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Sur les lois liberticides

Pour mieux comprendre les lois liberticides…

jeudi 17 septembre 2009, par Fiona Wallers

Pour entamer notre dossier sur les nouvelles lois liberticides, que vous pourrez découvrir dans les jours qui viennent, voici un bref aperçu des quelques « nouvelles » mesures d’application en Belgique, qui montrent un renforcement des contrôles, des lois d’exception et des limitations des libertés. Ensemble, et grâce à un fonctionnement particulier de la sphère politique et judiciaire, elles constituent un véritable arsenal "anti-terroriste".
Pour mieux comprendre...

La loi relative aux infractions terroristes

La loi du 19 décembre 2003 introduit de nouvelles infractions dans le Code pénal, pour créer un nouvel arsenal « adapté » aux infractions dites terroristes.


Définition de l’infraction terroriste

Une infraction terroriste est définie comme l’infraction qui de par sa nature ou son contexte, peut porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale et est commise intentionnellement dans le but d’intimider gravement une population ou de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte, ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale.

Cette définition s’applique à toute une série de faits : l’homicide volontaire ou les coups et blessures volontaires, la prise d’otage, l’enlèvement, la destruction ou la dégradation massive, le détournement aérien ou marin, certaines infractions liées aux explosifs et armes, les infractions liées aux armes bactériologiques, nucléaires ou chimiques et aux toxines, la destruction ou la dégradation d’une infrastructure, la libération de substances dangereuses, la perturbation ou l’interruption de l’approvisionnement en eau, en électricité ou en toute autre ressource naturelle fondamentale, et la menace de réaliser l’une de ces infractions [1].

La définition est très large et comporte de grandes possibilités d’interprétation. Ainsi, dans plusieurs mouvements sociaux, la lutte légitime peut être dure. Des grèves dans des institutions de fourniture d’énergie sont-elles réellement du terrorisme ? La dégradation d’une façade lors d’une manifestation demandant la hausse des salaires, est-elle du terrorisme ? [2]

dessin de Titom en copyleft

Un autre point pose question : la notion d’intention, comme on le lit ci-dessus commise intentionnellement dans le but d’intimider… C’est cela qui détermine si l’infraction peut être qualifiée de terroriste. Or il est impossible de donner un sens suffisamment précis et univoque à la notion d’intimidation, au caractère indu de la contrainte exercée sur les pouvoirs publics, ou au fait de déstabiliser gravement les structures sociales fondamentales d’un pays ou d’une organisation internationale [3]. Ces termes sont eux aussi sujets aux interprétations les plus diverses.

On le voit, l’application dépend de l’interprétation. Certains actes seront légitimes, d’autres pas, selon le bon vouloir du Parquet et des autorités : (les différents acteurs du processus de répression antiterroriste sont brièvement décrits plus bas). Selon la volonté politique dominante. [4]



Définition du délit de participation

La définition ne concerne pas l’appartenance à un groupe terroriste, mais bien la participation aux activités d’un groupe terroriste, y compris la fourniture de matériels, d’informations, de financement d’une activité du groupe.
Comment définir le groupe terroriste ? Est-ce que soutenir un groupe qui lutte à l’autre bout du monde contre une dictature par les armes est un délit de participation à un groupe terroriste ? Comment définit-on d’ailleurs la participation (diffusion de tracts ? possession de numéros de téléphone ?) ?
La loi ne donne pas de réponse. L’interprétation est encore une fois maximale…

Les méthodes particulières de recherche ou MPR

La loi portant sur les méthodes particulières de recherche et d’enquête, adoptée en 2003 par le Parlement belge, étend et renforce les techniques d’intervention des fonctionnaires de police et du Procureur du Roi. Annulée partiellement par la Cour d’Arbitrage, elle sera modifiée en 2005 [5].

Avec une ampleur jamais atteinte auparavant en Belgique, la loi autorise l’utilisation de méthodes particulières de recherche conférant des pouvoirs exorbitants aux services policiers et au Parquet en ce qui concerne leur mise en œuvre, lors d’enquêtes réactives, mais aussi, et surtout, proactives.

Mais en réalité, il s’agit de la légalisation de méthodes dont l’utilisation est probablement aussi ancienne que la police elle-même [6]. Elles fournissent une base légale aux méthodes policières, dont certaines étaient secrètes et d’autres illégales [7].

