Une réalité à rendre vert de peur
Le désastre écologique auquel nous assistons depuis plusieurs décennies est vertigineux et en partie irréversible : pollutions durables du sol [4], de l’air [5] et de l’eau [6] ; pillage des ressources naturelles [7] ; OGMisation de l’agriculture [8] et destruction de la biodiversité [9] ; bouleversements climatiques majeurs [10]... Ce désastre en entraine directement un autre, humain, qui touche particulièrement les pays les plus pauvres [11] : populations affamées [12], déplacées [13], insécurisées [14]. Dans les régions industrialisées, on assiste à une augmentation continue des problèmes de santé liés à l’environnement et à l’alimentation comme la hausse des allergies [15] et de certains types de cancers [16]. Il est plus qu’urgent de prendre le mal à la racine.
Des politiques à rendre vert de rage
Or, si nos valeureux dirigeants n’hésitent pas, le cas échéant, à se saisir du Roundup judiciaire pour anéantir la mauvaise herbe contestataire [17], leur "action" face à l’urgence environnementale et humaine revient à s’attaquer à une forêt de ronces armé d’une pince à épiler... Au-delà des grandes déclarations d’intentions (comme celles exprimées dans le protocole de Kyoto, en décembre 1997 [18]), qui sont en réalité très peu suivies d’effet (quand on évoque ce protocole, c’est souvent pour en dénoncer les multiples violations...), la politique environnementale des pays capitalistes occidentaux se résume à bricoler une série d’adaptations "vertes" au système. Des adaptations qui ne nuisent pas au sacrosaint marché - les entreprises en tirent d’ailleurs avantage [19]- et qui permettent de désamorcer la préoccupation écologique croissante. Le problème, c’est que le concept de "capitalisme vert" est intrinsèquement contradictoire et illusoire.
D’une part, parce que les causes profondes du désastre écologique - et social - actuel sont à chercher dans l’essence-même du système. Son moteur, c’est la croissance du marché et l’accroissement des profits des actionnaires. Il faut par conséquent produire toujours plus, consommer toujours plus et toujours à moindre coût. Cet ordre productiviste et consumériste constitue l’une des principales causes des pollutions, dégradations et pillages commis sur l’environnement. Lire à ce propos "Le Vert et le Rouge - Première partie : Les causes structurelles de la crise écologique " de Didier Brissa.
D’autre part les intérêts du marché, proprement incompatibles avec les mesures radicales et urgentes à prendre en faveur de l’environnement [20], sont gagnants en terme de priorité politique. La ligne de nos dirigeants est claire : c’est la croissance d’abord, on ne sort pas de là [21]. A propos de la prévalence du marché sur les autres considérations, Céline Delforge aborde le cas du transport de marchandises dans "B-Cargo ou l’alliance contre l’écologie et l’emploi !".
Et hop ! Une bonne couche de peinture verte
Pour nous vendre le capitalisme à la sauce écolo, une bonne couche de peinture a fait l’affaire. On assiste depuis quelques années à un véritable ras-de-marée. Tout devient « vert » ou « durable » : le capitalisme, la croissance, le développement, l’énergie... C’est du délire !
Bien sûr, l’industrie - verte - surfe sur la vague, inondant le marché de biens de consommation absolument non-écologiques qu’elle appelle sans rire "verts" ou "propres". Pierre Eyben revient sur le concept frauduleux de "voiture verte" dans La voiture écologique arrive à plein gaz. Gérard Craan et Vince Er, quant à eux, soulignent la contradiction de fond du concept de "développement durable" ("Le capitalisme se développe durablement"), et nous parlent, entre autre, de la vision de "développement durable" de grands groupes comme Coca Cola. Les exemples de "greenwashing" (ou écoblanchiment) sont nombreux [22], tout devient "vert" ! Quelle époque formidable... Voyez à ce propos "Le "vert" est dans le fruit", chronique sémantique proposée ce mois-ci par Franz Tofer.
Sauf que la peinture ne fait que masquer le défaut. Les mots ont le pouvoir immense de créer une réalité virtuelle ("vert" = "non-polluant"). Mais derrière les mots se cache souvent une réalité et une intention tout autres. N’oublions pas qu’il s’agit ici de marketing commercial et politique, et de publicité mensongère. Une voiture qui consomme moins n’est pas pour autant "verte" ou "propre". Elle reste un moyen de transport polluant. N’est-il pas honteux et malhonnête de qualifier un tel objet de "vert" ? Si, mais cela déculpabilise le consommateur et fait vendre. Il en va de même pour les autres biens de consommation cités et les nombreux non-cités [23].
