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Les révolutions arabes

lundi 5 septembre 2011, par Nidal (Date de rédaction antérieure : 22 mai 2011).

"Même en rêve, je n’aurais pu imaginer cette révolution" Sonallah Ibrahim, écrivain.

On ne peut commencer un texte sur les révolutions arabes sans dire aux populations qui se révoltent l’admiration qu’elles suscitent. Elles ont montré une détermination, une conscience, une culture politique et un sens de l’organisation hors pair pour mener leurs révolutions de cette manière, qu’elles aient réussi ou soient encore en cours.

Combien de protestations ont eu lieu ces dernières années dans le monde arabe et qui ont fini réprimées dans le sang ? Combien de personnes se sont suicidées ou même immolées par le feu sans que personne ne les remarque ? Il faut également mentionner ici la révolution iranienne (même si ce n’est pas le monde arabe) avec la différence qu’en Iran, la révolte cible une dictature théologique, alors que les révolutions arabes ciblent des dictatures se proclamant laïques. Le soulèvement récent en Iran a été réprimé de la manière la plus cruelle, et ses participants se font encore condamner et exécuter sans réactions, alors que le régime iranien, summum de l’hypocrisie, crie son soutien aux révolutions populaires en Tunisie et en Égypte. Combien d’espoirs brisés avant que le déclic n’arrive ?

Les raisons du succès

On parle de révolutions arabes au pluriel à juste titre, il y en a en effet plusieurs, chaque pays étant différent, même si des similitudes existent. Un certain nombre d’éléments ont été dits et répétés à propos des révolutions tunisienne et égyptienne : la jeunesse, la génération des médias sociaux et le basculement de l’armée qui a accéléré la chute du régime.

Le rôle prépondérant de la jeunesse

Nous pouvons ici établir un premier constat : ces révolutions sont généralement des révolutions de jeunes, la génération plus âgée ayant été brisée et ayant perdu l’espoir. Cette jeunesse d’abord est très nombreuse dans le monde arabe, la balance démographique penchant en sa faveur. En Egypte par exemple, l’âge médian se situe autour de 24 ans et un tiers des individus ont moins de 15 ans [1]. En Tunisie les moins de 14 ans représentent 23% de la population [2].

Cette jeunesse est aussi instruite et en relation avec le monde, soit parce qu’elle a voyagé, soit parce qu’elle suit l’actualité à travers les médias classiques, la télé, internet et les médias sociaux. De ce point de vue, les médias sociaux ont plus joué un rôle pour ouvrir les yeux de la jeunesse sur son droit de vivre en liberté et en dignité, que dans l’organisation même de la protestation. Il ne faut pas oublier que Facebook, par exemple, n’a pas une vocation militante, en témoigne par exemple le retrait par Facebook d’un groupe rejoint par près de 500 000 personne et appelant à une 3ème Intifada en Palestine [3].

Il paraît que c’est plutôt la télévision qui joue le rôle principal dans la galvanisation et l’information entre manifestants. Les protestations et menaces enflammées du Président du Yémen, Saleh, à l’égard du Qatar, pays qui héberge la chaîne Al Jazeera en sont un flagrant exemple.

Il faut pourtant noter que la contestation n’était pas radicale au départ. Les cris pour faire tomber les régimes ne se sont levés que plus tard, après que la répression sauvage ait fait tomber les masques de ces dictatures et poussé les gens à se radicaliser et surtout à demander justice pour les victimes, en désignant le régime en entier comme responsable. L’incapacité de ces dictatures à réagir face à la contestation et à la gérer quand elle était encore gérable, les a précipitées vers leurs fins.

Le contexte économique

Le rôle de la crise économique a largement été sous-estimé, et ça n’a rien d’une coïncidence. Le fait est que la crise économique a touché les pays arabes par ricochet. En effet, beaucoup de jeunes arabes travaillaient dans les pays du Golfe. Ces derniers ayant subi la crise de plein fouet, cela a provoqué un retour massif. La concurrence sur les marchés du travail nationaux est donc devenue plus rude, et la hausse des prix des denrées alimentaires a encore durci la situation et augmenté le désespoir. Il faut ajouter qu’à l’exception du Bahreïn, les pays dans lesquels se passent les révolutions aujourd’hui sont des ex-pays socialistes convertis au capitalisme, la privatisation réduisant les emplois disponibles et l’état ne jouant plus son rôle protecteur.

Tous ces facteurs de mécontentement imputables au capitalisme ont été peu ou pas relayés dans la presse, contribuant à disculper le système capitaliste et rejetant tout sur l’aspect dictatorial des régimes en place.

