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L’emploi des détenus dans les prisons belges : le retour du come back du 19ème siècle ?

mercredi 18 novembre 2009, par Fifi Brindacier

Environ 10.000 détenus sont incarcérés en Belgique [1]. Si presque tous les reclus demandent à travailler en prison, la majorité d’entre eux n’ont pas accès au labeur carcéral : les taux d’occupation sont en effet estimés inférieurs à 50% [2] - et parfois bien en deçà.

Il existe trois types de travail en prison : les services domestiques (nettoyage des couloirs, des bureaux administratifs, buanderie, cuisine, épluchement, etc.), la production en atelier à destination d’entrepreneurs privés (divers types de travaux manuels non qualifiés), et le travail en atelier pour le compte de la Régie Pénitentiaire (ateliers de menuiserie, imprimerie, forge, reliure et couture). La Régie Pénitentiaire est l’organisation qui chapeaute l’organisation du travail carcéral dans toutes les prisons. Elle est reliée au Ministère de la Justice.

Sens et décence.

Selon l’Organisation Internationale du Travail, le travail décent consiste à «  garantir à tout citoyen du monde un travail librement choisi, suffisamment rémunéré et doté d’une protection sociale et des libertés syndicales ». Force est de constater que ce n’est pas le cas aujourd’hui en prison.

  • librement choisi :
    Dans les faits, le travail demeure une faveur. Si un détenu a la chance de s’en voir octroyer un (souvent en lien avec un comportement disciplinaire policé), c’est un luxe de le refuser. En prison, on ne choisit pas le type de travail dans lequel on désire s’investir.
  • suffisamment rémunéré :
    On ne parle pas de salaire en prison mais bien de gratification. Celle-ci est fixée, pour les travaux domestiques, par arrêté royal à 0,62 euros de l’heure minimum. Le montant mensuel peut varier grandement, entre 33 et 180 euros par mois [3]. Pour les travaux en ateliers, les montants peuvent atteindre 200 à 300 euros [4]. Il s’agit d’un tarif à la pièce (le montant est fixé selon un accord entre la Régie pénitentiaire et l’entreprise privée). La Régie pénitentiaire s’octroie, à titre de frais de fonctionnement, 40% des revenus de la production réalisée par les détenus en atelier pour le compte de concessionnaires tandis que les travailleurs en reçoivent 60%.
  • doté d’une protection sociale :
    Il n’y a pas de contrat de travail en prison. De manière générale, les droits et risques sociaux ne sont ni garantis ni assurés. Les détenus peuvent être licenciés du jour au lendemain. Il n’existe aucune possibilité de recours officiel contre une décision de retrait d’emploi. Il n’existe pas de règlement de travail. Beaucoup de détenus travaillent à temps partiel, parfois deux heures par jour sept jours sur sept. Pour le compte des concessionnaires, les établissements pénitentiaires travaillent beaucoup avec un noyau de travailleurs constant et une main d’oeuvre périphérique. Seuls quelques protections sociales sont couvertes (indemnité d’invalidité jusqu’à revalidation lors d’un accident du travail, allocation d’incapacité ou d’invalidité permanente, gratification partielle en cas de « chômage technique » suite à une grève du personnel pénitentiaire).
  • libertés syndicales :
    Il n’a pas de liberté d’association en prison, il n’existe pas de groupe de défense des droits des travailleurs détenus et a fortiori, il n’y a pas de liberté syndicale.

De l’obligation de travail à l’absence de protection sociale

Autrefois uniquement régi par une pléthore de circulaires ministérielles, le monde carcéral est, depuis 2005, doté d’une loi entrée partiellement en vigueur (« loi de principes concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique interne des détenus », dite Loi Dupont). La philosophie de cette législation est basée sur l’idée de limitation des effets préjudiciables de la détention et sur le principe d’adéquation de la vie intra-muros aux normes économiques et sociales en vigueur dans la société (accès à la santé, à l’éducation, etc.). Le concepteur de la loi a donc, dans un premier temps, supprimé l’obligation de travail des détenus pour ensuite permettre l’accès des travailleurs reclus à un statut et des protections sociales ainsi qu’un salaire décent. Cependant, lorsque le projet de loi fut examiné au Parlement, sur amendement du gouvernement, furent supprimés les références à la concordance entre revenus du travail intra- et extra-muros et à l’allocation de « chômage » pour les détenus demandeurs d’emploi en cas de manque de travail au sein de la prison.

Production et reproduction de la prison par les personnes incarcérées

Les formes que prennent le travail en prison interpellent : construction des barreaux, portes et meubles de cellule par les détenus ; fabrication des uniformes pénitentiaire des prisonniers ; entretien et maintenance logistique de la prison par ceux-ci (nettoyage, nourriture, vestiaire, ...). Au niveau des entreprises privées, il s’agit de mettre des mèches dans des bouteilles désodorisantes, de rembourrer des coussins, de plier des cartes routières ou encore, par exemple, de mettre des petits drapeaux sur des cure-dents.

D’autres facettes de l’agencement de l’emploi des personnes incarcérées posent également question. L’organisation du travail carcéral n’est pas le fait d’une quelconque entreprise privée obscure, exploitante ou malveillante mais bien de l’Etat qui, s’il devrait donner l’exemple, en chapeaute pourtant la structuration et en perçoit quelques bénéfices directs ou indirects.

Par ailleurs, si l’Etat organise l’emploi des détenus en prison, il participe également au problème de (ré)insertion en maintenant le casier judiciaire et en refusant l’accès d’anciens prisonniers au travail dans les administrations publiques.

La manière dont s’instaure le rapport du travailleur à son emploi en détention, en terme d’absence de sécurité sociale, pourrait être considéré, d’une certaine manière, comme une forme extrême du contraire de ce que représente le travail décent. En ce sens, de plus en plus de formes de labeurs au sein de la société tendent, ce qui est déplorable, à se rapprocher, petit à petit d’un travail caractérisé par l’absence de droits (travail clandestin, activation, travail au rabais). Il est d’ailleurs interpellant, mais sans doute peu étonnant, de se rendre compte que le parcours des travailleurs aujourd’hui incarcérés est fait de petits boulots rarement doté de sécurité sociale (travail clandestin, travail dans des pays où n’existe pas de sécurité sociale, travail au noir dans le bâtiment, etc). Il semblerait donc ne pas exister, au sein de la population carcérale, une culture de la sécurité sociale. Cette idée, cette rencontre que nous avons faite lors de nos nombreuses visites en prison, va totalement à l’encontre de l’idée d’assistés de la société et de profiteurs.

Le plus grand paradoxe [5], sans doute, c’est que les détenus, en étant demandeurs de travail en prison, ce qui implique une « bonne conduite », sont les garants de l’ordre dans l’établissement pénitentiaire, du maintien du monde carcéral, et de sa reproduction logistique (cuisine, buanderie, nettoyage, production des barreaux, meubles, portes, etc.).

Fifi Brindacier

Notes

[1Direction Générale des Etablissements Penitentiaires, Rapport annuel, 2008 (population journalière moyenne).

[2Direction de la Régie Pénitentiaire, 2008. A noter qu’il n’existe cependant pas de statistiques officielles centralisées en la matière.

[3L’exemple pris est l’établissement pénitentiaire d’Andenne mais il existe des différences notoires entre établissements.

[4Idem.

[5FOUCAULT, M., Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.

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