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B-Cargo ou l’alliance contre l’écologie et l’emploi !

mercredi 21 octobre 2009, par Céline Delforge

La prise de conscience générale de l’urgence climatique et écologique alliée à l’éclatement de la crise financière en 2008 ont mis en évidence que le système économique libéral, basé sur un marché dérégulé et un consumérisme effréné, n’est ni tenable ni porteur de bien-être.

Au cœur du système actuel, on retrouve le transport de marchandise et son faible coût qui permet de délocaliser vers des pays où les salaires sont bas et la protection des travailleurs peu élevée ou inexistante. Si le coût du transport était plus élevé, la production locale, que ce soit de marchandise ou de nourriture, redeviendrait « compétitive » pour reprendre les termes néolibéraux en vigueur.

Or le bas prix de revient du transport de marchandise est lié à ce qu’on appelle l’externalisation d’une partie des coûts : le prix fixé ne tient pas compte d’une série de coûts qui sont en fait payés par la collectivité, à savoir les citoyens, les pouvoirs publics et la planète. Il s’agit aussi bien des infrastructures que des nuisances provoquées par le transport ou encore l’utilisation intensive de ressources naturelles non renouvelables.

Cette externalisation des coûts joue en faveur des délocalisations et de l’abaissement des minima sociaux mais crée également une distorsion de concurrence entre les différents modes de transport… au bénéfice des plus néfastes en termes environnementaux.

Ainsi, le prix du transport par camion ne reprend que partiellement le coût des infrastructures routières et pas du tout les coûts humains et financiers liés à la pollution (réchauffement climatique mais également soins de santé aux personnes victimes de cette pollution qu’elle soit aérienne ou sonore), à l’utilisation intensive de pétrole, aux accidents de la route et à la congestion du trafic. Une étude de 2004 [1] montre que les coûts externes du transport de marchandise par rail sont cinq fois moins élevés que ceux du transport par route ! Et ces chiffres ne reprennent par les coûts liés à la congestion, qui penchent encore plus en défaveur du transport par route.

Le besoin d’une reprise en main de la sphère économique par le politique et d’une utilisation parcimonieuse des ressources naturelles devrait enclencher une action volontariste afin de faire payer le coût-vérité du transport par camion et inciter à prendre toutes les mesures possibles pour favoriser un transfert modal vers le rail et l’eau. L’urgence climatique est là et il en va de la survie de l’humanité ! On ne peut pas laisser un tel enjeu aux mains du marché.

Et pourtant, B-Cargo, l’opérateur du transport de marchandise de la SNCB, vient de dévoiler son plan industriel dont voici la première page :

« Qui décidera du futur de B-Cargo ?
-  Pas le monde politique
-  Pas le management de la SNCB et/ou du Holding
-  Pas les syndicats

… Seulement les clients décideront si B-Cargo aura encore, ou pas, un futur !
… Il est donc indispensable que, collectivement (tutelle, management et personnel/ syndicats), nous nous alignions sur les attentes du marché !
 » [2]

Le transport de marchandise par rail étant une des clés de résolution de la crise climatique, ils auraient pu aussi nous dire que c’est au marché de décider de l’avenir de l’humanité. On peut se demander comment il se fait que des managers d’une entreprise publique récitent si bien leur bréviaire libéral alors que, si on se penche sur les chiffres, ils se sont montrés bien incapables jusqu’à présent de développer un plan opérationnel crédible et durable pour la survie d’une entreprise publique de transport de marchandise. En effet, un business plan mis en œuvre dès 2005 prévoyait l’équilibre pour 2008, année qui s’est soldée par un déficit de 121 millions d’€. Au mieux sont-ils capables de brandir la menace de la faillite pour pousser syndicats et travailleurs à accepter des conditions de travail dégradées, au risque de leur qualité de vie mais également de leur sécurité et de celle de tous les usagers du rail. Tout aussi grave, les concurrents de B-Cargo ne s’occupent que de la part la plus rentable du fret ferroviaire, principalement les transports internationaux de trains complets, au détriment du transport diffus [3] qui sert principalement aux PME.

La seule réponse de la direction de B-Cargo pour le futur réside dans la compression des coûts de personnel et d’entretien et la filialisation, prémisse de la privatisation, sans chercher à se positionner dans les segments auxquels la concurrence ne s’intéresse pas.

Pourtant, si B-Cargo doit être sauvée, c’est bien par l’action politique, tant au niveau belge qu’au niveau européen.

1° en faisant reconnaître le transport de marchandise par rail comme un service d’utilité publique, en particulier les branches non rentables telles que le trafic diffus (utile surtout aux PME), délaissées par les opérateurs privés.

2° en supprimant la distorsion de concurrence entre route et rail grâce à l’internalisation des coûts collectifs (vignette, suppression du remboursement d’une partie des accises, …), à des contrôles efficaces quant aux temps de roulage, conditions de travail et respect des charges maximales autorisées dans le secteur routier.

3° en admettant que les cheminots ont déjà payé un lourd tribut à la privatisation et que toute dégradation de leurs conditions de travail et fragmentation supplémentaire du travail les mettrait en danger, ainsi que les voyageurs [4].

4° en érigeant la lutte contre le réchauffement climatique comme priorité absolue et certainement supérieure aux lois du marché qui servent de religion à certains.

Si une autre option est choisie, les routes s’engorgeront encore un peu plus de camions conduits par des travailleurs payés au rabais, avec leur lot de pollution et d’accidents. Il y a fort à parier que le pouvoir public sera alors fortement sollicité pour la construction de nouvelles infrastructures routières, au détriment des modes de transport moins polluants. Infrastructures qui seront finalement payées par les citoyens via les budgets publics et au prix de leur santé et de celle de la planète. [5].

Céline Delforge

Notes

[2B Cargo Group Plan Industriel, 24 août 2009

[3assemblage de wagons de lots différents ayant des destinations différentes

[4L’exemple anglais et le terrible accident de Paddington en 1999 en témoignent tristement

[5les plans pharaoniques d’élargissement du ring autour de Bruxelles en sont le parfait exemple

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