Les accords du libre-échange

L’Europe a poussé ces pays à baisser leurs barrières douanières, menaçant ainsi leur économies locales, et à privatiser leurs entreprises publiques, accentuant le phénomène décrit plus haut. Ceci s’est fait avec les accords Euromed, prolongés ensuite par l’Union pour la Méditerranée, transformant les pays méditerranéens non européens en gardes frontières de l’Europe et en marché pour ses produits, pratiquement sans contre partie. Les dictatures s’accaparaient les entreprises publiques et s’enrichissaient scandaleusement, au vu et au su de tout le monde, alors que la situation des citoyens ne cessait de s’empirer, ce qui a renforcé la conviction des citoyens que leurs régimes les exploitaient. En témoignent les attaques commises durant les soulèvements contre les entreprises et avoirs des présidents et de leurs proches.

Victoires en Égypte et en Tunisie, difficultés en Libye, au Yémen et en Syrie ?

L’Égypte et la Tunisie étaient deux dictatures qui se maintenaient grâce au soutien occidental. À partir du moment où l’occident n’a plus pu fermer les yeux sur la répression, cela a fait vaciller les régimes et changer de camp l’armée.

Ceci n’est le cas ni au Yémen, ni en Syrie, ni en Libye, et ce n’était pas le cas en Iran. Ces pays n’ont rien à faire de ce que pense d’eux l’occident et peuvent se permettre de pousser la répression aussi loin qu’il le faut, pour mater toute contestation.

L’engagement militaire de l’Europe contre la Libye et toute la controverse qu’il a suscitée, ainsi que les limites dans lesquelles cette intervention s’est confinée, ne permettra ni de gagner la guerre en Libye, ni de dissuader les autres dictateurs de recourir à la répression.

Mais qu’est-ce qui explique l’engouement européen, et surtout français, à s’engager dans une opération militaire contre la Libye ? Outre de tirer la leçon d’un revirement trop tardif en faveur de la révolution en Égypte et en Tunisie, l’Europe a certainement des comptes à régler avec Khaddafi, probablement moins pour l’attentat de Lockerbie que pour son soutien aux projets d’indépendance et de souveraineté africaines, l’Union Africaine, concurrent du projet Sarkoziste d’Union pour la Méditerranée [4].

Le régime libyen a habilement exploité en sa faveur plusieurs points :

  • menacer le pays du chaos, mais surtout de guerre civile, en s’identifiant à une partie de la population pour la mobiliser à ses cotés contre l’autre partie ;
  • éviter le basculement de l’armée en lui donnant un rôle, quelque chose qu’elle n’avait plus depuis longtemps ;
  • bénéficier de la reconnaissance de beaucoup d’états et des peuples africains pour ses interventions en leurs faveurs, pour gagner un soutien qu’il n’avait plus auprès de sa population ;

A cela s’ajoute que l’opposition libyenne, pas toujours recommandable d’ailleurs (citons parmi d’autres Mustapha Mohamad Abdeljalil, secrétaire du conseil national libyen, qui n’est autre que l’ex-ministre de justice libyen, le même qui a condamné à mort les infirmières bulgares et le médecin palestinien dans le simulacre de procès dans l’affaire du sang contaminé), a pris le chemin des armes très (trop) tôt, transformant ainsi la révolution pacifique en guerre civile, où le régime a pu déployer toute sa force destructrice.

Au Bahreïn, la révolution a pris une couleur confessionnelle, où l’Iran a soutenu la révolution présumant qu’elle est chiite contre un régime sunnites, et les pays du golfe arabe sunnite sont intervenus pour aider le gouvernement du Bahreïn à écraser la révolution, entre autre pour barrer la route aux plans Iraniens. L’occident, allié des monarchies du golfe, laisse faire dans le même objectif. Il n’en est plus fait mention dans la presse mais la répression continue au Bahreïn et l’arrestation des opposants va bon train.

En Syrie, le régime a vite maîtrisé la diffusion de l’information. L’absence de presse internationale et d’Al Jazeera en particulier (sa correspondante a été arrêtée à l’aéroport, dès sa descente de l’avion) prive les manifestants d’un précieux moyen de communiquer à la fois vers l’étranger et entre eux. Les informations filmées par les téléphones portables et diffusées au compte-goutte sur internet n’offrent en effet pas un relais suffisant.

