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Opinion

Critique de la critique (I)

Pour une critique généralisée des rapports de domination

vendredi 12 avril 2013, par Lise Grejo

La critique de gauche est principalement une critique des mécanismes économiques, et plus particulièrement du marché. Ce dernier, selon cette critique, envahit tous les bons et beaux côtés de la vie collective et les détruit. Cette idée a été hautement productive dans l’histoire du XXe siècle : elle a nourri les organisations ouvrières, les luttes sociales et a permis des avancées sociales significatives. Cependant, cette vision a d’importantes limites, et empêche de voir de nombreux rapports de pouvoir. Je pense donc qu’il est salutaire de critiquer la critique. L’objectif n’est évidemment pas d’être gratuit, mais au contraire d’aller vers un enrichissement de la critique. Ce texte est le premier d’une série.

Mythe que les seuls rapports de pouvoir importants sont économiques

Une idée dominante dans la gauche est que ce contre quoi il faut principalement se battre, ce sont les mécanismes économiques qui constituent le marché et le capitalisme. La raison est que, selon ce point de vue, le marché envahit des sphères qui ne sont pas marchandes, et les travestit, les déforme, les abime, en transformant les biens qui y sont créés en de simples produits à vendre. Par exemple, l’art et la culture seraient touchés de plein fouet : aujourd’hui on ferait moins de la musique parce que c’est beau, mais parce que ça fait vendre. De ce fait, la musique produite par les multinationales du disque et promue à grand renfort de publicité, les star academy et consorts, ne sont pas considérés par les gens de gauche comme étant de la « vraie » culture. Ce n’est pas non plus le cas des « romans de gare », ou de la littérature « facile » éditée pour engranger des profits. La vraie culture est celle, marginale, qui résiste, et sait rester « authentique » et critique dans son contenu. Le corollaire de cette idée est évidemment qu’une fois que nous serons débarrassés du marché et du capitalisme, les différents aspects de notre monde pourront enfin s’exprimer « vraiment » ; un art et une culture « véritables » pourront notamment se développer [1].

Cette vision est une mystification. Certes, il est probable qu’abolir les rapports de pouvoir dans la sphère économique change beaucoup de choses. Mais ce n’est pas pour autant que toutes les dimensions de notre monde deviendront par magie des eldorados. Cette conception participe à construire une vision complètement idéalisée de sphères relativement autonomes (ou qui l’étaient) par rapport au monde économique. Comme si elles étaient, avant d’être attaquées ou conquises par le marché, des espaces paisibles, égalitaires et émancipateurs, où l’on agit de manière désintéressée, pour le bien ou le beau. En réalité, des rapports de force peuvent se composer autour de n’importe quel objet, du moment que les gens commencent à accorder de la valeur à celui-ci, et qu’il devient un enjeu. Et c’est ce qui se passe dans les mondes de l’art et de la culture. Aucun besoin que le marché vienne pointer le bout de son nez pour que des rapports de pouvoir et des inégalités se constituent de manière structurelle. Pour rendre cette idée plus claire, je vais développer un exemple de rapports de domination et d’exploitation qui se constituent en dehors et indépendamment des rapports de pouvoir économiques.

Des capitalismes spécifiques

L’exemple que je vais prendre est celui d’un monde qui m’est familier, le monde scientifique et universitaire. Ce dernier est le lieu d’une production culturelle hautement valorisée intellectuellement : livres, articles, théories, modélisations et autres formules. En sciences sociales, cette littérature a même la particularité d’être extrêmement critique : Marx est loin d’y être discrédité ; les inégalités et les rapports de domination y sont des sujets centraux [2] ; elle a même traversé l’espace scientifique pour être utilisée par des mouvements militants, si l’on pense aux pensées de Bourdieu et de Foucault, ou aux théories féministes. Je prends cet univers en exemple, car en plus de produire des contenus critiques, il est assez autonome par rapport au marché : il est financé principalement par de l’argent public géré en interne par les universités, et y posséder individuellement un capital économique ne donne pas directement de pouvoir parmi les chercheurs. Pourtant, ce monde est traversé par de puissants rapports de domination et d’exploitation. Simplement, ceux-ci ne sont pas à proprement parler économiques.

