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La lutte contre la pauvreté est-elle tolérable aux yeux du nouvel ordre mondial ?

lundi 11 janvier 2010, par Céline Delforge

Il y a quelques semaines, Dominique Straus-Kahn, directeur général du FMI, s’inquiétait de la hausse du salaire minimum en Ukraine. Il envisageait même de suspendre les aides du FMI à l’Ukraine : imaginez que le président ukrainien, dans un accès de délire a décidé d’augmenter de 11% le salaire minimum qui se situe actuellement à un peu plus de 60 €. Imbuvable pour ce digne représentant de la social-démocratie. Menacer de suspendre l’apport du FMI relève du chantage, pas de la contrainte et certains esprits pourraient même y voir la possibilité pour un pays de se libérer des diktats dudit FMI. Néanmoins, il est marquant de constater que quelqu’un se disant progressiste voire de gauche se permette de lutter contre une mesure sociale basique.

Et pourtant, le président ukrainien ferait bien de s’inquiéter. Un de ses collègues du bout du monde, le libéral hondurien Manuel Zelaya, manifestement touché par le même virus, a testé en juin le remède ultime contre ces accès de mesures structurelles contre la pauvreté : le coup d’Etat [1].

Il faut dire qu’il avait poussé le bouchon un peu loin : il avait décidé de relever de 60% le salaire minimum. Dans un pays où les richesses sont détenues par quelques familles et où d’honorables sociétés étasuniennes telles que Chiquita ont de gros intérêts [2], ça fait mauvais genre d’augmenter les charges salariales, comme dirait la Fédération des Entreprises Belgique (FEB).

De plus, Zelaya avait décidé de rejoindre l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques (ALBA), lancée par les deux insultes au libéralisme que sont le Venezuela et Cuba. Enfin, il avait décidé de transformer la base militaire U.S. de Soto Cano en aéroport commercial parce que l’aéroport actuel de Tegucigalpa pose des problèmes de sécurité.

On le voit, en prenant des mesures ponctuelles de bonne gestion de l’intérêt collectif (minimum salarial, sécurité aéroportuaire), Zelaya a touché aux intérêts du patronat et a mis en danger les intérêts des Etats-Unis, très liés il est vrai aux intérêts financiers de leurs entreprises.

Pourtant, Zelaya n’a rien d’un révolutionnaire et ne s’est pas engagé dans un processus de réformes profondes telles que des nationalisations, de grandes réforme fiscales ... Il n’a pas, à l’instar d’un Chavez, proclamé la révolution. Zelaya a été élu comme représentant du parti libéral et n’a entamé des réformes sociales qu’au cours de la seconde partie de son mandat. On pourrait dire qu’il a adopté un comportement politique de douce réforme sans vraiment remettre le système en cause. Il est vrai qu’il n’avait pas été élu sur un tel programme mais s’il devait y avoir un coup d’Etat militaire chaque fois qu’un élu de gauche met en œuvre un programme de droite, toute l’Europe se trouverait sous dictature militaire.

Le 28 juin 2009, Zelaya a été emmené manu militari en plein milieu de la nuit et conduit hors des frontières de son pays. Les putschistes ont monté a posteriori une justification à leur coup d’Etat : Zelaya organisait le jour-même un referendum anticonstitutionnel destiné à lui permettre de se faire réélire. Dans, les faits, Zelaya a organisé une consultation populaire pour demander aux Honduriens s’ils souhaitaient que, lors des élections présidentielles soit ajoutée une seconde urne permettant de voter sur une réforme constitutionnelle. En gros, Zelaya organisait une consultation populaire pour savoir s’il pouvait organiser un referendum en même temps qu’une autre élection, à laquelle il n’aurait de toute façon pas pu se présenter. Là encore, outre le prétexte, on peut voir une nouvelle déviance dans le chef de Zelaya : la participation. Et ça, c’est vraiment dangereux.

Le 29 novembre, se sont tenues des élections au Honduras. Les conditions requises pour qu’elles puissent être considérées comme valables n’ont absolument pas été réunies (organisation des élections sous contrôle militaire, répression des forces abstentionnistes, absence de débat contradictoire, répression de la liberté d’expression et fermeture des médias non acquis aux putschistes). Cela n’a pas empêché les Etats-Unis du prix Nobel de la paix d’en reconnaître les résultats. Il faudra encore attendre quelques mois avant de savoir si les forces de résistances, particulièrement vivaces après le coup d’Etat, parviendront à lutter efficacement pour rétablir un pouvoir démocratique [3].

L’exemple hondurien mène à se poser plusieurs questions :

- est-il possible de mener des politiques sociales positives sans s’attaquer aux rouages du système économique actuel, qu’on le veuille ou non ?

- peut-on mener des politiques sociales et de lutte contre la pauvreté dans un cadre démocratique sans que cela provoque une ingérence et des actions non démocratiques dans le chef du patronat et/ou de l’impérialisme étasunien ? Le monde politico-économique actuel pourrait-elle encore tolérer des mesures redistributives telles que celles qui ont permis de construire le modèle social européen actuellement en voie de délitement ?

- comment évaluer le fait qu’un coup d’Etat de la même nature que celui de Pinochet au Chili se produise aujourd’hui sans réelle réaction et sans que la plupart des citoyens en soient au courant ? [4]

Toutes ces questions n’incitent pas à l’optimisme mais y trouver une réponse est néanmoins indispensable pour mener à bien toute action militante de gauche.

Céline Delforge

Notes

[1NDLR : le lecteur soucieux de trouver plus d’informations de vulgarisation sur le coup d’état au Honduras pourra les trouver dans la liste d’article suggérés :

- Coup d’Etat, par Maurice Lemoine ;

- Honduras : Pourquoi le coup d’État, par Cécile Lamarque et Jérome Duval ;

- L’attitude complice de la Belgique et de l’Union Européenne à l’égard de la dictature au Honduras, par Cécile Lamarque.

[2NDLR : On pourra lire sur le site du Post.fr la traduction d’un intéressant article de Nikolas Kozloff consacré aux intérêts de Chiquita au Honduras.

[3Pour plus de développements sur l’implication des Etats-Unis et les circonstances du coup d’Etat http://www.cadtm.org/Honduras-Pourquoi-le-coup-d-Etat

[4NDLR : Sur la question de la (dés)information des médias occidentaux, on pourra lire : Sous-information et désinformation : loin du Honduras sur le site d’Acrimed.

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