Accueil > Numéros > Numéro 0 > Hommage à Gerda Taro

Version imprimable de cet article Version imprimable

Hommage à Gerda Taro

jeudi 3 septembre 2009, par Gisèle Fraupont

Avant d’être écrivain, François Maspero est connu pour la librairie qu’il tenait dans les années soixante, au cœur du Quartier Latin, et qui offrait à la lecture-parfois en cachette- toutes les révolutions intellectuelles, politiques et sociales de l’époque. Peu après avoir ouvert sa librairie, il fondait sa propre maison d’édition, réputée pour son engagement : s’y côtoyaient Frantz Fanon, Jean-Pierre Vernant, Alain Badiou...

 Devenu écrivain sur le tard, ce n’est donc pas une surprise si Maspero consacre son dernier roman à Gerda Taro, morte au front pendant la Guerre civile espagnole. Figure de l’ombre, trop souvent réduite à la compagne de Robert Capa (l’un des fondateurs de l’agence Magnum), Gerda Taro fut pourtant l’une des premières femmes reporters. Maspero comble les failles en faisant revivre son fantôme : son roman commence par l’interview imaginaire de Gerda, devenue vieille dame. On sent à travers ce portait passionné toute l’admiration que voue Maspero non seulement à Gerda, mais aussi à Capa.

 "Je crois que tout homme qui lit la vie d’André -telle, il est vrai, que lui-même s’est plu à la raconter- devrait être pris d’une nostalgie irrésistible à l’idée qu’il n’est pas Robert Capa. Et que toute femme, pensant à celle de Gerta, devrait aussi ressentir parfois l’envie, même infinitésimale, d’être Gerda Taro. Ou du moins aimerais-je -comme d’autres, je l’espère- que toute femme ait quelque chose d’elle."

 André, c’est André Friedmann, futur Robert Capa. Gerta, c’est Gerta Pohorylle, future Gerda Taro. Il est hongrois, elle est allemande, tous deux sont des juifs en exil dans la France des années 30. Ces deux-là ont le coup de foudre lorsqu’ils se rencontrent, en 1934. Photographe, André initie Gerta au Leica, invention récente qui vient bouleverser le journalisme. Tous deux de gauche, ils se lancent alors dans le photo-reportage et collaborent à des journaux communistes tels que Ce Soir (dirigé par Aragon) ou Regards. Robert Capa est la création collective des deux amants : l’anecdote veut qu’ils aient inventé ce personnage, américain, riche et célèbre afin de vendre à meilleur prix... les photos d’André. Gerta se met rapidement à signer ses photos du même pseudo, ce qui crée la confusion : on ne sait dire avec exactitude quel cliché appartient à qui. Cependant, elle signe sous son propre pseudo dès 1936 : Gerda Taro.

 La plume de Maspero nous donne l’image d’une femme pétillante de jeunesse, séductrice et séduisante, n’ayant pas peur du risque. C’est armée de son appareil photo qu’elle monte au front avec les républicains, en pleine Guerre civile espagnole. La "pequeña rubia" ne craint rien. Au point que, alors que les franquistes créent la débandade dans le camp républicain, elle se dresse en travers du chemin des soldats en fuite pour les exhorter à retourner au combat.
C’est dans cette circonstance que la jeune femme, âgée de 27 ans, est blessée à mort. André Friedmann, alias Robert Capa, ne s’en remettra jamais. Lui aussi mourra l’appareil en bandoulière, en 1954, en Indochine. Ce que partagent Gerda Taro, Capa mais aussi des photographes comme Kati Horna ou Tina Modotti, c’est la conviction qu’une photo peut changer le cours des choses. C’est cette leçon d’engagement que nous transmet avec ferveur François Maspero.

"L’ombre d’une photographe, Gerda Taro", de François Maspero paru aux éditions du Seuil, 2006

Gisèle Fraupont

SPIP | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0