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Mardi 15h, on arrête tout : L’An 01 de Jacques Doillon et Gébé

jeudi 1er juillet 2010, par Gérard Craan

Dans l’An 01 Jacques Doillon refuse de s’interroger sur une question militante importante : comment faire la révolution ? En lieu et place, il décrit comment ce serait après. C’est tout le bonheur de voir l’An 01, qui met nos rêves en image.

Réalisé par Jacques Doillon, en 1973, l’An 01 [1] est tiré de la bande dessinée du même nom, écrite et dessinée par Gébé. Succession de saynètes illustratives de l’aliénation dans laquelle le capitalisme nous a plongé, l’An 01 s’attaque essentiellement au travail, à la société de consommation et à l’inutile, aux hiérarchies. Reflet de l’après Mai ’68, certains de ses aspects sont visionnaires.

Cette fois, le parti pris n’a pas été de décrire "comment" faire la révolution. Elle est expédiée en quelques minutes, au début du film. Sans violence, il est convenu collectivement de tout "arrêter mardi à 15h". Les préparatifs ont été peu nombreux été anonymes. Quelques affiches et actions spontanées suffisent, tant le vide du système est flagrant et perçu comme tel par tous [2]. Il va tomber comme un fruit mur [3]. Ainsi, deux voyageurs, dont l’un est incarné par Gérard Depardieu, refusent ou plutôt, n’ont plus envie, de prendre le train qui les amène au turbin, conscients de l’inutilité de leur vie si elle se poursuit de cette façon. L’An 01 s’annonce tout de même dans quelques luttes folkloriques :

"- il faut économiser l’essence parce que les gars des raffineries ils ont décidé d’apprendre la musique, explique un pompiste à son client.

- C’est une blague !?

- Mais non, c’est officiel, bientôt c’est l’An 01.".

L’An 01 se répand à toute allure
Ce n’est pas que les types [qui l’on annoncé à la radio] sont avec nous , c’est qu’on est partout, répond une fille à son interlocutrice.

Et c’est ainsi que la non-révolution se "décide" :
"- C’est simple il n’y a qu’à fixer une date.
- Chiche ! Quel jour ?
- Ben n’importe. Mardi
- Ouais mais mardi quelle heure ?
- Pourquoi pas 15h ?
"

Et, le mardi à 15h, seul un général égaré dévisagé curieusement par la foule, véritable poème antimilitariste, ne comprend pas ce qu’il se passe.

Un général, déjà objet du passé

Diverses scènes décrivent ainsi la découverte du temps libre, du temps pour se connaître et se parler, trouver des idées, ne rien faire. On change de prénom et d’identité, cela n’a plus d’importance. Et le rêve commence.

Désormais on marche sur la pelouse de la cité ouvrière où l’on ne pouvait poser le pied, la télévision et la radio sont réappropriées. Torse nu décontracté, on fait tourner les machines en fonction des besoins. Les billets de banque sont brûlés. La propriété privée est supprimée à l’occasion d’une grande fête au cours de laquelle les clés d’immeubles sont récupérées pour les fondre à des fins plus utiles. On chante, on danse, la conception de la culture est radicalement transformée.

Y a qu’bouffer qu’est un problème répond un ex-banquier à une ex-vendeuse de soutiens-gorges. Bouffer et devenir intelligent. Devenir intelligent... et savant et tout l’reste. Pour pas que... tes seins tombent. Ni tes dents, ni tes ch’veux. Et que tu fermes pas les yeux... Jamais.

Un magasin-musée à saloperies est créé. S’y exposent des lustres, des caddies de supermarchés, des cuisinières, des mixeurs, des sculptures en plâtre d’êtres humains à travers lesquelles on se faufile pour découvri ce qu’était le métro aux heures de pointe, des tondeuses et du désherbant alors que le gazon devient un mot inconnu des enfants. En cinq petites minutes l’An 01 flingue la société de consommation. Et en 15 secondes, la crise écologique est dénoncée après la découverte du premier poisson d’une rivière en phase de dépollution.

Pour autant, la réaction n’est pas loin. Les stocks de pâtes pour deux mois produits, un ex-directeur imagine ainsi en produire plus pour les échanger à d’autres. Les quelques travailleurs volontaires se fichent de lui tandis que Doillon le discrédite complètement : en pleine discussion, il est tenu de donner son pantalon pour le faire réparer.
Le ridicule est plus grand encore pour une bande de conspirateurs [4] nostalgiques de l’ancien régime projettent de reconquérir le monde en commençant par le retour du port de la cravate et des chaussures cirées. Ils sont filmés à leur insu et... suivis chaque soir par des millions de téléspectateurs, qui n’en demandent pas mieux pour rigoler un bon coup.

Le conspirateur Cavanna sous la bannière "Idéal Travail Hiérarchie"

A travers la dénonciation de ce que nous ne voulons plus, mais surtout, en montrant ce que nous voulons : un monde sans hiérarchie, sans sexisme, non pollué, sans militaires, curés, patrons,... l’An 01, fable utopiste, nous montre aussi que c’est possible, que c’est beau, qu’on doit le faire. Et nous donne du courage pour les luttes d’aujourd’hui en rêvant aux lendemains. C’est la démonstration par l’image de ce qu’est "l’impossible" d’Ernesto "Che" Guevara [5]



Gérard Craan

Notes

[1La fiche technique du film est consultable sur le site d’Internet Movie Database. Voir également la notice Wikipédia.

[2En tous cas par les Européens, Français en particulier, puisque la vague révolutionnaire s’amorce dans l’Hexagone avant de s’étendre partout

[3On retrouve bien là une certaine facilité utopiste dans laquelle le capitalisme peut s’effondrer de lui-même, sans lutte. C’est là sous-estimer sa capacité de résistance. Mais ce n’est pas non plus le but du film.

[4On reconnaîtra des membres de la rédaction de Hara-Kiri : Cavanna, le professeur Choron, Cabu, etc.

[5De la citation : Soyons réaliste, exigeons l’impossible.

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