En réalité, les acteurs du monde scientifique ne sont pas moins des entrepreneurs que ceux du monde économique. En effet, le scientifique investit aussi. Il n’investit pas de l’argent, ou plus largement un capital économique ; lui investit son temps, des instruments, ses réseaux, pour produire de l’information [3]. Mais ce qui l’intéresse, ce n’est pas n’importe quelle information, c’est celle qui sera considérée comme nouvelle. Et si c’est cette nouvelle information qui est l’objet de son intérêt, c’est parce qu’elle est la seule qui est une plus-value à pouvoir être réinvestie : elle permet d’écrire des articles dans des revues, de se faire inviter dans des colloques, et donc d’allonger son CV scientifique et de développer son réseau de contacts. Petit à petit, le chercheur essaie de se faire un nom, qu’il peut ensuite mobiliser dans de nouvelles demandes de postes, de subventions, de contrats de recherche, etc. En fait, celui-ci, comme l’industriel ou l’actionnaire, entre dans un cycle d’accumulation d’un capital. La différence est que le scientifique ne capitalise pas des ressources financières, mais un capital propre à l’espace scientifique : une bibliographie, un réseau de contacts, des postes universitaires, une renommée, qu’il réinvestit sans cesse dans la production de nouvelles informations, pour encore augmenter ce capital [4].

Comme le monde économique, l’espace scientifique est traversé par des inégalités très fortes. En effet, si « la » science est perçue comme une sorte d’entité unie, elle est pourtant le fruit du travail d’une multitude de travailleurs aux statuts très différenciés. Comme dans d’autres mondes, la recherche a ses stars : ce sont par exemple les Bourdieu en sociologie, Chomsky en linguistique (également célèbre pour ses prises de position politiques) ou Watson & Crick en biologie (connus pour avoir théorisé la structure en double hélice de l’ADN). Ils occupent les meilleurs postes dans les universités (associant stabilité, visibilité et privilèges salariaux), accèdent aux financements les plus importants, raflent tous les prix scientifiques (dont le Nobel est le plus emblématique), sont sans cesse sollicités pour participer à des conférences et sont les plus cités dans la littérature scientifique, et même dans des discussions de la vie courante (Albert Einstein est sans doute aussi connu que Michael Jackson !), faits indiquant leur influence [5].

Ces stars ont une position à ce point dominante qu’elles réussissent à ériger leurs théories comme les façons les plus « vraies » de voir le monde dans leur discipline. Par exemple, un sociologue qui parle de (re)production des inégalités par l’école ne pourrait faire autrement que de citer Bourdieu, qui a construit un empire conceptuel sur cette question. Même lorsque c’est pour défendre des vues inverses aux leurs, les chercheurs outsiders doivent d’abord exposer les conceptions des maîtres. Cet état de fait n’est pas le signe d’un « triomphe de la vérité », mais témoigne de l’habileté de certains scientifiques et de leurs réseaux à rendre leurs théories incontournables, et dans le même mouvement à faire de leurs personnes des références obligées, leur permettant ainsi de capitaliser à grande échelle [6]. Pour preuve, l’importance d’être cité est matérialisée dans une institution, le Science Citation Index [7], qui comptabilise le nombre de fois qu’un article et son auteur sont cités dans la littérature scientifique la plus prestigieuse [8]. Et le scientifique est cordialement invité à indiquer son « score » de citation sur son CV, celui-ci ayant bien sûr intérêt à ce que ce score soit le plus élevé possible [9]. En outre, les chercheurs les plus influents arrivent à imposer leurs inventions théoriques en dehors de l’espace scientifique, dans l’espace public (notamment par la médiation des manuels scolaires, de la littérature de vulgarisation ou des conférences adressées aux mondes associatif et militant pour les sciences sociales). Pensons au fait qu’aujourd’hui, nous utilisons tous couramment les concepts de virus, de gène, d’inconscient, de société ou de genre [10] pour parler de la réalité. Quel pouvoir ont donc les scientifiques pour pouvoir définir comment voir le monde, et pour dire à tous ce qui, en définitive, est vraiment vrai [11] ! De la science, ce sont son élite et ses théories que l’on retiendra. À côté, une masse de chercheurs inconnus, aux statuts souvent plus précaires, à la reconnaissance dans tous les cas largement moindre, théorique et institutionnelle [12].

