Patient infiniment, dans un pays où tous vivent sur les braises de la colère... Ainsi s’exprime Mahmoud Darwich dans son poème dédié à la lutte du peuple palestinien. Aujourd’hui, l’incendie révolutionnaire a gagné les peuples arabes. Une spirale contagieuse, qui emporte, après la Tunisie et l’Egypte, la Libye, la Syrie, Bahrein et le Yémen [1]. Car c’est ainsi : qui sème la misère récolte la colère. Les régimes dictatoriaux s’en sont rappelés à leurs dépens.
L’Occident, le capitalisme et la révolution
Mais c’est l’étonnement qui a prévalu en Occident. Des régimes autoritaires, policiers, prêts à réprimer les moindres soubresauts d’une population paupérisée, des économies libéralisées à outrance, dépendantes des touristes du nord, des sociétés minées par le spectre du conservatisme religieux : telle était l’image de la « rue arabe ». Pendant ce temps, les régimes occidentaux impérialistes croisaient les doigts : « Tant que les grandes sociétés multinationales pouvaient continuer à réaliser des affaires juteuses dans le cadre de la libéralisation progressive des économies arabes en cours depuis trois décennies, et tant que les gouvernants locaux et leurs affidés pouvaient continuer à amasser des fortunes géantes profitant aux industries du luxe en Europe ou ailleurs, ainsi qu’au marché foncier dans les grandes capitales, de quoi pouvait-on se plaindre ? » [2]
En manque de perspective historique et sociale, la presse occidentale s’est empressée de donner à ces mouvements populaires une touche de modernité. La mobilisation de la jeunesse est appelée la « révolution facebook ». Les revendications économiques sont passées à la trappe [3].
Dans leur article sur les révolutions arabes, Nidal et Ounsi nous expliquent en partie la structure de ces mouvements populaires. Car, à côté des énormes difficultés quotidiennes d’une jeunesse largement majoritaire et de plus en plus éduquée, la responsabilité du système économique et, plus largement, des mainmises occidentales dans la gestion économique et dans le soutien intéressé porté aux régimes en place sont des éléments fondamentaux de la compréhension de ces révolutions en construction. Enfin, pour les auteurs, "le rôle de la crise économique a largement été sous-estimé" [4], touchant de plein fouet des travailleurs en partie dépendants d’un marché de l’emploi jadis prospère à l’étranger.
- Tunis, 14 février 2011
- cc wassimbenrhouma
Comment, dès lors, croire que ces révolutions sont vues avec bienveillance dans les capitales occidentales ? Non, les États-unis n’ont pas donné leur bénédiction aux peuples en lutte. "Le premier danger qui guette ces débuts de révolution, est celui du désir, fortement exprimé par les États-Unis et l’Europe, d’’accompagner’ les réformes démocratiques qui s’esquissent. Entendre : se gagner une clientèle nouvelle à coups de dollars et d’euros." [5]
Selma Benkhelifa et Aly Sassi décodent pour nous les actions en coulisses : derrière les images qui tournaient en boucle sur les réseaux sociaux, une organisation implacable prenait place en Tunisie, avec les caciques du régime déchu. Aujourd’hui, la contre-révolution s’organise : "Sur le plan sécuritaire, les répressions violentes des manifestations pacifiques ont repris de plus belle et ont démontré le vrai-nouveau-vieux visage du système en place encore à Tunis" [6]. Ce n’est pas pour déplaire aux alliés d’hier, qui retrouvent et soutiennent de vieilles connaissances aux postes-clés.
L’ingérence : les avantages sans les "inconvénients"
Mais l’Occident capitaliste dispose d’une gamme étendue d’outils d’ingérence. D’autres peuples arabes en ont subi les conséquences. Il y en a qui sont létaux à très brève échéance, tout en laissant des traces indélébiles pendant des générations. Les Irakiens attendront encore avant de connaître l’étendue des crimes occidentaux commis sur leur territoire [7].
Telle l’intervention militaire de l’OTAN en Libye. Décidée avec l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU, pour protéger les populations civiles, elle cache manifestement bien des ambitions non avouées. "Qui croit d’ailleurs que des États, quels qu’ils soient, consacrent leurs ressources et leurs armées à l’accomplissement d’objectifs démocratiques ?" [8]. Elle risque surtout de plonger le pays et la région dans un cycle de violence qui pourrait rappeler la guerre civile au Liban. Une guerre qui méconnait les conflits sociaux locaux et l’histoire des populations libyennes. La question mérite un article en soi, mais le JIM a choisi de parler aussi des milliers de réfugiés qui fuient ce scénario de la mort. Deux articles de La Cimade rendent compte des conséquences dramatiques des conflits dans le Maghreb. Et pointent, encore, la responsabilité des pays occidentaux qui n’aident pas à l’accueil des populations libyennes en fuite, et qui refoulent les réfugiés tunisiens cherchant protection aux portes de l’Europe...
Alain Gresh, lui, attire notre attention sur la solidarité exemplaire des Tunisiens, accueillant les populations libyennes qui passent la frontière en recherche de protection. "Les réfugiés vivent au Sud et c’est le Nord qui a peur. L’Union européenne a installé à ses frontières un dispositif de mort, ce qui ne l’empêche pas de multiplier les déclarations indignées sur les violations des droits humains", écrit-il.
L’honneur de la Tunisie, c’est aussi l’honneur de tous les pays arabes jusqu’à maintenant muselés, celui de tous les peuples en lutte de par le monde, un honneur qui est à défendre, parce que le chemin est long.
Alors, Inscris ! Je suis arabe.
Remerciements à Selma et Aly, Nidal et Ousni pour leurs analyses, et à la Cimade et Alain Gresh qui nous ont autorisés à reproduire leurs textes.
Snoepje pour l’équipe du JIM.