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Sur les lois liberticides

Quand ils sont venus chercher un juif personne n’a rien dit …

les lois antiterroristes partie 1 de 3

vendredi 18 septembre 2009, par Fiona Wallers

Les lois antiterroristes ont ému les défenseurs des libertés et des droits fondamentaux, et les militants actifs dans les luttes contre les inégalités et l’injustice. La violence légale trouverait là son application la plus dure. Comment se cache la répression de la contestation derrière la traque au « terroriste » ?


Cet article est la première partie d’un dossier, qui se clôturera le 21 et le 22 septembre par les interviews de Laurent Bonelli et de Jean-Claude Paye, tous deux sociologues et spécialistes de la question.

Nous ne savons pas où cet attentat-suicide était envisagé. 12 décembre 2008 : la police judiciaire belge arrête à l’aube 14 personnes. Elles sont suspectées d’appartenir au réseau Al-Qaida et de s’apprêter à passer à l’acte de façon imminente. Il pourrait s’agir d’une opération au Pakistan ou en Afghanistan, mais il ne pouvait être totalement exclu que la Belgique ou l’Europe puissent avoir été une cible [1]… Et comme l’affirme très sérieusement le procureur fédéral belge Johan Delmulle, ces informations, liées au fait que le sommet européen se déroule en ce moment à Bruxelles ne laissaient évidemment pas d’autres choix que d’intervenir aujourd’hui [2].
242 policiers auraient pris part à 16 perquisitions selon Glenn Audenaert, directeur de la police judiciaire de Bruxelles.



Un an plus tôt : 21 décembre 2007. Ce matin-là, 14 personnes sont aussi arrêtées. Officiellement, rien ne filtre sur les raisons du coup de filet. Selon le Parquet de Bruxelles, l’enquête présentait suffisamment d’éléments ayant permis leur arrestation. Dans la foulée, le niveau d’alerte terroriste s’appliquant au territoire belge est relevé, le feu d’artifice du 31 décembre est annulé. Il y a de quoi s’inquiéter, d’autant plus que très peu d’informations semblent parvenir à la population pour expliquer l’opération du Parquet et de la police. Un projet d’évasion de l’islamiste Nizar Trabelsi ? Des indications des services de renseignements américains ? Las, les suspects n’auront été privés de leur liberté que quelques heures cette année-là. Mais à Bruxelles, les mesures de sécurité accrues restent en vigueur pendant des semaines.

Ces deux évènements se déroulent à un an d’intervalle. Les scénarios se ressemblent, tant par les méthodes policières, que par l’opacité des explications fournies par les autorités belges. En 2007, lorsque les « suspects » sont relâchés, ce n’est pas une surprise, déclare-t-on au Parquet de Bruxelles. Le même qui criait au loup la veille. En 2008, les inculpations ne concernent que moins de la moitié des interpellés…
Ces interrogations vont se trouver en quelque sorte renforcées par un rapport du Comité permanent de contrôle des services de renseignement et de sécurité (Comité R). Dudit rapport, on retiendra que le Procureur fédéral avait manifestement agi seul ou presque, les services de renseignements ayant été écartés de la discussion « secrète ». Le Ministre lui-même n’a pas été informé des détails de l’alerte… Et le rapport du Comité R de conclure : « La question est de savoir s’il est indiqué, en pareilles circonstances, d’avoir une confiance aveugle dans l’appréciation du procureur fédéral. » [3]

dessin de Titom en copyleft


Comment la Belgique s’est-elle trouvée, à ces deux occasions au moins, dans des situations d’exception ? Qu’est-ce qui a déterminé les relèvements des niveaux d’alerte, l’ampleur des perquisitions, etc. ? Les explications présentées à la presse quelques semaines plus tard ne lèvent pas le doute. L’enquête concerne ce que l’on appelle la filière afghane [4]. Six des 14 personnes arrêtées fin 2008 sont certes poursuivies pour appartenance à un réseau terroriste. Les inculpés présenteraient des liens étroits avec des organisations étrangères d’entraînement militaire en Afghanistan. Plusieurs d’entre eux y auraient suivi des entraînements…
Mais on reste sur sa faim. Car très peu d’éléments matériels étayent les affirmations du Parquet. D’ailleurs, et surtout, les éléments présentés ne peuvent que difficilement être vérifiés. Il a été question d’un attentat imminent, commis par un réseau Al-Qaïda en Belgique, sur des installations chimiques, explique l’avocat Christophe Marchand, en charge de la défense de certains inculpés. L’information vient des services secrets américains et est invérifiable [5]. Leur participation à des entraînements militaires en Afghanistan est tout aussi difficile à établir.
Pourrait-on imaginer que ces personnes, tout en étant convaincues de l’idéologie des Talibans, ne soient mêlées à rien d’autre que l’impression de tracts ou à une manifestation de soutien aux populations afghanes ? Quelles sont les preuves récoltées par les autorités belges, autres que les instructions transmises par les services de renseignements américains ? Pourrait-on imaginer que certains s’entraînaient en Afghanistan pour combattre les forces de l’OTAN ? Ou qu’un attentat était prévu en Afghanistan ? Au nom de quoi la Belgique étend alors sa compétence en dehors de son territoire ?
L’exemple de la filière afghane nous permet de poser trois questions, à notre avis, essentielles à propos des lois antiterroristes et de leur application.

