement d’aucun réseau d’enseignement belge mais l’ancienneté était reconnue. Ensuite, est arrivée la guerre. L’école en porte encore les impacts. Quand il pleut fort, dans certains locaux, l’eau passe au travers des trous de balle. Suite à la guerre et au rapatriement massif de profs vers la Belgique réclamant un poste dans un école, les syndicats ont décidé de ne plus reconnaître l’ancienneté des profs belges en Afrique.

Vers 1997, l’EBK se remet à tourner. Des personnes se font encore égorger dans les rues et les coups de feu ne sont pas rares. Les profs qui reviennent à ce moment n’ont plus rien à perdre et l’école tourne avec une dizaine d’élèves. Les choses commencent à se remettre en place petit à petit. L’année scolaire passée, 2011-2012 est sortie la première promotions d’élèves nés après le génocide. Et l’école devient de moins en moins belges, à part les profs. Aux alentours de 60% des élèves sont d’origine rwandaise, 20% d’Afrique de l’Ouest ou RDC qui veulent conserver le français comme langue d’apprentissage. Toutes les autres écoles à part le Lycée français sont anglophones. Le reste des sont des enfants d’expats, en majorité belges. En ce qui concerne les profs, 95% sont belges. La couleur de la peau est un gage de qualité... Il y a trois ans, le prof d’économie d’origine congolaise, même avec ses diplômes allemands et son expérience de prof n’a pas eu son contrat renouvelé, les élèves « ne l’aimaient pas ». Et donc, les parents du CA non-plus. Licenciement abusif, on est tous d’accord. Mais face au CA, les profs n’ont pas beaucoup de poids : aucun lien avec la Belgique et par conséquent, pas de syndicat. Ou plus de syndicat depuis qu’il a lâché les profs d’Afrique en 1994. J’ai personnellement continué à payer mes cotisations à la CGSP pendant trois ans jusqu’à ce qu’un délégué me dise que ça ne servait à rien...

On a bien des délégués de profs, deux pour la section secondaire et quatre pour le fondamental. Cependant, sans moyens de pression, on ne sait pas faire grand chose. Les demandes (on ne peut pas parler de revendications, c’est mal vu) sont basées principalement sur les statuts des profs : contrats négociés individuellement, conditions minimales à l’OSSOM [1] pour lesquelles on cotise à 60% nous permettraient d’avoir une pension de 8000€ par ans après 20 ans de carrière. Pas de reconnaissance de notre expérience en Belgique, reconnaissance des diplômes et de l’expérience aléatoire, fonction de notre bagout à l’entretient d’embauche, décret de Bologne reste à Bologne. En ce qui concerne le salaire, le brut équivaut au net de Belgique, pour les profs d’origine belge au statut Expat. En ce qui concerne les profs d’origine africaine, ils sont d’office au contrat local ou vacataire, ce qui ne représente pas grand chose point de vue salarial. La charge de travail de tous les profs est assez conséquente puisqu’elle dépasse largement la charge horaire belge avec en plus la participation volontaire aux activités de l’école telles que fêtes (pour avoir de l’argent pour les caisses de l’école) et gestion des locaux. Dans mon cas, dans les locaux de chimie et bio étaient stocké des réactifs depuis les années ’60 ! Le travail d’assainissement de ces locaux a été fait par mes soins, gratis (seule personne compétente ?! En Belgique, c’est le service de déminage qui se charge de ces trucs là...) car certains produits commençaient à ronger les armoires, les produits organiques rangés avec les bases et les acides forts ! Le sodium et le potassium purs à même le sol... (tout ça aurait pu faire une belle explosion, parole de prof de chimie !). La gestion du matériel, en particulier des locaux de sciences est une conséquence d’un renouvellement casi permanent des profs ici : 2 ans en moyenne.

Le personnel d’entretient est payé en moyenne moins de 100€ le mois, sans aucun avantages, même pas pour le transport.

Les avantages donnés par le statut d’expat sont une maison à disposition (pas spécialement en bon état, miné d’éternit), un billet d’avion aller-retour vers la Belgique et le meilleur salaire de l’école qui est... la moitié du brut belge. Les barèmes sont aléatoires, probablement réalisés sur un coin de table par quelques membres du CA qui en réalité, a pouvoir de décision sur tout ce qui concerne l’école, même le pédagogique. Il est à remarquer que je n’ai jamais réussi à avoir une vraie discussion pédagogique avec un membre du CA, j’ai par contre plus souvent écho de leur part des habituels stéréotypes circulant sur la profession.

Dans la classe sociale expat, il y a plusieurs sous-classes. Les plus aisées sont les hommes d’affaires (et leur femme au foyer, de véritables desperate housewife), ensuite viennent les coopérants (et leurs femmes au foyer, de véritables desperate housewife) et en bas, les profs, desquels les femmes travaillent aussi. Tous les expats ont des employés de maison. Gardien : obligé. Nounou, car il n’y a pas d’établissements pour les tout petits avant 2 ans et pas d’école avant le primaire ouvert certains après-midi. Jardinier, homme-à-tout-faire, Cuisinier-chargé-de-l’entretient : aléatoire. Il est cependant très mal vu par les rwandais de ne pas embaucher de la main d’oeuvre locale, le niveau économique du rwandais moyen n’ayant même rien à voir avec le moins bien payé des profs de l’Ecole Belge ! Dans le cas des expats les plus aisés, chauffeur est compris pour conduire femme et enfants, un employé de maison s’occupe de préparer les cartables des enfants et il peut même y avoir plusieurs nounous par foyer ! Je ne connais pas les chiffres exacts, mais je suis presque sûr que plus de la moitié des rwandais au travail sont employés de maison. Même nos amis rwandais de milieux sociaux modestes ont des « groom » à la maison, parfois entre personnes de même famille, une sorte de sécurité sociale. Cependant chez les expats les moins roublards, les salaires sont au-dessus de la moyenne nationale (30000Frw [2] seulement !) avec paiement de la caisse sociale et caisse de soins de santé. Au Rwanda, la sécurité sociale et les soins de santé donnent accès à des services de seconde zone... Mais des services quand-même.

Notre seul lien avec le Belgique est donc le programme de la communauté française. Des inspecteurs viennent chaque année pour la validation du diplôme des élèves, mais c’est tout. L’Ecole se finance par minerval ses fêtes et la location de quelques-une de ses maisons.

Il n’arrête pas de pleuvoir ces jours-ci... Changement climatique paraît-il, la saison sèche devrait déjà être là. Ah. La pluie me rend mélancolique.

Un autre monde n’est-ce pas ?

A suivre…

Eric Léon

Les précédentes chroniques :

- Tantale, Antonov et condensateurs, 22 janvier 2011
- migrant,e adj. et n. , 19 février 2011
- Ethnos, peuple, 3 juillet 2011
- Ethnos, peuple Deuxième partie : Akazu, la pluie et la Sainte-Famille, 7 octobre 2012
- Sur la route de Katana, 4 décembre 2012
- Encore sur la route de Katana, 31 décembre 2012

Notes

[1Organisation de Sécurité Sociale d’Outre Mer

[2820Frw = 1€

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