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L’Union européenne, un régime post-démocratique ? (Deuxième et dernière partie)

Deuxième partie : Des institutions aux Traités et à la Gouvernance économique

dimanche 28 octobre 2012, par Didier Brissa

Fin 2011, à propos des orientations de la déclaration gouvernementale, Wouter Beke (président du CD&V) affirma : « Parler de gouvernement de gauche ou de droite n’a pas de sens puisque ce sera avant tout un gouvernement européen, un gouvernement qui sera contraint de faire ce que lui impose l’Europe. »

[suite de l’article L’Union européenne, un régime post-démocratique ?]

Des institutions aux Traités et à la Gouvernance économique [1]

L’Union européenne, à travers la succession de traités et d’accords récents sur la gouvernance économique de l’Union et les fonds de soutien financier aux états en difficultés de remboursement de leur dette, a adopté une attitude « austéritaire » jusqu’au bout des ongles… « Austéritaire », voilà bien le néologisme approprié pour qualifier l’orientation générale des décisions politiques européennes face à la crise financière. Tout y est fondé à la fois sur l’austérité budgétaire dans tous les domaines et sur un contournement des dispositifs démocratiques d’un certain nombre d’États membres de l’Union européenne [2]. Par la volonté d’inscription dans les Constitutions nationales de l’équilibre obligatoire en matière de déficit budgétaire et de dette publique (« règle d’or »), les gouvernements européens piétinent la démocratie et décident de se soumettre définitivement aux règles du marché et à l’oligarchie financière.

« La crise économique et financière mondiale a prouvé que le système actuel de gouvernance économique mondial n’était plus adéquat pour répondre au défis qui se posent aujourd’hui. Nos institutions et nos structures de gouvernance doivent devenir plus représentatives, plus crédibles, plus comptables de leurs actes et plus efficaces. »

[/Ban Ki-moon, 27/04/2009/]

Les traités de 1992 (Maastricht) et 1997 (Amsterdam) inscrivaient déjà des prescrits économiques quant à l’orientation des choix de politique budgétaire des états-membres, le pacte de 1997 (Stabilité et Croissance) ouvrait quant à lui la mise en place d’une surveillance multilatérale entre états et des dispositifs dissuasifs d’alerte en cas de dépassement excessif (sic). Ce dernier point débouchera dans les accords ultérieurs sur des procédures de mise à l’amende. Le traité de Lisbonne (2007) dans son article 123 (reprenant l’article 104 du traité de Maastricht) consacrera l’interdiction faite à la BCE (et aux banques centrales des états-membres) de prêter à leurs propres gouvernements (ainsi qu’à toutes leurs autres entités : région, ville, commune, entreprises publiques, etc.), obligeant donc les structures publiques à avoir recours uniquement aux prêteurs privés aux taux variables (et beaucoup plus élevés) du marché. L’UE mettait ainsi ses états-membres sous la coupe réglée de la finance internationale. Le Pacte de réforme structurelle durcit un certain nombre de critère dont un « taux d’emploi » de 75% (et non plus de 70%). Sans véritable politique de création nette d’équivalent temps-plein, la « création d’emploi » passe nécessairement par un accroissement de la concurrence des travailleurs (subsides à l’emploi, baisses de cotisations, etc.) entre eux afin de faire baisser les salaires (le discours de la compétitivité). Comment ? Par le recul de l’âge de la retraite, les restrictions à l’accès aux prépensions, la chasse aux chômeurs… entre autres. Le Pacte de « L’Euro Plus » poursuit quatre objectifs officiels : stimuler la compétitivité ; stimuler l’emploi ; contribuer à la durabilité des finances publiques ; renforcer la stabilité financière. Entre autres par le biais d’une coordination des politiques fiscales, mais pas dans le sens d’une harmonisation vers le haut. Chaque année, les dirigeants des pays de l’euro-plus devront présenter des objectifs en rapport avec ces thèmes. Il est précisé : « [Les pays] adopteront, dans le respect des traditions de dialogue social, des mesures destinées à assurer que l’évolution des coûts salariaux reste en ligne avec la productivité ». En octobre 2011 interviennent des renforcements du pacte Stabilité et Croissance, par le biais de deux instruments : dont le « 6-pack » (décembre 2011) et le Semestre européen (en vigueur à partir de janvier 2012). Le « 6-pack » est un ensemble de cinq Règlements et une directive qui ont pour objectif de renforcer et élargir la surveillance et la possibilité de sanctions. En résumé, l’austérité n’est plus un choix et n’a plus de limite dans le temps, elle devient la Règle de tout temps… La Commission transforme en loi le transfert grandissant des revenus du travail vers les revenus du capital.

