C’est comme ça, c’est ma nature. Je ne sais pas ne pas bondir face à l’injustice (entendons-nous bien : quand je parle d’injustice, je parle de ce que JE considère injuste).
C’est comme ça depuis toujours.
Toute petite, je voulais faire « de la politique ». Ca a commencé par « Je serai présidente du monde ». Et en fait, ça n’a pas tellement changé, si ce n’est que je garde ma mégalomanie pour moi, je sais que ça ne fait pas bon genre.
Toujours est-il que ces deux traits de ma personnalité ne m’ont jamais quittée, à ceci près que la politique a changé.
Certains ne manqueront pas de m’objecter que c’est moi qui ai grandi et acquis une vision un peu plus réaliste des choses, mais je pense qu’il y a plus que ça.
Quand j’étais jeune, je voyais la politique comme quelque chose qui, consciente qu’elle ne l’atteindra jamais, vise néanmoins un objectif : l’idéal. Un idéal fait de valeurs qu’on va résumer, disons comme ceci : le bien-être de la société. Bien-être qu’on va préciser, disons comme ceci : bonheur. Un bonheur que l’on atteint via des chemins pavés de principes moraux.
Après un passage par l’extrême gauche, j’ai commencé à me dire qu’Ecolo me plaisait bien. Qu’ils étaient purs, pas pétris d’ambitions personnelles, braqués sur l’objectif précité. Vous savez, à cette époque pas encore tout à fait révolue mais presque, où on taxait le parti de naïveté. Où on disait qu’il manquait de pragmatisme.
D’ailleurs moi aussi, je le pensais. Et j’ai observé avec satisfaction que ce parti s’enrichissait de membres « scientifiques ». Des économistes compétents, par exemple.
C’était à l’époque où je pensais que oui, il fallait faire « avec le système ».
Maintenant, je pense qu’il faut connaître le système. Parce qu’il faut connaître son ennemi pour le combattre.
Hier encore, un épisode et quelques dialogues qui ont suivi ma réaction m’ont montré combien il est urgent de revenir sur le chemin vers l’impossible idéal.
Des Afghans, hommes, femmes et enfants (je le précise parce que les enfants, ça fait mieux pleurer dans les chaumières – moi aussi je peux être pragmatique -) qui se sont vus déboutés de leurs demandes d’asile ou de protection temporaire et qui, faute de pouvoir être rapatriés dans leur pays (parce qu’il est en guerre), ont été tolérés dans un squat, un bâtiment de la Régie, ai-je entendu, en ont été expulsés hier.
Vers où ? Personne ne l’a dit (parce que si on communique bien sur les expulsions de demandeurs d’asiles déboutés et en grève de la faim, le reste est moins intéressant stratégiquement parlant, pense-je). Sans doute parce que c’est vers nulle part (sauf quelques uns envoyés au 127bis, m’a dit un vent favorable).
Révoltée par le sort que notre pays, qui a - il faut le rappeler – adhéré à la Convention internationale des droits de l’Homme, loi souveraine s’il en est - réserve à ces gens (depuis des années), j’ai encore « fait aller ma gueule » sur FB, sur Twitter… et on m’a répondu : « C’est comme ça, c’est la loi ». « On ne peut pas accueillir tout le monde, il faut être réaliste ».
Alors outre le fait que, je l’ai déjà dit, notre pays a beaucoup, beaucoup de moyens et que tout est une question de choix… politiques (et donc financiers, puisque nos dirigeants politiques sont dirigés par nos dirigeants d’entreprises), il faut que je le dise :
Oui, c’est la loi. Non, ce n’est pas comme ça.
Parce qu’une loi, ça se change. On le voit bien, quand il s’agit de montrer moins de solidarité. Le dernier texte (discriminatoire !) voté à la Chambre (voir plus bas) prouve même qu’on est capables de voter des choses en dépit de leur illégalité.
Et je dirais même plus : un système, ça se change. Mieux : un système, ça s’élimine. La Tunisie nous l’a montré. On l’a tous applaudie, comme les autres qui l’ont suivie. On applaudit tous les Espagnols et les Grecs descendus dans la rue dénoncer cette parodie de démocratie.
Et chez nous ? Ben, chez nous, on me dit qu’il faut être pragmatique. Que la loi, c’est la loi. Qu’on doit trouver un gouvernement et des accords communautaires dont fondamentalement (si si, creusez !), personne n’a rien à foutre.
Et on sourit, condescendants, face à ces indignés, très peu nombreux certes, pleins de mauvaises réponses, certes, mais tellement dans le vrai quand ils nous disent que non, ce système n’est pas tolérable. Et que oui, la politique, c’est le bien de tous.
D’ailleurs c’est vers eux que se sont tournés une partie des Afghans.
Anne Löwenthal