Accueil > Numéros > Numéro 4 - Consumérisme > La cueillette des parapluies

Version imprimable de cet article Version imprimable

Témoignage

La cueillette des parapluies

mercredi 16 décembre 2009, par Damien

Dans l’atmosphère consumériste propre aux fêtes de fin d’année, un peu de répit pour évoquer certaines alternatives. Damien nous présente l’une d’entre-elles, la Foire au Savoir-faire.

La semaine dernière je suis parti à la cueillette aux parapluies. Le temps était propice, fort vent petite pluie, les conditions idéales pour les voir fleurir soudainement nos canniveaux.

Je préparais mon stand pour la Foire aux Savoir-faire de Noël. Je devais réunir tout le matériel qui allait être utilisé. Sur une Foire aux Savoir-faire tout est gratuit et chaque passant peut mettre la main à la pâte, essayer une technique, fabriquer un objet et repartir avec. Les savoir-faire proposés couvrent tous les champs de la consommation courante (cuisine, jardinage-compost, habillement, jouets, produits d’entretien, hygiène et bien être, petits meubles et objets déco. ...) toujours à partir de produits offerts par la nature ou de récup’. Pour une Foire de Noël évidemment l’idée est alors de proposer des cadeaux et des décorations toujours à partir de récup’ ou d’éléments naturels pour donner des pistes concrètes pour un Noël sans conso, sans gaspi.

J’étais sur le stand qui proposait de montrer comment utiliser les toiles des parapluies cassés pour en faire des sacs [1]. Sacs à dos, sac en bandoulière, protège sac à dos, protège saccoche... et donc il me fallait trouver de quoi approvisionner le stand. En moins d’une semaine de cueillette nous avions 32 parapluies de toutes les formes et couleurs possibles et imaginables. Largement suffisant. La plupart furent dépiautés et à défaut de pouvoir sauver les baleines, une bonne ambiance créatrice au milieu des "toiles a régné".

C’est ça la joie de préparer une Foire aux Savoir-Faire : chasser ces objets qui normalement seraient détruits pour les détourner et leur offrir une seconde vie, les réintroduire dans le cycle en lieu et place d’autres objets qui, si nous avions dû les acheter, auraient demandé ressources naturelles, énergie, transport... Donc une action sur les deux bouts de la chaîne : réductions des déchets et réduction de la consommation. [2]

Mais nous ne nous faisons pas pour autant d’illusions. Ce ne sont pas les quelques parapluies sortis de leur rigole qui sont une réponse à la désorganisation de nos sociétés qui ne fonctionnent que sous l’impulsion des moteurs de la surconsommation et du gaspillage. La réponse se trouve dans l’induction d’un autre comportement.

Ainsi le plaisir d’être dans la position du chasseur de trésor qui trouve un objet oublié ou négligé, puis le plaisir de le travailler de le réparer, de le recoudre d’en faire un produit original exprimant sa créativité et enfin le plaisir d’apprendre de ses proches les techniques nécessaires, de discuter les améliorations à apporter, d’échanger ses expériences sont les trois ressorts au centre d’un comportement global. Un comportement qui nous donne les moyens de regagner du terrain sur la marchandisation de nos relations et de nos actions. Un comportement fortement libérateur de toutes pressions consuméristes et utilitaristes.

Des ressorts qui touchent finalement à des choses essentielles, puisque sur un stand ou un atelier de la Foire aux Savoir-Faire chacun parle de ce qu’il sait faire, de ce qu’il a déjà fabriqué, de ces trucs et recettes préférées. Cette approche valorise une personne pour ce qu’elle est capable de faire et non pour ce qu’elle est capable d’acheter ou de paraître. Et ceci n’est nullement une formule ou un slogan creux. L’année dernière nous avions un cycle d’ateliers avec les pré-ados d’une maison de quartier. A la fin du cycle, ils animaient eux-même deux stands de savoir-faire pour leur fête de quartier. Leur fierté à transmettre leur savoir-faire, à montrer à leurs camarades comment tenir un marteau ou une scie était loin d’être feinte !!

Dans la rencontre entre individus, partir de nos compétences, mettre en valeur notre habilité, notre capacité créatrice est un outils très puissant pour ouvrir un vrai dialogue, pour instaurer un climat de confiance.
A l’inverse des discours moralisateurs et culpabilisateurs qui braquent qui mettent sur la défensive et au final produisent l’effet inverse en démotivant.

Pour cette raison sur nos Foires nous n’avons pas de discours, pas d’argumentaires, pas de constats. La seule soupe que nous servons se fait avec du vieux pain sec ou des fanes de carottes.

D’expérimentation en savoir-faire, de récup’ en glanage de nouveaux réflexes s’insinuent et on prend vite goût à cette petite gymnastique, qu’on ne se lasse plus de pratiquer. Une gymnastique qui aurait deux disciplines : le "non-jeter au sol" et le "pas-acheter par équipe".

Le "non-jeter au sol" qui se pratique en se demandant à chaque fois avant de jeter un objet : Est-ce que dans mes voisins, amis, famille quelqu’un n’en n’aurait-il pas l’utilité ? Comment entrer en contact avec eux ? Est-ce que je ne saurais pas en faire quelque chose dont j’ai besoin ? Comment le faire ?

Puis le "pas-acheter par équipe" qui se pratique en se demandant avant tout achat : Est-ce que dans mon cercle de proche quelqu’un n’en n’aurait pas un dont il n’a plus usage ? Comment entrer en contact ? Est-ce que je ne pourrais pas le faire par moi-même ? Qui pourrait m’apprendre la technique ? Où trouver les matériaux nécessaires ?

Deux disciplines qui impliquent plus de lien social, plus de collectif.

"Customiser" des vêtements de seconde main, ou faire des déguisements ou des retouches minute pour prolonger la vie de ses vêtements, faire un réchaud de camping avec une roue de vélo, rempailler des chaises avec des chambres à air, faire des porte-manteaux avec des vieux skis, des porte-monnaie avec des briques de lait, cuisiner des restes, faire des jardinières de balcon, faire son dentifrice, sa crème hydratante, des teintures végétales et des peintures à base de pomme de terre des bijoux avec des morceaux de bidules et pas mal de bout de machins, des meubles en palettes, des charrettes pour vélo...

Au fil de quatre années de Foire nous avons rencontré de nombreuses personnes désireuses de partager, de transmettre un savoir-faire. Tous ces passeurs, ces animateurs d’ateliers reçoivent le titre honorifique de “Foireux”, un titre de noblesse cher à tous puisqu’il affirme le droit à l’expérimentation, un penchant pour le tatonnement créatif, le goût pour l’irrégularité et le charme d’une imperfection par opposition à la froideur lisse et impersonnelle des objets façonnés à la chaîne. [3]

Et si vous aussi, en 2010, vous étiez un peu foireux ?

Damien
Foireux
damien@foiresavoirfaire.org

Notes

[1Le mode d’emploi comme toutes nos recettes se trouve sur : www.foiresavoirfaire.org

[2La Foire aux Savoir-Faire a édité une carte des trésors de la Récup’ en ville avec des idées de matériel à récup’ de lieux pour les récup’ et des idées pour savoir quoi en faire. Cette carte est téléchargeable sur : http://foiresavoirfaire.free.fr/spip.php?article171

[3Cf. la Charte de la Foire aux Savoir-Faire : http://foiresavoirfaire.free.fr/spip.php?article30

SPIP | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0