Le Semestre européen est un « calendrier perpétuel » dans lequel le 6-pack doit être annuellement concrétisé au niveau européen. Le premier semestre européen a débuté en janvier 2012 et suit une chronologie stricte. Il cadenasse et accélère l’agenda donnant à la Commission un droit de regard et de sanction mais cette fois dès la confection des politiques budgétaires nationales, confisquant ainsi une grande partie du choix démocratique national et du temps politique qu’il nécessite. Ce mécanisme instaure la primauté et le contrôle direct de la Commission et du Conseil sur l’élaboration du budget de chacun des états-membres en reléguant les parlements nationaux à un rôle de chambre d’entérinement. On ne peut que « tiquer » un certain nombre de fois à la lecture du paragraphe qui précède, car cela doit heurter notre définition d’une démocratie… En effet, dans une démocratie, les choix budgétaires et les règles qui permettent de les établir sont le résultat des choix politiques de citoyens qui, par des élections, ont composé des parlements chargés d’élaborer les budgets et les règles, en fonction des programmes politiques sur lesquels ils ont été élus et de leur rapport de force au sein de ces parlements… Par le Semestre européen, les citoyens et leurs élus se retrouvent privés à la fois de la fixation des règles et des choix politiques qui y président. Tout au plus leur laisse-t-on la possibilité limitée de déterminer les modalités d’application de règles et de choix politiques fixés dans des instances manquant singulièrement de légitimité démocratique pour le faire. L’Union européenne vient par là d’ouvrir une nouvelle ère que l’on pourrait qualifier de post-démocratique…

Durant le premier semestre 2012, le duo franco-allemand, craignant que des changements de gouvernements (Grèce, Italie, France) ne viennent mettre à mal cet enchaînement de traités et de pactes, a souhaité « bétonner » la situation en tentant de la « constitutionnaliser ». C’est la fonction première du Pacte budgétaire européen et la fameuse « Règle d’or ». En durcissant au passage l’un des critères de convergence de gouvernance économique, ce pacte exige des États membres d’inscrire ceux-ci dans leur Constitution. Angela Merkel a fait de l’adoption de ce pacte une condition à la poursuite de l’aide aux pays en difficulté à l’intérieur de la zone euro.

De Merkozy à Merkollande… de l’austérité à la croissance ?

