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Sur les lois liberticides

Quand ils viendront nous chercher...

Les lois antiterroristes - partie 3 de 3

dimanche 20 septembre 2009, par Fiona Wallers

Les lois antiterroristes ont ému les défenseurs des libertés et des droits fondamentaux, et les militants actifs dans les luttes contre les inégalités et l’injustice. La violence légale trouverait là son application la plus dure. Comment se cache la répression de la contestation derrière la traque au « terroriste » ? Les deux articles précédents tentaient de montrer la réalité des lois antiterroristes, et leurs enjeux juridiques. Nous terminons ici en tentant de montrer l’étendue de la répression pour les mouvements de gauche.

Cet article est la troisième partie d’un dossier, qui se clôturera le 21 et le 22 septembre par les interviews de Laurent Bonelli et de Jean-Claude Paye, tous deux sociologues spécialisés dans l’étude des lois liberticides.

3.Qu’est-ce que le terrorisme ?

Après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les mesures antiterroristes adoptées (ou simplement « améliorées ») dans plusieurs pays ont été justifiées presque partout par la nécessité de protéger les populations contre les horreurs des actions violentes d’islamistes.

A bien y regarder, il s’agit bien d’un gros mensonge. Nous ne sommes pas les seuls à l’avoir découvert, mais voici quelques éléments… de preuve.

dessin de Titom en copyleft



Premier élément : les mesures qu’on a voulu vendre comme une nouveauté nécessaire, à cause du danger islamiste mondial, ne le sont pas du tout.
En effet, des mesures très dures de lutte contre les actes « terroristes », dont les inculpations sans preuve matérielle et des durées de garde à vue étendues, existent depuis les années quatre-vingt en France [1]. En Espagne, la lutte contre les militants basques n’a pas été inventée en 2001 : l’état d’exception et les tortures seraient généralisés dans les poursuites.
Certes, la loi de 2003 en Belgique introduit des modifications dans le code pénal. C’est nouveau. Mais ce qui est remarquable c’est que les délits soi-disant visés étaient déjà réprimés par d’autres lois. Ici, les peines encourues sont beaucoup plus lourdes, et surtout, l’interprétation est plus grande.



Deuxième élément : les islamistes jouent parfaitement le rôle d’épouvantail pour une population effrayée par les attentats meurtriers aux Etats-Unis, ou par les combats lointains en Afghanistan. Mais on a vu qu’ils étaient loin d’être les seuls touchés. En France, l’affaire Tarnac (ainsi que d’autres poursuites et arrestations) démontrent aussi que ces législations sont utilisées contre la mouvance dite « de gauche ». Ce n’est pas par hasard que le 13 juin 2008, l’ancienne Garde des sceaux (Ministre de la justice) en France a rédigé une circulaire à tous les procureurs de France pour attirer l’attention sur « la multiplication d’actions violentes […] susceptibles d’être attribuées à la mouvance anarcho-autonome ». La direction des affaires criminelles demande ainsi aux magistrats saisis de telles affaires d’« informer dans les plus brefs délais la section antiterroriste du parquet de Paris » en vue d’un « dessaisissement à son profit » [2].
Des altermondialistes belges, des militants d’une organisation turque de gauche, des membres du Secours rouge ont aussi été des cibles.
Rien d’étonnant à cela, la police et la Sûreté observaient, surveillaient les groupes ou les individus militants depuis très longtemps. Sauf qu’ici, ce qu’on constate, c’est que la loi permet les poursuites. Et que certains espèrent des condamnations.



Troisième élément : l’argument principal, qui est la chasse aux islamistes qui voudraient s’attaquer à des innocents en Belgique, est contredit par les faits. On l’a vu, dans le procès de la filière irakienne, comme dans les poursuites engagées contre les membres présumés de la filière afghane, l’accusation est centrée sur des activités de recrutement et d’entraînements à l’étranger. Les présumés terroristes se voient reprocher d’avoir l’intention de se battre en Afghanistan ou au Pakistan [3].
Il s’agit là de l’une des manifestations les plus « étonnantes » de la nouvelle loi : l’extraterritorialité. En effet, dans ces dossiers, les prévenus sont poursuivis sur la base de leur appartenance présumée à des groupes étrangers, agissant en dehors de la Belgique, (dans le cadre d’une guerre qui peut s’apparenter à de une lutte pour la libération nationale.)
Dans une carte blanche écrite au moment du procès des personne présumées appartenir à la filière irakienne, des chercheurs et défenseurs des droits de l’Homme se demandaient : Ce ne serait donc pas les caractéristiques intrinsèques d’un combattant qui feraient de lui un criminel, mais simplement le fait qu’il est désigné comme tel par l’administration américaine. C’est le pouvoir que se donne celle-ci de nommer un ennemi comme un terroriste que conforte le tribunal. Cette reconnaissance l’intègre dans un ordre de droit impérial [4] [5].