1. Qui est visé ?

2. Sur quels éléments se base une instruction terroriste ?

3. C’est quoi exactement le « terrorisme » ?

1. Le parquet et la police ratissent large

Plusieurs enquêtes sont menées par le Parquet fédéral depuis l’adoption des lois antiterroristes en Belgique. Sans surprise, ce sont les islamistes qui jouent les têtes de gondoles. La première condamnation concerne Nizar Trabelsi. Accusé d’avoir préparé un attentat visant la base militaire de Kleine Brogel, il écope de 10 ans de prison en 2004. Aujourd’hui, Nizar Trabelsi risque l’extradition vers les Etats-Unis [6]. Suivent plusieurs enquêtes à propos d’une filière d’envoi de combattants islamistes en Irak (GIMC) en 2007 et, plus récemment, celles à charge des personnes accusées de participer à la filière afghane, en 2008. Enfin, il y a le dossier Belliraj : des « complices » du belgo-marocain pourraient être extradés vers le Maroc, sur la base d’aveux probablement obtenus sous la torture…

Certains de ces dossiers ont fait l’objet d’un traitement médiatique ; peu ont suscité l’indignation. Mais c’est un tort. Car les poursuites du Parquet fédéral ne vont pas s’arrêter à la traque de méchants islamistes.
Depuis l’adoption des nouvelles lois (voir : Pour bien comprendre), on assiste au renforcement pratique d’un véritable arsenal. En 2003, des manifestants liégeois - dangereux activistes - se voient poursuivis pour association de malfaiteurs… pour l’organisation d’une manifestation pacifique deux ans plus tôt, lors de la tenue d’un sommet européen en Belgique. Ils apprennent que des méthodes particulières d’enquête et de recherches leur ont été appliquées, article relatif aux "mis sur écoute". En 2004, des militants Belges se sont vus inculpés du chef de participation à un groupe terroriste, pour avoir traduit et diffusé en public un communiqué du DHKP-C turc [7] ; en 2005, deux militants basques sont extradés vers l’Espagne, alors qu’un an plus tôt, la Belgique refusait de livrer quiconque aux autorités espagnoles, car elles étaient soupçonnées de pratiquer la torture dans l’affaire Moreno-Garcia [8] (lire l’interview de Laurent Bonelli, à paraître le 22 septembre) ... En 2008, cinq membres du Secours rouge belge sont arrêtés lors d’une véritable mise en scène policière. Inculpés pour participation aux activités d’un groupe terroriste, on avait retrouvé leurs photos dans le jardin de militants italiens poursuivis en Italie…

On le voit, le Parquet et la section terroriste de la Police fédérale ne chôment pas. Et ratissent large.

Pour ceux qui ne sont pas encore choqués par l’étendue (connue à cette heure…) du zèle policier, quelques explications sur les méthodes utilisées par les nouveaux « justiciers » de la démocratie libérale pour avoir le champ libre de réprimer, dans le deuxième article à paraître demain :

"Quand ils sont venus chercher un communiste personne n’a rien dit …"

Fiona Wallers

Notes

[1Le Soir 13 décembre 2008

[2ibid.

[3Le Soir, Cafouillages à tous les étages, 23 juillet 2009

[4Les personnes poursuivies sont accusées d’avoir mis en place une filière de recrutement de combattants Vers l’Afghanistan, d’avoir participé à ces entraînements, et d’avoir projeté un attentat en Belgique ou ailleurs

[5Le Soir 4 février 2009

[6Le Soir du 25 juin 2009

[7l’affaire dite du DHKP-C remonte à 1999, les premières inculpations étant ‘association de malfaiteurs’

[8Pour les détails voir cette information du Secours Rouge

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