Le « capital scientifique » dont je parle, le chercheur ne le fait pas tout seul. Comme dans le monde économique, il le construit dans des rapports de domination et d’exploitation. Les prix Nobel en sont l’exemple le plus frappant : ils sont décernés à une équipe de deux ou trois noms chaque année [13]. Or, dans le cas de la chimie ou de la physique, les résultats primés ne sont jamais le produit de deux ou trois chercheurs seulement, mais d’équipes de centaines de personnes. Des directeurs d’unités, des chercheurs (senior ou junior), des techniciens (il faut bien régler l’accélérateur de particules). Tout en haut, il y a le patron du laboratoire, ce scientifique qui supervise le travail effectué. Et c’est lui qui s’octroiera, si les projecteurs se tournent vers ce labo, tout le mérite du travail de l’équipe, par le fait que le prix ne sera attribué qu’à lui. Il s’agit bien d’exploitation. Cette dernière est en fait relativement courante dans le monde scientifique. Les ouvrages collectifs dont le seul nom qui apparaît en couverture est celui du scientifique le plus influent en sont un exemple [14]. Ou pire : il n’est pas rare que les directeurs de centre aient comme pratique de cosigner tous les articles des chercheurs qu’ils supervisent. Il s’agit d’un bon moyen d’augmenter sa production scientifique, et donc son capital, sans fournir d’effort [15].

Tous ces rapports de pouvoir ne sont souvent pas perçus comme tels. Si Bourdieu ou Chomsky ont réussi dans le monde de la recherche et sont parvenus à imposer leurs vues théoriques, c’est à cause de leurs qualités intellectuelles et de la pertinence de leurs discours, pense-t-on. Comme un peintre qui se ferait exposer dans des galeries prestigieuses grâce au fait qu’il a du « talent » ou possède des aptitudes à créer des contenus « authentiques ». Comme un leader autoproclamé qui arriverait à orienter l’action de son organisation politique du fait de la justesse de ses vues. Comme un gourou qui obtiendrait l’asservissement de ses disciples parce qu’il les conduit vers la lumière (ne dit-on pas des continuateurs de la pensée de Bourdieu qu’ils sont « bourdieusiens », de Marx « marxistes », etc., comme s’il s’agissait d’obédiences religieuses ?). Si ces propositions ne vous semblent pas équivalentes, c’est que vous considérez que certaines inégalités sont plus légitimes que d’autres. Or, leur nature est identique. Un phénomène qui masque les rapports de domination dans les mondes culturels et intellectuels, c’est qu’ils sont légitimés par cette idéologie de la qualité « supérieure » de la personne et de ses œuvres (artistiques, intellectuelles, littéraires, etc.) : celle-ci peut occuper une place dominante, car les contenus qu’elle crée sont « beaux », « justes », « critiques » ou « vrais » [16]. Cela n’empêche qu’il s’agit, quoi qu’il en soit, de domination.

Je reviens sur un exemple plus concret, celui de la théorisation de la structure de l’ADN comme une double hélice [17]. Il clarifiera sans doute l’ensemble de mes propos. Cela se passe au début des années 50. À cette époque, les biologistes commencent à attribuer de plus en plus d’importance à l’ADN dans le phénomène de transmission héréditaire. Seulement, il n’y a pas encore de consensus sur sa structure exacte. Dès lors, plusieurs équipes de recherche sont persuadées que clore le débat sur cette question leur apportera la gloire dans le monde scientifique. On parle même du Nobel ! De ce fait, ces différentes équipes entrent dans une course acharnée. Elles sont au nombre de trois : James Watson et Francis Crick, jeunes chercheurs à Cambridge, Maurice Wilkins, cristallographe expérimenté à Londres, entouré de son assistante Rosalind Franklin, et Linus Pauling, chimiste et physicien américain déjà illustre. L’important est donc de produire une théorie considérée comme vraie le premier. À cause de cette concurrence, les rapports entre les équipes deviennent tendus. James Watson est très ambitieux. Il se procure frauduleusement des images aux rayons X de préparations d’ADN faites par Rosalind Franklin. Il espionne également les avancées de Linus Pauling par l’intermédiaire de son fils, qui est l’un de ses collègues à Cambridge. Watson et Crick apprennent que le scientifique américain croit avoir trouvé la structure de l’ADN le premier. Mais ils se rendent compte qu’il a fait une grossière erreur de chimie élémentaire, et boivent à son échec. Grâce à tous ces éléments rassemblés, Watson et Crick ne tardent pas à écrire un bref article, qui est publié trois semaines plus tard dans Nature, revue prestigieuse [18]. Des délais de publication si courts sont rares dans le monde scientifique ; sans doute la revue a fait fi des exigences scientifiques habituelles, devant le potentiel rémunérateur en termes de prestige, pour elle aussi, d’une telle publication. Nous sommes en 1953. Neuf ans plus tard, Watson et Crick reçoivent le prix Nobel pour leur conceptualisation de la structure de l’ADN. Ils deviendront, eux et leurs théories, des stars mondiales, diffusées dans des réseaux qui dépassent largement l’espace scientifique (milieux scolaires et médias par exemple). Par la même occasion, les deux chercheurs se transformeront en véritables patrons de la recherche [19]. Rappelons-nous qu’à cette époque, on ne parle absolument pas de marchandisation de l’Université.