La proposition du gouvernement Hollande d’accompagner le pacte budgétaire d’un volet supplémentaire portant sur une politique de relance de la croissance, au contraire d’être salué comme une avancée significative, doit être dénoncée fermement. Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), lui a rapidement emboîté le pas en proposant un nouveau « pacte pour la croissance ». En reprenant le mot d’ordre de la dernière manifestation européenne (« Pour l’emploi et la croissance ») initiée par la Confédération européenne des syndicats (CES), les tenants de cette proposition cherchent à amadouer la colère des peuples face aux politiques. Cependant, dès que l’on creuse un peu de quoi pourrait être fait ce « pacte de croissance », le masque tombe assez rapidement. En effet, M. Draghi continue de prôner « la « flexibilité » du travail et une saine gestion ». Le président de la BCE veut le faire « non pas en relançant la demande européenne, (…) mais plutôt par la promotion de « réformes structurelles » (…) censées « faciliter l’entreprenariat, l’établissement de nouvelles entreprises et la création d’emplois  » [3]. Il ne s’agit donc en rien de desserrer l’étau budgétaire mais de procéder à la mise en place de mesures visant à augmenter la concurrence interne entre travailleurs de l’UE. Pour ces défenseurs du pacte budgétaire, cet éventuel « pacte de croissance » ne pourra entraîner aucune dépense supplémentaire pour l’État. Il s’agit donc de profiter de la crise pour renforcer les mesures néolibérales : travailler plus longtemps, augmenter l’âge de la pension, flexibiliser le marché du travail, faciliter le recours au travail à temps partiel et à l’intérim, supprimer les statuts, diminuer les cotisations sociales… La dernière proposition du gouvernement belge de procéder à une nouvelle diminution des charges patronales comme mesure de relance s’inscrit parfaitement dans ce cadre. Tous, nous mesurons déjà l’ampleur de l’austérité imposée aux peuples par les mesures actuelles. Le Portugal, l’Espagne et surtout la Grèce nous donnent un aperçu de ce que produirait une austérité encore accrue… Il s’agit donc, pour nous acteurs sociaux, de ne pas tomber dans ce piège consistant à tolérer la mise en œuvre de politiques d’austérité permanente, marchandée en échange de pseudo-plans de relance camouflant très mal des attaques supplémentaires contre les droits des salariés et allocataires sociaux en Europe. On doit l’affirmer avec force : il n’y a pas de relance de l’activité économique possible sans une politique d’investissement public ambitieuse. Par ailleurs, le pacte budgétaire ne se contente pas d’interdire tout déficit public, mais condamne a priori d’éventuelles mesures visant à augmenter les recettes fiscales. Une augmentation de la progressivité de l’impôt ou la mise en place d’une taxe exceptionnelle sur les grosses fortunes, taxe qui pourrait rapporter des dizaines de milliards d’euros à l’État belge et ainsi financer une politique de relance digne de ce nom, seront purement et simplement interdites par le Traité. La conséquence est évidente : l’équilibre budgétaire ne pourra se réaliser qu’en réduisant les dépenses. L’austérité ne sera plus un choix mais deviendra une règle qui s’imposera ad vitam aeternam. Depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, la Commission travaille avec acharnement sur plusieurs projets de directives et de règlements qui pourraient devenir les instruments de cette nouvelle offensive contre le monde du travail :

- Malgré les mobilisations sociales et un premier rejet par le Parlement européen en mai 2009, la Commission a remis à nouveau en chantier une directive « temps de travail » visant entre autres à faire sauter les limitations supérieures, notamment en ouvrant la possibilité d’accord direct entre travailleurs et employeurs et/ou en augmentant les périodes dites de références (c’est-à-dire en permettant de dépasser la durée maximale du travail en calculant des moyennes sur plusieurs mois, voire plusieurs années, plutôt que sur un maximum hebdomadaire ou mensuel).

- Au prétexte d’alléger les « charges » pesant sur les PME de moins de 250 travailleurs, la Commission a également avancé une proposition visant à « l’exonération des PME d’une partie de la législation européenne  », faisant en sorte que ne leur soient plus applicables des pans entiers de la législation concernant la santé et la sécurité au travail, le droit du travail, la participation des travailleurs, l’information et la consultation des travailleurs (en ce compris les restructurations d’entreprises, l’information économique et financière et le bilan social avec tout ce que cela implique en termes de données statistiques nationales), la comptabilité ou encore l’environnement…

- Comme si cela ne suffisait pas, la Commission travaille encore sur l’établissement de législations, de recommandations, de directives et de règlements tirés du Livre blanc Une stratégie pour des retraites adéquates, sûres et viables dont les principaux éléments visent à relever le taux d’activité entre 55 et 64 ans. Les recommandations faites en juillet 2011 insistent surtout sur la nécessité de garder les travailleurs âgés plus longtemps au travail, surtout en augmentant l’âge de la pension et en le liant à l’espérance de vie. Pour la Commission, il faut aussi limiter l’accès à la pension anticipée qui s’applique à tous les employés ou à des professions spécifiques (la Commission parle ici de la Belgique qui permet aux travailleurs ayant des périodes complètes de contribution au système de partir plus tôt à la pension qu’à l’âge légal). Sur ces derniers points, le gouvernement Di Rupo a déjà commencé à s’attaquer aux droits des travailleurs en relevant l’âge d’accès à la prépension, avec pour objectif de le supprimer à moyen terme. Il s’agit aussi de généraliser le recours aux pensions complémentaires, tirées des fonds de pensions privés (qui sont en partie à l’origine de la crise financière de 2008 et ont fortement souffert de celle-ci).