Du coté de l’armée, seule la tête est clairement pour le régime, ce n’est pas forcement le cas de la base, issue des villes où la révolte a germé. Mais elle n’a pas basculé du coté des manifestants, d’abord par manque de soutiens extérieurs, qui auraient pu la rassurer sur l’issue d’une action éventuelle qu’elle enclencherait contre le régime, ensuite parce que le régime utilise plutôt les forces spéciales, qui sont une vraie armée dans l’armée, créée pour le défendre.

En comparaison avec ce qui se passe en Libye, l’absence de consensus occidental pour faire tomber le régime syrien interpelle. Hilary Clinton a affirmé que les Etats-Unis n’interviendraient pas militairement en Syrie, et l’Europe confesse que les sanctions qu’elle envisage contre certains dirigeants syriens n’ont qu’une valeur symbolique ; très probablement à cause du plaidoyer israélien craignant une instabilité sur sa frontière nord alors qu’avec le régime syrien actuel, cette frontière est restée calme depuis 1973.

Où vont ces révolutions ?

Continuerons-nous à assister à la réussite d’autres révolutions ? En tout cas pas aussi « facilement », et pas qu’avec des manifestations.

Car parmi les pays gagnés par les manifestations, il n’y a que le Maroc qui est sensible à son image en occident, ce qui limiterait sa capacité de répression. Mais là, les manifestants ne demandent souvent pas la fin du régime, mais plutôt des réformes, toujours sous la coupe de la monarchie, jugée plus démocratique que le gouvernement et le Makhzan (la nomenklatura), donc la fin du régime n’y est pas à l’ordre du jour.

En Libye, c’est par les armes que le sort de cette guerre va être décidé.

Au Yémen, la contestation ne fait ni chaud ni froid au président Saleh et elle pourrait durer le temps qu’il faut, jusqu’à ce qu’il trouve un moyen de quitter le pouvoir sans être jugé. D’ailleurs, fait étonnant dans ce pays où le port d’arme est une tradition et une fierté et où chaque maison est un arsenal, les manifestations sont restées pacifiques malgré la répression sanglante. Une maturité politique qui forge le respect.

En Syrie, la limite du régime ne sera pas imposée ni par les manifestants, ni par les occidentaux, mais par la tolérance des pays frontaliers au nombre des victimes de la répression. La Turquie, pays qui a tourné sa politique étrangère vers un rôle de leadership régional parmi les pays musulmans du Moyen Orient et d’Asie Centrale, a déjà exprimé son mécontentement, ainsi que des pays comme l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe, intéressés par rompre définitivement le lien qui unit la Syrie et l’Iran, pays qu’ils voient comme une menace à l’intérieur de leurs frontières, depuis la révolution au Bahreïn.

Mais là où la révolution réussit à renverser les dictateurs, contrairement à ce qui pouvait se craindre à leur début, ces révolutions ne sont pas islamistes. Les islamistes d’ailleurs ne se sont engagés dans ces révolutions qu’avec un certain retard, et quand ils le faisaient, c’était pour réclamer des régimes démocratiques, du moins pour apaiser les craintes à leur égard. Ceci continue à être le cas et il y a peu de risque que ces mouvements ne poussent pour dominer les gouvernements à venir, du moins pas lors des premières législatures, trop risquées, où le peuple doit faire son apprentissage et où le risque d’échec est plus grand que la probabilité de réussite. Cela leur laisse le beau rôle du sauveur lors des législatures suivantes.

Sur un autre plan, malgré la participation massive des femmes dans les manifestations dans tous les pays, peu ou pas de revendications proprement féministes pendant les révolutions ne se sont fait entendre. Après la réussite de la révolution tunisienne, les femmes ont manifesté pour conserver leur droits mais le combat paraît difficile. En Égypte, les femmes ont été exclues du conseil de la révolution. De plus, la manifestation des femmes pour la Journée Internationale des Femmes a été réprimée, des femmes ont été interrogées et emprisonnées et certaines soumises à un test de virginité [5]. L’amalgame paraît se faire entre les revendications féministes et les anciens régimes qui se disaient féministes. Par conséquent, la révolution des femmes arabes reste encore à faire.

Entretemps, on ne peut qu’admirer la conscience politique et la vigilance des tunisiens et des égyptiens, toujours mobilisés pour qu’on ne leur vole pas leurs révolutions.

Nidal avec l’aide d’Ounsi

10/05/2011

Notes

[4Lire entre autres ces articles parus dans SlateAfrique : Cinq raisons de ne pas hurler avec les anti-Kadhafi et Que sont mes idoles devenues ?. NDLR : il est, à l’heure actuelle, difficile de trouver un ensemble de raisons expliquant l’intervention militaire en Libye, en particulier l’attitude de la France

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