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Témoignage

Un jour, ne plus payer…

samedi 2 janvier 2010, par Monsieur A

L’entraide est un réflexe aussi vieux que l’humanité. Aujourd’hui encore, elle se loge dans les interstices de la société marchande et de contrôle. L’entraide est toujours le terreau de la critique sociale, d’une lutte quotidienne qui doit nous empêcher de nous réduire à nos seules fonctions salariées et consommatrices, qui doit garder nos esprits en éveil, et nous permettre de fourbir les armes du changement social. Dans le petit coin d’Ardenne où je réside, mais ça peut être partout ailleurs, des bouts de vies singulières s’inscrivent dans ce type de beau processus collectif.

Un soir de début d’été, dans la grange, des villageois ont organisé une projection de film : « La double face de la monnaie » expose à un auditoire d’une quarantaine d’âmes des expériences de monnaies locales, fondantes, alternatives aux monnaies vecteurs de capitalisation, et aussi l’initiative des SEL, services d’échanges locaux, comme autant de moyens de (re)-construire une part d’autonomie économique locale qui serait traversée par des valeurs qui se veulent plus humaines que celles de la société « néo-libérale » en place.

A la fin du film, une assemblée profite des derniers rayons pour s’installer dehors, autour de quelques bières. La discussion s’entame sur l’intérêt d’installer des mécanismes similaires aux exemples vus dans le reportage. Pourquoi ne pas mettre en place un répertoire des actions que chacun est prêt à faire pour un autre, et installer un moyen d’évaluation – une monnaie - sur base du temps que ce service prend à l’individu volontaire ? Ainsi nous pourrions échanger des services divers, sans que la contrepartie soit limitée dans une relation entre deux personnes, mais participe au contraire à la solidification d’une dynamique collective d’entraide.

Mais certains, dans l’assemblée, restent sceptiques : Pourquoi devoir formaliser ce qui existe déjà sans monnaie ? Nous vivons déjà avec ce réflexe d’entraide gratuit qui n’a pas besoin de contrepartie monétaire pour exister. Installer une valeur d’échange nous ferait régresser ! Est-ce qu’on n’est déjà pas plus loin que ça ? On a dépassé le problème, dans nos relations on a pas besoin de monnaie, on va quand même pas commencer à évaluer les services qu’on se rend les uns les autres ? Ces questions alimenteront encore les débats, de petit groupe en petit groupe, pour s’estomper bientôt avec la soirée finissante. « On en rediscutera à une réunion ».

Au village, il y a une réunion par mois, rendez-vous où ceux qui sont présents se posent une simple question : qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ? C’est vrai qu’il n’y a pas toujours besoin de la réunion pour ça, mais quand même, ça permet de formaliser certains trucs, de se rencontrer, et de faciliter les rendez-vous et la communication. Pour donner un coup de main à celui qui en a besoin, organiser une balade, des projections, des fêtes, des achats communs, échanger des graines, des vêtements …

Il ne s’agit pas d’un village modèle pour autant, la vie y coule avec ses contradictions, ses bonheurs et aussi ses prises de bec. L’argent n’y a pas disparu, beaucoup font encore des courses au supermarché... Mais certains jours on peut voir des hommes et des femmes réunis sur le chantier de l’un, en train de soulever des troncs qui feront l’ossature d’une maison aux murs de paille, puis voir les mêmes aider à la rénovation d’une grange d’un autre, qui deviendra lieu culturel. Un idée est lancée : pourquoi ne pas envisager un jour par mois ou on passerait de maison en maison donner un coup de main à ceux qui en ont besoin ?

Il est vrai aussi que tout le monde n’est pas piégé par un travail salarié temps plein, ce qui, en plus des obligations familiales, réduirait grandement la part de temps autonome. Puis moi, par exemple, je vis en communauté, projet de vie collectif qui permet une série d’économies d’échelle impressionnantes. De façon générale beaucoup essaient de faire les choses eux-mêmes, le potager, le pain, les rénovations, la construction, et en font des questions collectives. C’est un beau foisonnement de savoir-faire, qui réduit au minimum la part que l’on concède à la relation marchande.

Ces aperçus singuliers ne sont que des petits moments de vie, mais moi je les vois comme autant de pas vers ce processus rêvé qui nous voit chaque jour devenir plus autonomes. Des initiatives germent ailleurs, comme peut-être autant d’inspirations : jardins collectifs, coopératives de producteurs,... et qui peuvent monter en intensité : actions de sabotages contre l’agro-business, action de réappropriation dans des grands magasins, squat de maisons voire de hameaux abandonnés…

Construire une action sociale et politique, construire une vie solidaire passe par la récupération du temps à partager. Se rendre plus fort mutuellement c’est moins dépendre du salariat, c’est cultiver un bien-être gratuit sans devoir compenser nos déprimes par des achats compulsifs, c’est s’entraider et trouver des solutions concrètes de vie ensemble. Afin de foisonner et faire vivre la critique sociale, celle qui peut-être un jour nous amènera à nous organiser réellement pour ne plus rien payer. Celle qui fera que nous n’aurons plus besoin ni du salariat, ni du chômage, ni des magasins.

Monsieur A

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