Accueil > Numéros > Numéro 21 > Ethnos, peuple

Version imprimable de cet article Version imprimable

La chronique d’Eric Léon

Ethnos, peuple

Première partie : Ambiorix, petits belges et génocides sans importance

dimanche 3 juillet 2011, par Louis Jazz

L’origine ethnique est-elle de nature culturelle ou biologique ? La réponse paraît évidente mais alors, pourquoi ne pas éradiquer « épuration ethnique » de notre vocabulaire ? On oublie vite aussi qu’au Rwanda, les colons belges et l’Eglise catholique se sont évertués à poser les bases d’une société fasciste. En 1931, les cartes d’identités ethniques sont instaurées, jusqu’en 1994, après le génocide de plus de 600 000 personnes dans l’indifférence générale.

Un génocide réussi

Ce qui s’est passé dans la région de Tongres aux alentours de 50 AC est qualifié de génocide par certains historiens et archéologues. Quelques années auparavant, les Eburons menés par Ambiorix se révoltent contre les occupants romains. La vengeance de César sera terrible : exterminer tous ces sauvages.

On imagine que les massacres ont été dignes d’un film gore. Tout ce petit monde de terribles gaulois ne sera pas tué de suite puisque de la main d’oeuvre est nécessaire pour exploiter les ressources que les romains sont venus chercher, de l’or principalement. Les survivants qui sont ou seront capables de tenir un glaive ont leur main droite coupée. Les derniers massacres se finaliseront en 51 AC, car les Eburons ne tarderont pas à apprendre à jouer du glaive de la main gauche et à massacrer à nouveau des troupes romaines. En 50 AC, plus un seul Eburon ne foulera la surface de la terre mis à part Ambiorix, en fuite, probablement dans la forêt. Le génocide est réussi.

La région était tellement dépeuplée suite à ces massacres que l’empereur Auguste, trente ans plus tard, a du faire appel à des tribus germaniques pour repeupler la région dévastée. Parmi eux, les Tongres, qui donneront leur nom à la plus ancienne ville de Belgique [1].

Démagogie

Faire le lien entre les mains coupées des Eburons et celles des « travailleurs » congolais dans les exploitations de caoutchouc sous le règne de Léopold II [2], le roi bâtisseur, est très démagogique, mais la tentation est trop forte. Cependant, en terme de démagogie, il y en a certains qui sont passés maîtres dans la pratique. C’est le cas de Louis Michel par exemple, député européen, qui a déclaré que Léopold II était « un héros avec de l’ambition pour un petit pays comme la Belgique ». Il parle aussi de « l’arrivée de la civilisation » au Congo grâce au monarque. Et pour répondre à l’affirmation que la Belgique s’était enrichie grâce à l’exploitation du Congo, Louis Michel, ancien ministre des affaires étrangères n’hésite pas à répondre que « C’est de la démagogie pure. Léopold II ne mérite pas de tels reproches. Les Belges ont construit le chemin de fer, des écoles et des hôpitaux et mis en marche la croissance économique. Un camp de travail ? Certainement pas. En ces temps-là, c’était simplement la façon de faire. » [3] [4]

Carl de Keyzer, un photographe flamand, est retourné au Congo avec un guide touristique de 1958. Il est retourné sur les hauts-lieux touristiques de l’époque pour les comparer sur pellicule avec les descriptions de son guide. Les seuls bâtiments encore en état de l’époque coloniale sont les prisons [5].

À l’arrivée des colons belges, la région de l’actuel Congo a connu sa plus grande migration massive, des villages entiers étaient désertés pour ne pas servir de main d’oeuvre forcée dans les exploitations de caoutchouc ou dans les gisements d’ivoire [6]. Le narrateur de « Au coeur des ténèbres » [7] [8] de J.Conrad est resté atterré devant ces africains, attachés, fers au cou à un arbre alors qu’il venait de débarquer au Congo. A la fin de sa quête, après la remontée du fleuve que l’on suppose être le Congo, on se retrouve face à la folie de Kurtz, un agent chargé de fournir le pouvoir colonial en ivoire devenu complètement fou et dont la parcelle est entourée de pieux surmontés de têtes humaines. Le critère étant la rentabilité et le saccage rapide des ressources, peu importe qui était envoyé. « Kurtz était un excellent agent », un capitaliste zélé. Conrad a bel et bien voyagé au Congo, à bord du « Roi des belges », sa nouvelle s’inspire de ses voyages et des récits de Stanley lors de son expédition pour retrouver l’aventurier Oscar Schnitzer [9].

Et pour en revenir à Ambiorix, il est tout aussi démagogique de l’avoir déclaré héros belge, chef d’un peuple disparu, immortalisé avec sa moustache et ses cheveux roux au vent, ses yeux clairs, son torse musclé, ses tablettes de chocolat et son casque « Astérix ». Est-ce que cette image de « père fondateur » définit vraiment l’identité belge ? Ambiorix était-il francophone ou néerlandophone ? Il est étonnant que dans le contexte démagogue belge actuel, aucun historien ne se soit encore posé la question.

