« Le gouvernement a conçu un programme crédible qui est économiquement équilibré, socialement équilibré – les groupes les plus vulnérables étant épargnés – et réalisable (…) pour – à terme – contribuer à faire repartir la croissance et l’emploi, et à rehausser les niveaux de vie » ; c’est en ces termes très élogieux que le directeur général du FMI a annoncé les mesures imposées par son institution à la Grèce [4].
Une autosatisfaction légitime ?
L’objectif annoncé de l’institution financière est de ramener le déficit public sous le seuil de 3% du PIB pour fin 2014 [5] via des mesures drastiques telles qu’une réduction considérable des dépenses publiques, la privatisation de beaucoup d’entreprises nationales [6], le gel des salaires et des pensions des fonctionnaires et retraités du secteur public ainsi que la suppression de leurs 13ème et 14ème mois, entre autres. Le relèvement de l’âge de la retraite et une hausse de la TVA (qui passe de 21 à 23%) [7] sont également d’application.
- "Ils démolissent les acquis d’un siècle entier. Tous à la rue ! Tous à la lutte » Banderole affichée à l’école polytechnique d’Athènes
La succession de manifestations et grèves en Grèce [8] témoignent du rejet de ces mesures d’austérité imposées à la Grèce par le FMI et l’UE (ainsi que de celles imposées par les deux premiers plans d’austérité qui allaient dans le même sens).
Le peuple grec et la gauche [9] ne sont pas les seuls à rejeter les mesures du FMI. De nombreux économistes les condamnent également [10] ; l’austérité entraînera chômage et dépression qui provoqueront à leur tour une baisse de l’activité économique et de la consommation, entraînant de facto une contraction des recettes de l’Etat et, par conséquent, une diminution de sa capacité à rembourser la dette [11].
« Sacrifier la cohésion sociale à l’appétit des marchés est un crime contre la démocratie » [12]
Comme mesures alternatives, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie [13], préconise la création par l’UE et la BC européenne d’un mécanisme d’aide aux pays membres très endettés, similaire à celui qui existe pour les banques [14] ainsi qu’une sérieuse remise en cause de la place accordée à la spéculation au détriment du travail dans nos sociétés [15].
« Aujourd’hui, les Grecs sont appelés à de très importants sacrifices, mais ces sacrifices sont vides de sens, ou plutôt, ces sacrifices risquent d’être détournés sous forme de prélèvements au bénéfice de la finance. Ce dont la Grèce et les autres pays européens ont besoin, c’est à la fois de dynamiser leurs activités productives autrement qu’en diminuant leurs coûts et de réinventer le lien social et la démocratie » [16].
- « Nous ne leur devons même pas 1 €... / effacer la dette ; aucun paiement aux usuriers / nationalisation des banques / stop aux armements militaires / annulez les mesures, maintenant ! Ils nous doivent ! Nous revendiquons : une augmentation des salaires et des pensions / une augmentation des dépenses et des engagements en soins de santé, éducation et services publiques / rapportez ce qui a été volé dans les caisses / ne touchez pas à nos droits » Affiche sur un mur du quartier d’Exarchia à Athènes
Des dépenses publiques excessives ?
Le déficit public du pays n’est pas dû à un excès de dette publique mais à la pauvreté des recettes de l’Etat [17] suite à la baisse de l’activité économique (en raison de la conjoncture) et à l’incapacité de prélever assez d’impôts en raison d’une évasion fiscale considérable et d’une corruption très présente [18].
La Grèce, comme l’Espagne, le Portugal et l’Irlande sont souvent montrés du doigt comme des pays qui génèreraient des dépenses publiques colossales. Ces dernières auraient causé un déficit public élevé et une dette publique considérable, éléments qui empêcheraient la reprise économique. Or, ces pays ont, au contraire, les dépenses publiques les plus basses de l’UE des 15 et leur secteur public reste sous-développé. En outre, leur système fiscal reste peu progressif et il est caractérisé par une charge fiscale plus basse que la moyenne UE. Ces états souffrent également d’une fraude fiscale énorme et d’une redistribution très insuffisante des richesses [19], ces éléments entraînant de plus grandes inégalités de revenus [20].
A partir d’une telle situation, augmenter les recettes de l’Etat ne semble pas trop ardu ; les revenus potentiels sont à portée de main, ne manque que la volonté politique.
« IMF GO HOME » [21]
Le problème (de la Grèce comme de l’UE) n’est pas tant l’existence d’un déficit public élevé ou de sa dette que de la faible croissance économique et de l’augmentation structurelle du chômage.
Pourtant, comme dans une multitude d’autres pays européens, la recette préconisée s’attache aux indicateurs du déficit et de la dette alors que cette politique a déjà prouvé son inefficacité dans les pays en développement.
Une aide à la Grèce ?
Les prêts finalement consentis à la Grèce [22] ne lui ont pas été concédés pour l’aider mais pour prémunir les banques françaises et allemandes d’un défaut de paiement grec [23] suite à une crise que le secteur bancaire a lui-même contribué à créer [24] et dont l’endettement public est venu éviter la faillite [25] et réparer les grossières erreurs de jugement (à tout le moins) des agences de notation à la fois juges et parties de la situation [26] et sachant qu’elles sont intimement liées aux entreprises qu’elles jugent ? En premier lieu, elles sont rémunérées par les entreprises qu’elles sont chargées de noter, ensuite elles ont une activité de conseil qui consiste à aider les banques à créer des produits capables d’obtenir les meilleurs notes. La même procédure est à l’œuvre, en ce qui concerne les Etats ; avant d’emprunter, un Etat fait appel à la délivrance d’une notation par une agence (http://www.liberation.fr/economie/010168193-a-la-fois-juge-et-partie, 9/02/10) et la rémunère pour cette tâche. Depuis, les Etats-Unis ont promulgué une loi de réforme de la régulation financière (en juillet 2010) qui constitue un premier pas (encore très insuffisant) vers une possibilité de recours contre ces agences (http://www.lesoir.be/actualite/economie/2010-09-01/les-usa-accusent-moody-s-d-erreurs-dans-sa-notation-790640.php])].
