Belgique, médias : faut-il encore lire le Soir ?

Brisons les « tabous » ! Sus aux « fétichismes » ! Oui à « l’audace » ! Un vent de fronde intellectuelle souffle sur le Soir. Ouvertes ou carrément béantes, le quotidien enfonce (presque) toutes les portes. N’écoutant que son courage, il nous propose actuellement de débattre « 10 mesures choc » [1] aussi inédites qu’objectives pour nous sortir de l’abime et réformer un modèle socio-économique autrement voué à une mort certaine. Conformistes de tout poil, gare à vous !

Enfin, surtout les conformistes de gauche, car il semble désormais acquis que cette tradition politique s’est muée par une étrange ruse de l’histoire en un bastion du conservatisme. Or le constat est « unanime » (parole « d’experts »). Vieillissement de la population, baisse de la compétitivité, chômage endémique, la Belgique, à l’image de l’Europe, s’encroute. « Osons »donc des solutions, qui si elles ne sont pas nécessairement défendues par le journal (dixit Mme Delvaux), méritent au moins d’être défendues… dans le journal. La nuance est de taille, l’objectivité étant à la presse ce que le sel est aux frites.

C’est d’ailleurs probablement le même souci d’équilibre envers une droite qui peine à faire passer son message (il n’y a qu’à suivre l’actualité) qui a poussé le Soir à retenir, sur les 10 mesures proposées, 8 de ses principales revendications.

  Faut-il partir à la retraite à 67 ans ?

  Faut-il supprimer l’indexation des salaires ?

  Faut-il baisser les charges salariales de 30% ?

  Faut-il diminuer la durée des préavis de moitié ?

  Faut-il davantage lier les droits à la Sécu aux revenus ?

  Faut-il supprimer toutes les prépensions ?

  Faut-il supprimer la durée légale du temps hebdomadaire de travail ?

  Faut-il limiter dans le temps les allocations de chômage ?

L’unique mesure « de gauche » rattrape néanmoins son isolement par un radicalisme qui ferait passer Lénine pour un enfant de chœur :

  Faut-il instaurer un impôt sur la fortune ? (Et paf ! Prends ça Capital !)

La proposition restante (« Faut-il mettre 5 milliards dans la recherche et le développement ? ») est quant à elle plutôt de nature consensuelle, ce qui prouve au passage qu’on peut proposer des « mesures choc »… sans trop choquer.

Mais au-delà du fond, notez bien la forme même des questions qui traduit à merveille l’objectivité de la démarche du quotidien. Il ne s’agit pas de se demander si telle réforme est souhaitable ou non (une question bassement politique), mais bien s’il faut la mettre en œuvre. Exit la politique donc, ce sont les experts qui sont chargés de nous répondre, eux dont l’éloignement de toutes fonction officielle garantit, c’est bien connu, une salutaire « lucidité » (comme en témoignent leur rôle brillant dans l’anticipation, puis la gestion de la crise actuelle). Car voyez-vous ils prennent le monde comme il est, et non comme il devrait être. Et dans ce monde-ci, le monde de la concurrence, de la mondialisation et du chômage, il faut abandonner nos droits sociaux si on veut que la croissance reparte. Voila la dure réalité dont se fait courageusement l’écho le Soir.

Mais, me direz-vous, si on ne veut pas que la croissance reparte ? Si on veut justement interroger cette mondialisation qui rend « nécessaire » toutes les régressions sociales ? Si la première question que l’on souhaite poser avant toutes les autres c’est « faut-il sauver le soldat capitalisme » ? Ah mais alors vous mettez les pieds dans les sables ô combien mouvants de l’idéologie (ouh le vilain mot). Et même la légendaire audace du Soir ne va pas jusque-là…

Cédric Leterme