Il en va de même, nous l’avons vu, pour le concept totalement fumeux de "capitalisme vert" que l’on veut nous imposer au niveau politique. Comment ose-t-on qualifier un système aussi destructeur de l’environnement de "vert" ou de "durable" ? De la même façon, comment ose-t-on qualifier ce même système, créateur de pauvreté, d’exclusion, d’injustice et d’insécurité d’ "éthique" ou "humain" ? Cette manipulation intellectuelle omniprésente est proprement insupportable et intolérable. De manipulation, il en est question dans l’article d’Andrée Fonteyne qui revient sur la mise en scène de débat autour du nucléaire que constitue le Forum du même nom : « L’énergie nucléaire, y avez-vous déjà réfléchi ? ».
Libérer les hommes et l’environnement du système
La seule option sérieuse et raisonnable pour sortir des catastrophes environnementales et sociales en cours et à venir, c’est de renverser la priorité. Cela implique de refuser et de dénoncer la logique capitaliste de domination et d’exploitation, même fardée de vert, et d’oser sortir enfin d’un système qui montre jour après jour ses limites et sa brutalité.
Malgré l’évidence et la gravité du constat, nos "représentants" politiques, fort mal-nommés, sont davantage à l’écoute bienveillante des multinationales, fédérations patronales et autres FMI que prêts à prendre leur courage politique à deux mains. De plus, l’inefficacité des politiques menées depuis quelques décennies en matière sociale et environnementale leur laisse, en réalité, bien peu de crédit... Les partis "verts" ont le mérite d’avoir imposé la question écologique à la table des débats. Mais leurs arguments réformateurs se heurtent à la réalité du système et de ses priorités. Entre les écologistes et le mouvement ouvrier, certaines tensions ont du mal à se résorber. Voyez à cet égard le troisième volet de l’article : Le Vert et le Rouge - Troisième partie : Le Mouvement ouvrier et l’écologie. De plus, que ce soit du côté des partis écologistes ou de celui des "socialistes", le rejet du capitalisme et de sa logique productiviste a disparu des programmes.
Quant aux pays "dépendants", subissant une bonne partie des conséquences écologiques et humaines du "capitalisme durable" (Lire Le Vert et le Rouge - Deuxième partie : La crise écologique dans les pays dépendants et dans les ex-pays de l’Est (et assimilés)), ils n’entendent plus perpétuer ce lien de dépendance économique et politique [24] en se soumettant à des objectifs environnementaux, une nouvelle fois imposés par l’Occident. Mais ils manquent souvent d’unité dans leurs discours et leurs actions. De plus leurs élites, souvent "formées" en Occident, ont tendance à reproduire les schémas et les discours occidentaux.
Dans un tel contexte, quels espoirs peut-on sérieusement nourrir quant à la tenue de cette Conférence de Copenhague ? Peut-on imaginer un instant que des solutions radicales sortiront de ce sommet ? [25] L’objectif annoncé est de proposer un accord international "ambitieux" sur les réponses à donner au changement climatique. Difficile de ne pas sourire... jaune.
"La dernière chance du monde pour éviter un changement climatique fatal"
En réalité, si changement il y a, il ne proviendra probablement pas des salons feutrés de nos élites politiques, mais de la rue, de vous, de nous, de tous ceux qui refusent de se résigner. Toutes les avancées sociales sont nées de luttes. En matière environnementale, la lutte est également nécessaire et s’organise. En marge du sommet, des actions sont déjà menées par des ONG, des syndicats et des associations militantes à travers le monde pour tenter d’influencer les débats [26], parfois de manière assez... légère [27]. Des contre-manifestations s’organisent [28], avec comme mots d’ordre : "Plus de business as usual, plus de fausses solutions", "Changeons le système, pas le climat" [29] ou "Libérons le climat des marchés financiers" (Campagne Attac).
Que ce soit en manifestant, en participant à des actions ou en alimentant le débat d’idées, comme nous le faisons dans le JIM, refusons de subir et de faire subir toute forme de domination et d’exploitation. Luttons pour une société juste, solidaire et réellement respectueuse des hommes et de l’environnement. Une société libérée du capitalisme.
Merci à Andrée, Christine, Didier, Franz, Gérard, Ode, Pierre et Vince qui ont réalisé ce numéro.
Christine Oisel, pour l’équipe du JIM
Bannière : Ode
Le prochain numéro du JIM (mi-novembre - mi-décembre) abordera le thème de la pauvreté et de la précarité au travers, notamment, d’articles consacrés aux travailleurs sans emploi, ceux et celles soumis(es) à contrat précaire, "adapté(e)s" en ateliers protégés ou détenu(e)s... Nous vous proposerons également un témoignage sur la précarité à São Paulo et un sujet sur le traitement médiatique des luttes sociales.
Merci pour les messages d’encouragement et de soutien, pour les remarques et les suggestions. Le JIM se construit et murit semaine après semaine, et toutes les réactions - pour autant qu’elles soient constructives - nous intéressent et contribuent à nourrir les débats.
Rendez-vous le 15 novembre avec le premier article de ce numéro 3 : "Profession : nettoyeuse".