« Comme Joseph Stiglitz l’a dit, avec tous les fonds dépensés pour aider les banquiers et les actionnaires, on pourrait avoir créé des banques publiques qui auraient déjà résolu les problèmes de crédit que nous connaissons (la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande) » [27]. Au lieu de cela, les banques et les agences de notation bénéficient d’une impunité quasiment totale et il revient à l’ensemble de la population de payer pour une crise créée par d’autres.
Des profits privatifs mais des pertes publiques
Quelle est donc cette règle que les Etats se laissent imposer ?
Il faudrait que les banques conservent tous les profits quand les temps leurs sont favorables et que la communauté rembourse leurs pertes dans le cas contraire ?
Le slogan « Bankers, gangsters » très présent dans les manifestations, résume bien cet état de fait.
Cette logique de privilèges des banques se perpétue pourtant ; après avoir été renflouées par des prêts publics aux taux très faibles, les Etats qui prêtent à la Grèce vont réaliser de sérieuses marges sur les prêts qu’ils lui consentent [28]. Pourquoi ce deux poids, deux mesures ?
Ce n’est pas à nous de payer leur crise ! [29]
Il est évident aux yeux de la majorité de la population que ce plan d’austérité ne vise pas au sauvetage du pays mais à celui des banques et de l’euro, c’est-à-dire celui des sphères financières et politiques au détriment d’une population de plus en plus exploitée.
Il n’est pas surprenant dès lors que la majorité des Grecs sont, actuellement, prêts à descendre manifester dans la rue contre de nouvelles mesures d’austérité [30].
Même au sein du Pasok [31], les mesures n’ont pas été faciles à accepter ; trois députés n’ont pas voté les mesures et ont été exclus du parti. Les syndicats socialistes ne font pas exception [32] à cette contestation.
Les deux grandes confédérations syndicales CGSE et ADEDY (dirigées par les socialistes) [33] ainsi que celle du PAME (communiste) [34] organisent de nombreuses journées de grèves et manifestations [35]. Objet : la dénonciation des mesures anti-sociales et l’appel à la résistance. Malheureusement, la gauche ne parvient pas à surmonter ses clivages historiques et ses dissensions internes [36] et ne bénéficie pas, comme la plupart des institutions grecques, d’une confiance importante au sein de la population. Quoi qu’il en soit, « les syndicats restent les grandes forces mobilisatrices même si beaucoup de personnes rejoignent les manifestations sans être attachées à l’un ou l’autre syndicat » [37].
La contestation regroupe des « manifestants de tous âges et de nombreuses personnes sont descendues pour la première fois dans la rue » et les grèves et manifestations s’enchaînent à un rythme rapide. En particulier, la grève du 5 mai de cette année a paralysé le pays [38] ; secteur privé et public étaient en grève qu’il s’agisse des transports, des écoles, des hôpitaux, des usines, ports, aéroports, commerces... Elle a rassemblé 300.000 manifestants.
Malgré que « la mort de trois personnes a cassé une partie de la dynamique contestataire, surtout en ce qui concerne les gens qui descendaient pour la première fois dans la rue », la grève générale du 5 mai a été suivie de beaucoup d’autres mouvements de grève et de manifestations ainsi que de témoignages de solidarité dans d’autres pays.
Le peuple grec sacrifié sur l’autel du néo-libéralisme
Le gouvernement tente d’endiguer ce mouvement de révolte de diverses manières ; par des tentatives répétées de faire porter à l’ensemble de la population la responsabilité de la situation économique actuelle [39] d’abord mais, également par une décrédibilisation des manifestants [40], de la répression policière [41] et de la désinformation [42].
- « Montrons une tolérance zéro à la répression d’Etat » Affiche sur un mur dans le quartier d’Exarchia à Athènes
S’attaquer en premier lieu aux fonctionnaires du secteur public est également une manière de diviser la contestation, de désolidariser secteurs public et privé. « Le gouvernement s’attaque également à certaines professions privilégiées, pas très appréciées de la population (des professions fermées telles que les camionneurs, les taxis, etc… qui jouissent de privilèges hérités de la période du régime des colonels et qui, de ce fait, ne sont pas défendus par l’ensemble de la population). Et ce faisant, le gouvernement y associe d’autres professions (médecins, pharmaciens, etc…) pour généraliser la libéralisation du marché du travail ».
Enfin, comme lors de toute contestation sociale, le gouvernement tente d’user de vocabulaire adapté pour travestir la réalité [43] ; un exemple parlant est celui des privatisations, qualifiées de « mises en valeur des richesses du pays » [44].
Eponine Cynidès et Léandre Nicolas
Photographies d’Eponine Cynidès
Les passages en italique proviennent d’une interview réalisée le 28 août 2010 auprès de Yiorgos Vassalos, chercheur au « Corporate Europe Observatory » et Chloé (qui désire rester anonyme), membres de l’initiative d’organisation de la manifestation bruxelloise de solidarité aux manifestants grecs du 20 mai 2010 (jour de grève générale en Grèce) ainsi que d’Ermal Bubullima, Albanais résidant en Grèce depuis une quinzaine d’années, étudiant en Master 2 en Droits de l’homme à Strasbourg.
Leurs propos ont été recueillis par Eponine Cynidès et Léandre Nicolas.