Les méthodes particulières de recherche couvrent des techniques telles les observations dites « discrètes », les infiltrations, l’utilisation d’indicateurs, ou encore la surveillance d’habitations privées.


1. Contrôle des services de police

Le premier point qui pose sérieusement question est celui du contrôle des services de police lors de la mise en œuvre d’enquêtes. Le mécanisme de contrôle de l’opportunité de recourir aux méthodes particulières d’enquête et de recherche, ainsi que de la régularité de leur exécution, est confié uniquement au Procureur du Roi. Or, le Procureur du Roi n’est pas soumis à l’impartialité…Enfin, sur la base d’un dossier confidentiel, la Chambre des mises en accusation n’a qu’un contrôle formel quant à la procédure [8].



2. Dossier non accessible à la défense

Le dossier reprenant les résultats des méthodes particulières appliquées est confidentiel. Même pendant le jugement, la partie civile n’a pas accès à ces données. Le juge de fond statue à partir d’un dossier incomplet, car il n’a pas, lui non plus, accès à ces informations.



3. Immunité pour les forces de police

Les forces de police peuvent jouir de l’immunité pour les infractions qui pourraient être commises dans le cadre de méthodes particulières de recherche. C’est l’excuse légale pour toute infraction « absolument nécessaire » commise par la police. L’accord du procureur du Roi peut être obtenu APRES l’infraction, rétroactivement… [9]


4. Mesures attentatoires à la vie privée

D’autres méthodes de recherche particulièrement attentatoires à la vie privée sont créées par la loi : l’interception du courrier, qui pourra s’effectuer pour le courrier concernant la personne suspectée, et non seulement envoyé ou reçu par elle, (les infractions pouvant même être minimes) ; les visites domiciliaires et saisies, qui pourront être systématisées (le Parquet pourra perquisitionner de sa propre initiative et sans contrôle) ; les mesures de « contrôle visuel discret » qui seront facilitées (c’est à dire le placement de caméras ou d’émetteurs, la saisie de documents, la fouille des lieux,…).

En 2009, la Commission justice du Sénat adopte sans sourciller un avant-projet de loi qui légalise de la même manière les méthodes des services de renseignements….


Le Protocole Aznar et le Mandat d’arrêt européen

Depuis la révision de la loi sur les étrangers [10], la Belgique ne peut plus être un pays d’accueil pour un réfugié « politique » européen poursuivi dans un autre Etat européen. La Belgique est aussi tenue de livrer ces personnes aux autorités européennes qui le demandent. En d’autres termes, on ne peut accuser les autorités d’un pays européen de torture, de manquements dans les droits de la défense etc. pour s’opposer à une extradition.
Il faut remonter à 1997 : les pays membres de l’Union européenne adoptent le protocole dit Aznar [11], du nom du si peu progressiste premier ministre espagnol de l’époque, et rédacteur du texte.
Ce protocole dit que : Vu le niveau de protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans les Etats membres de l’Union européenne, ceux-ci sont considérés comme constituant des pays sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires de l’asile [12].

Adopté dans une décision cadre européenne en 2004, il a été intégré en Belgique en décembre 2005 lors de l’adaptation de la loi du 15 décembre 1980 relative à l’accès au territoire, au séjour, à l’établissement et à l’éloignement des étrangers.

Outre la difficulté pour certains ressortissants étrangers de pouvoir être accueillis légalement en Belgique (les minorités Roms, par exemple), ceux qui sont surtout visés sont, dans l’esprit des autorités espagnoles de l’époque, les personnes poursuivies dans un Etat membre pour des activités désignées comme terroristes. José Maria Aznar dénonce l’incohérence entre principes d’asile et demandes d’extradition, prétextant que des Etats membres de l’Union européenne, accordant l’asile à des terroristes d’ETA – discours de l’intolérable sanctuaire français, et opposition frontale vis-à-vis des autorités belges dans l’affaire Moreno Garcia- reconnaissent de la sorte ces activités délictueuses un caractère politique et introduisent une forme de « prime » à l’impunité pour les terroristes [13].