- Pratiquant la « stratégie du choc », telle que la décrit l’analyste canadienne Naomi Klein dans son livre du même nom, la Commission en profite pour faire feu de tout bois, elle est ainsi en train d’approfondir la « directive détachement » [4] (ultime mouture de la « directive Bolkestein ») facilitant le recours dans un État membre de l’UE à une main-d’œuvre issue d’un autre État membre aux conditions de salaire, de sécurité sociale et de fiscalité de leur pays d’origine. Les effets néfastes en matière de dérégulation et de concurrence de cette directive ne sont pourtant plus à démontrer (c’est la généralisation du « plombier polonais », « du maçon portugais » et du « chauffeur de l’est », récemment remis en lumière par l’incendie en Flandre d’un baraquement ayant causé la mort de chauffeurs polonais qui le squattaient, faute de pouvoir se payer un logement décent [5]).

- Dernière arme, et non des moindres, entre les mains de la Commission, le Livre Vert Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle [6], dont la soumission à consultation publique s’est achevée en mars 2007. L’association des Avocats européens démocrates (AEuD) en fait notamment l’analyse suivante : « Derrière un verbiage imprécis et insupportable et qui puise largement dans un vocabulaire pseudo scientifique émaillé de termes anglo-saxons mal traduits, le but véritable des rédacteurs apparaît : il s’agit ni plus ni moins que de mettre en pièces le patient travail législatif, jurisprudentiel et intellectuel qui a construit un socle partagé – au moins en Europe continentale – de règles qui encadrent l’inégalité de principe de la relation individuelle de travail fondée sur le lien de subordination. Ce texte énonce comme une évidence que, faute d’une ’flexibilité accrue’ du ’contrat de travail classique’ il y aurait des risques de voir se développer une ’segmentation’ des marchés du travail en Europe privilégiant les ’insiders’ au détriment des ’outsiders’ » [7]. La Commission veut donc s’attaquer aux « rigidités » du marché du travail, identifiant comme principale d’entre elles le « contrat de travail à durée indéterminée » puisque, d’une part, celui-ci empêche les employeurs d’ajuster leur « stock de main-d’œuvre » aux variations de leurs besoins et, d’autres part, parce qu’il « est un frein à la mobilité des travailleurs »…

Il s’agit donc pour nous, progressistes, syndicalistes, militants associatifs, etc. de ne pas tomber dans le piège que semble vouloir nous tendre les néolibéraux européens tant de droite que de "gauche". Il ne faudrait pas que l’on nous pousse à tolérer la mise en œuvre de politiques d’austérité permanente, marchandée en échange de pseudo-plans de relance ne camouflant que très mal un supplément d’attaques contre les droits des salariés et allocataires sociaux en Europe.

Didier BRISSA

Formateur au CEPAG, référant du Pôle Europe de l’IW FGTB

Notes

[1Tous les éléments suivants sont détaillés dans la publication du CEPAG « Pacte budgétaire, TSCG et Règle d’or : la nouvelle gouvernance économique européenne » Didier Brissa & Olivier Bonfond 24/06/2012, http://www.cepag.be/publications/notes-reflexion-analyse/2012/pacte-budgetaire-tscg-regle-or-nouvelle-gouvernance

[2Le 16 décembre 2010, le Conseil européen amende deux lignes du « Traité sur l’Union européenne » afin d’éviter la tenue de référendums (procédure de révision simplifiée, art. 48-6 TUE).

[3Europe : Draghi réclame un « pacte de croissance », Le Figaro, 26/04/2012.

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