Extraterritorialité et définition politique du terrorisme

Ces éléments sont explicites. Ils nous amènent à conclure que les lois antiterroristes, ainsi que la batterie de mesures de recherches et de surveillance (souvent proactives) définissent une tactique des autorités publiques face aux actes politiques. Car le pouvoir se donne ici la possibilité de définir la « moralité » d’un acte politique, qu’il soit posé sur son territoire, ou à l’étranger.
La situation dans laquelle se trouvent les sympathisants du DHKP-C en est aussi un exemple. La lutte de ce groupe politique a comme objectif le pouvoir turc ; les actions violentes qu’il a mené ne se déroulent que sur le territoire turc. C’est donc bien une définition « morale »qui détermine la condamnation des actions de ce groupe [6]. L’exemple de la lutte du FLN algérien, celle de Nelson Mandela en Afrique du Sud ou plus actuellement celle de militants palestiniens pour la libération de leurs terres ont été qualifiées de terroristes. Les poursuites politiques se basent sur des lois d’exception, et aboutissent alors à des peines très lourdes [7].
Ces lois et mesures d’exception s’inscrivent dans une redéfinition globale du droit pénal. Celui-ci devient un instrument puissant au service des rapports de force de la géopolitique mondiale. Les attentats du 11 septembre ont permis aux Etats-Unis d’imposer leurs conceptions du bien et du mal au monde entier. Les lois et autres mesures antiterroristes en étaient le vecteur…[Lire notre interview de Jean-Claude Paye].


Du concept d’ennemi de la liberté à la criminalisation des mouvements sociaux.

La lutte contre le terrorisme, telle qu’elle se développe depuis les attentats du 11 septembre, introduit un renversement total des perspectives qui fait apparaître les droits fondamentaux comme obstacles à la « sécurité » et leur restriction comme un moyen nécessaire pour protéger les citoyens du terrorisme défini comme menace principale de la « démocratie » [8]. C’est de cette manière que les questions principales, qui concernent les libertés de pensée, d’expression, d’association, de manifestation sont occultées. La loi généralise les procédures d’exception, elle ne porte pas sur des faits, elle ne s’attaque pas à des délits matériels. Cela lui permet d’élaborer une « image » définie politiquement du « terroriste ». On peut alors dire que La définition même de l’infraction terroriste introduit un concept flou dans le droit pénal qui peut donner lieu à des interprétations très différentes selon les orientations politiques du moment (et celle de la personne appelée à juger) [9].



Malgré les mises en garde formulées avant l’adoption de la loi antiterroriste en Belgique, les activités des mouvements sociaux sont donc bel et bien susceptibles d’être visées. Les poursuites contre des militants de gauche, sans aucun élément de preuve quant à leur implication dans l’élaborations d’actes violents, en témoigne [10].

Si aujourd’hui les autorités ont du mal à s’attaquer aux mouvements organisés, la lutte pour la consolidation de la loi par la jurisprudence, les mesures attentatoires aux libertés, construisent petit à petit un système puissant de répression.


Ces militants chiliens viennent soutenir les inculpés du DHKP-C lors d’un rassemblement organisé par le CLEA en 2006

L’urgence est là. Le 14 octobre, le procès en appel contre les sympathisants du DHKP-C sera ouvert ; dans quelques mois, les 4 inculpés du Secours Rouge seront fixés sur la poursuite des accusations de "participation aux activités d’un groupe terroriste"...

Pour que les lois liberticides ne fassent pas taire les militants et tous ceux qui critiquent la violence sociale, comme nous, il s’agit de se battre.



Fiona Wallers


Notes

[2Nouvel Observateur, 31 juillet 2008

[3Les éléments concernant une attaque des membres présumés de la filière afghane sur le sol dur le sol belge semblent non-vérifiables, voir la première partie de notre article

[5Voir aussi Comité T Rapport 2008 : Ces derniers auraient agi dans le but non pas de lutter contre l’occupation américaine de l’Irak, mais d’y fonder un Etat islamique. Or, il s’agit ici d’une appréciation tout à fait subjective de faits de violence que même la communauté internationale a des difficultés à qualifier clairement.

[6Et cela malgré les condamnations récurrentes du régime turc pour sa politique en termes de libertés et droits fondamentaux, voir à ce propos Les droits humains en République turque, Rapport 2009, Amnesty international

[7Il est à ce propos intéressant de se rappeler les obstacles surgis lors de la mise en place de la loi de compétence universelle en Belgique en 2003, loi qui a été fortement limitée quelques mois après son adoption..., voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Comp%C3%A9tence_universelle

[8Emmanuel-Pierre Guittet, Antiterrorisme et société, Cultures et Conflits, Ed L’Harmattan, 2006

[9Axel Bernard, Les lois antiterroristes menacent nos libertés, in Ensemble, Journal du Collectif contre l’exclusion n°63, Sept-oct. 2008

[10Lire aussi dans ce numéro 1 l’article de Didier Brissa sur les "mis sur écoute"

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