Pour une critique généralisée des rapports de domination

Pourquoi faire deux poids deux mesures selon le type de capital que l’entrepreneur accumule ? Voilà donc le point aveugle de la pensée critique traditionnelle, celle dont j’ai fait mention au début de ce texte, qui se focalise avant tout sur les rapports de pouvoir économiques. J’ai principalement pris comme exemple le monde scientifique, mais beaucoup de sphères de notre monde sont aussi organisées structurellement autour de rapports de domination : les champs artistique, militant [20] – même de gauche radicale [21] –, familial, de l’enseignement [22], etc. Pourquoi alors limiter la critique au marché ? Car si ce dernier tombe, ce n’est pas pour autant que les rapports de pouvoir dans d’autres sphères que celle économique tomberont. En effet, ceux-ci existent à travers d’autres structures, d’autres dispositifs, d’autres configurations, d’autres règlements – pas moins « matériels », par ailleurs [23] – que ceux qui font exister le marché. En d’autres termes, que l’on socialise la production économique, et les rapports de pouvoir dans le monde scientifique bougeront peu. Car l’université est déjà publique. Car les mécanismes de domination à l’œuvre dans les universités, spécifiques, persisteront : les scientifiques continueront à lutter pour gagner leur place, les moyens de la lutte et l’enjeu de celle-ci n’étant pas du capital économique, au sens restreint.

Si l’on prend l’exemple de la théorisation de la structure de l’ADN, on comprend clairement que la science est bien loin de l’image que l’on présente d’elle : une activité de passionnés, dont l’objectif est la connaissance pour la connaissance. Cette histoire montre qu’elle est aussi, indépendamment du marché, une activité entrepreneuriale dont le but pour les scientifiques est de gagner leurs galons. Nous serions bien scandalisés si le talent de John Rockefeller (magnat historique du pétrole [24]) était vanté dans les écoles secondaires. C’est pourtant bien ce que l’on fait pour Watson et Crick, ces « génies désintéressés », ou pour Bourdieu à l’université, cet « intellectuel engagé » [25]. Mon opinion est que la pensée critique ne devrait pas être bernée par le prestige dont sont auréolées certaines activités (la science, la culture, l’art, etc.). Si elle veut être une critique radicale des inégalités, elle devrait considérer tout rapport de domination, toute hiérarchie, tout cycle d’accumulation de capital, que ce dernier soit économique ou pas, et quand bien même les contenus produits seraient révolutionnaires ou captivants, comme a priori illégitimes.

Lise Grejo

Notes

[1Cette représentation du monde est la plus évidente dans la pensée marxiste, qui la pousse à son comble : elle fait des rapports qui se nouent dans la production économique l’origine de toutes les inégalités, l’origine de tous les rapports de pouvoir. C’est pourquoi des marxistes ont soutenu, et soutiennent pour partie d’entre eux encore, que l’abolition de la propriété privée fera disparaître toutes les autres formes de rapports de pouvoir.

[2Par exemple, l’une des revues de sciences sociales francophones les plus prestigieuses a pour but de faire une analyse critique des rapports de domination : http://www.arss.fr.

[3Cette conceptualisation est issue de : Latour B., 2006, « Portrait d’un biologiste en capitaliste sauvage » in Latour B., Petites leçons de sociologie des sciences, La Découverte, Paris, pp. 100-129.

[4Pour approfondir l’analyse du monde scientifique comme suivant une logique capitalistique, voir Bourdieu P., 1976, « Le champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 2, n° 2-3, pp. 88-104 ; Latour B., 2001, Le métier de chercheur. Regard d’un anthropologue, INRA, Paris ; Latour B., Woolgar S., 1996, La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, La Découverte, Paris ; Lemaine G., 1980, « Science normale et science hypernormale. Les stratégies de différenciation et les stratégies conservatrices dans la science », Revue française de sociologie, vol. 21, n° 4, pp. 499-527. ; Lemaine G., Matalon B., Provansal B., 1969, « La lutte pour la vie dans la cité scientifique », Revue française de sociologie, vol. 10, n° 2, pp. 139-165.

[5Voir le chapitre « Stratification, organisation sociale du travail, réseau » dans Dubois M., 1999, Introduction à la sociologie des sciences, PUF, Paris.