Le système d’extradition classique va aussi être remplacé par le Mandat d’arrêt européen. Celui-ci exige de chaque autorité européenne une reconnaissance automatique des demandes d’extradition faites par l’autorité judicaire d’un autre pays.
Les centaines de prisonniers politiques passés par les jugements et les geôles espagnoles, grecques, italiennes ou françaises apprécieront : les pays européens sont des vraies démocraties…



Fiona Wallers


Les acteurs :


    Parquet fédéral

    Sa création est récente : 2001. Certains l’appellent le « super-parquet ». Il a été mis en place pour coordonner les enquêtes qui ont une portée nationale, celles qui ont une dimension internationale. Il est seul compétent pour poursuivre en matière de crime organisé et de terrorisme. Il est composé des procureurs fédéraux (dont ceux spécialisés en matière de terrorisme). Il bénéficie de certains avantages de la loi sur les MPR. Il interprète les dispositions en matière terroriste pour poursuivre. Il est étroitement contrôlé par le Ministre de l’Intérieur.


    Juge d’instruction

    Il mène l’enquête à la demande du Parquet. Il y a aussi des juges d’instruction « spécialisés » en matière de terrorisme.



    Police judiciaire

    Elle dispose notamment d’une section spécialisée dans le terrorisme. Et dans ce domaine, elle peut utiliser légalement les moyens permis par l’adoption de la loi sur les MPR.


    Sûreté de l’Etat

    C’est un service de renseignement. Il pourrait bénéficier de la légalisation de certaines de ses méthodes, à l’instar de la police judiciaire.


    Ocam, ou Organe de coordination pour l’analyse de la menace

    Composé d’agents issus des services de renseignement, de police, de la mobilité et des transports, des douanes, des finances et des affaires étrangères, il doit livrer des analyses à propos de la lutte antiterroriste et propose la fixation du niveau d’alerte en matière de terrorisme. Il est placé sous l’autorité des Ministres de la Justice et de l’Intérieur.


    Fiona Wallers

Notes

[1Article 137 du Code pénal, §§ 2 et 3

[2Une précision est inscrite dans la loi :« Une organisation dont l’objet réel est exclusivement d’ordre politique, syndical, philanthropique, philosophique ou religieux ou qui poursuit exclusivement tout autre but légitime ne peut, en tant que telle, être considérée comme un groupe terroriste. » . Cependant, « Ce simple rappel des droits consacrés n’empêche évidemment pas les abus qui pourront se commettre avec la nouvelle loi ». Loi antiterroriste ou la criminalisation de la résistance à l’injustice ? , Mathieu BEYS et Thomas MITEVOY, Progress Law, juin 2005

[4On lira avec intérêt les Documents parlementaires, Rapport de la Commission Justice du Sénat, 3 décembre 2003, , et aussi Loi antiterroriste ou la criminalisation de la résistance à l’injustice ?, op. cit.

[5Loi du 6 janvier 2003 concernant les méthodes de recherche et quelques autres les méthodes d’enquête, modifiée par la loi du 27 décembre 2005

[6Maïté de Rue, Christian de Valkeneer, Les méthodes particulières de recherche et quelques autres méthodes d’enquête, Ed Larcier, 2008

[7Voir Jean-Claude Paye, "L’arbitraire, base d’un nouvel ordre de droit", Toudi, mai-juillet 2006, et : Méthodes particulières d’enquête : la loi à nouveau sanctionnée par la Cour constitutionnelle, Syndicat des avocats pour la démocratie, Communiqué de presse du 20 juillet 2007

[8La Chambre des mises en accusation est une instance d’appel : il n’y a donc pas de recours contre ses décisions.

[9Pour nuancer, ceci n’est vrai que pour des délits encourant une peine inférieure à celle que les policiers tentent de mettre en évidence (d’où l’intérêt d’augmenter les peines pour les cas de « terrorisme »)

[10Loi du 15 septembre 2006 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers

[11Intitulé officiellement Protocole sur le droit d’asile des ressortissants des pays membres de l’Union européenne, Traité d’Amsterdam, 1997, Protocole annexé au Traité constituant la Communauté européenne. Le télécharger en pdf. Voir également à ce propos : Emmanuel-Pierre Guittet, "Ne pas leur faire confiance serait leur faire offense. Antiterrorisme, solidarité démocratique et identité politique", dans Culture et Conflits, Antiterrorisme et société, Cultures et conflits, Ed L’Harmattan, 2006

[12Ibid. Antiterrorisme et société, Cultures et conflits, Ed L’Harmattan, 2006

[13ibid.

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