[6Voir Latour B., 2006, op. cit. pour développer l’idée de « point de passage obligé ».

[8Par exemple, c’est grâce à cette base de données que l’on sait que Bourdieu est le sociologue français le plus cité au monde. Voir Chevassus-au-Louis N., « Pierre Bourdieu, un intellectuel globalisé », Mediapart, 2 janvier 2012.

[9Voir par exemple, parmi tant d’autres, les recommandations de rédaction d’un CV du Weizmann Institute of Science, en Israël, qui impose de mentionner dans la candidature du scientifique le score de citation de ses cinq articles les plus cités.

[10Le genre est un concept sociologique qui désigne le fait que les oppositions masculin/féminin, homme/femme sont des construits sociaux qui prennent place dans des rapports de domination.

[11Par exemple, la position de pouvoir d’un scientifique en dehors de l’espace scientifique se voit très bien dans le documentaire La sociologie est un sport de combat. Dans le reportage, Bourdieu est filmé lors d’une conférence en banlieue, pendant laquelle il s’adresse à des jeunes. Il leur affirme que s’ils lisaient ses analyses, ils seraient plus à même de se révolter, car, dit Bourdieu, il sait mieux qu’eux qui ils sont vraiment. Cette position ressemble en tout point à celle de l’avant-garde marxiste, qui se sent autorisée à conduire les masses vers le communisme, en voulant prendre la direction de la révolution, du fait qu’elle s’est libérée de sa « fausse conscience de classe » (et pas les masses, bien évidemment).

[12Bourdieu dit joliment dans son analyse du champ scientifique : accumuler du capital, c’est "se faire un nom", un nom propre (et, pour certains, un prénom), un nom connu et reconnu, marque qui distingue d’emblée son porteur, l’arrachant comme forme visible au fond indifférencié, inaperçu, obscur, dans lequel se perd le commun [...]. Voir Bourdieu P., 1976, op. cit.

[14C’est le cas du livre La misère du monde, qui est souvent présenté comme une œuvre de Bourdieu, alors qu’elle est le produit de la collaboration de nombreux sociologues. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Mis%C3%A8re_du_monde

[15Pour percevoir les enjeux autour de la signature scientifique, voir Pontille D., 2002, « La signature scientifique. Authentification et valeur marchande », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, vol. 141, n° 141-142, pp. 72-78.

[16C’est ce que Bourdieu appelle la violence symbolique. Voir le chapitre « La légitimité » dans : Accardo A., 1997, Introduction à une sociologie critique. Lire Bourdieu, Le Mascaret, Bordeaux. Pour une explication accessible de ce concept par Bourdieu lui-même, voir Bourdieu P., 1984, Questions de sociologie, Les Éditions de Minuit, Paris.

[17Voir Kahn A., 2003, « L’hélice de la vie  », M/S : médecine sciences, vol. 19, n° 4, pp. 491-495 ; Lemaine G., 1980, op. cit. ; Lemaine G., Matalon B., Provansal B., 1969, op. cit..

[18L’article original publié dans Nature est consultable à cette adresse : http://www.bibnum.education.fr/sciencesdelavie/biologie/une-structure-de-l%E2%80%99acide-d%C3%A9soxyribonucl%C3%A9ique-adn

[20Sur les rapports de pouvoir dans un syndicat étudiant, voir Bargel L., 2005, « La socialisation politique sexuée : apprentissage des pratiques politiques et normes de genre chez les jeunes militant-e-s », Nouvelles questions féministes, vol. 24, n° 3, pp. 36-49 ; dans un mouvement de chômeur, voir Dunezat X., 1998, « des mouvements sociaux sexués », Recherches féministes, vol. 11, n° 2, pp. 161-195.

[22Qu’on pense à la relation enseignant/enseigné : une relation de pouvoir qui a bien peu de lien avec le grand capital.

[23Comme le monde économique n’est pas moins « symbolique » que les mondes culturels, en réalité. Par exemple, pour que l’argent ait une force, il faut avant tout croire en sa force. En effet, la monnaie est acceptée uniquement parce qu’est partagée l’attente qu’elle continue à être utilisée comme moyen de paiement. Voir François P., 2008, Sociologie des marchés, Armand Colin, Paris.

[25Si ce n’était pas clair jusque-là, il me faut bien insister ici sur le fait que je ne critique par ces personnes individuellement ou l’intérêt de leurs théories, mais l’existence de mécanismes qui les hissent à des positions de pouvoir.

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