Et puis d’ailleurs, c’est quoi l’identité belge ? « Melting pot » correspond assez bien. Cependant il est clair que ce n’était pas pour représenter le « melting-pot » national que les pères-blancs belges se sont rendus en Afrique centrale. Il s’évertueront, dès leur arrivée avec les colons belges au « Ruanda-Urundi » à perpétrer un ethnocide pour ensuite poser, dans un coin bien reculé du monde les bases d’une société fasciste.

Ethnie

«  Au Rwanda, il n’y pas de problème ethnique, mais en Belgique oui, il y a des problèmes ethniques !  » Le prof de morale à l’Ecole Belge de Kigali qui vient de sortir cette phrase me laisse un petit temps de réaction après sa phrase provocatrice. Mon commentaire sera un vague bégaiement. « Qu’est-ce qu’une ethnie ? » poursuit-il. Ma réponse sera tout aussi percutante que ma dernière réplique. Le prof enchaîne. « Groupement humain fondé sur une communauté de langue et de cultures. Au Rwanda, tout le monde parle Kinyarwanda. En ce qui concerne la culture, on peut prendre les habitudes alimentaires : tout le monde boit le urgwargwa [10] le lait ou le ikiviguto [11], mange le foufou [12], l’isombé [13], les haricots. En Belgique, on ne peut pas dire que le sud parle la même langue que le nord. » c.q.f.d.

En regardant la définition dans le Larousse, je suis surpris de constater que l’adjectif « ethnique » peut aussi être ce qui relève « d’une culture autre que la culture occidentale : Musique, cuisine ethnique (syn. Exotique). »

On comprend alors mieux pourquoi on parle en Belgique de « problème communautaire » et que le génocide rwandais était plutôt une « épuration ethnique », euphémisme plus exotique, tout comme les massacres à coups de machette.

Ethnocide

Avant l’arrivée des occidentaux, les territoires du Mwami, roi tutsi s’étendaient bien au-delà des frontières du Rwanda actuel. La férocité des guerriers du Mwami et le territoire accidenté des milles collines a préservé le royaume des marchands d’esclaves et des colons. Cette situation ne sera pas éternelle. En 1894, le compte allemand Gustav Adolf von Götzen [14] fait officiellement son entrée au Rwanda avec 620 soldats. En 1916, en pleine guerre mondiale, les belges chassent les allemands du Rwanda et occupent tout le territoire. En 1919 le traité de Versailles attribue officiellement le Rwanda à la Belgique [15]. Le Rwanda va rester sous tutelle belge jusqu’en 1961.

L’Eglise catholique sera présente dès les premiers moments de la colonisation tout comme les ethnologues belges arrivés avec les colons qui définiront, sur base d’études biométriques sur des milliers d’habitants locaux - similaires à celles que les nazis effectueront quelques années plus tard - trois types ethniques : les pygmé ou twa, les hutu et les tutsi. La première vague de pères blancs, francophones, qui débarque au Rwanda aux prémices de la colonie est désireuse de faire correspondre la répartition des peuples tels que décrits dans la Bible à ce qu’ils voient sur place, ils assimilent les titres honorifiques et l’organisation sociale des sujets du Mwami à des différences de races ou ethnie [16] [17] [18]. Dans l’organisation traditionnelle de la société, un aristocrate était nommé « tutsi ». Pouvait également être tutsi une personne possédant un certain nombre de vaches. Les pères blancs figent alors cette organisation sociale au moment de leur arrivée en hiérarchie raciale. Les tutsis seront qualifiés de « caucasiens négroïdes » descendants des hamites, les fils de Cham, selon la table des peuples de l’Ancien testament, le fils de Noé qui, pour avoir vu sont père nu et ivre sera maudit, coloré en noir et devra servir ses frères et tous leurs descendants, c’est à dire, les autres peuples [19]. Le moteur idéologique de la colonisation et de l’esclavage en quelques sortes. Les hutus quant à eux seront considérés comme négroïdes de race batoue. Cette classification raciale a rencontré quelques contradictions puisque par exemple, au sein d’une même famille, une personne nommée comme tutsi grâce à son cheptel pourra avoir un frère hutu, sans vaches [20].

La division du travail se basera évidemment sur ces critères d’apparence raciale. Les hutu seront associés à une activité d’agriculture et les tutsi aux traits « occidentalisés » seront chargés des tâches politico-administratives. Une fois cette division de la société imposée et les critères raciaux hiérarchiques assimilés chez les colonisés, l’hérédité des privilèges est mise en place pour figer le système pour les générations à venir : lors d’un mariage mixte, les enfants seront automatiquement hutus, et donc, perdent les privilèges qui reviennent aux tutsis. En 1931, la carte d’identité ethnique sera instaurée, elle perdurera jusqu’en 1994.

Le dessein de l’Eglise catholique était de reconstituer, sur le territoire du Rwanda, en marge de tout ce qui pouvait se passer dans le monde, l’idéal catholique médiéval : une aristocratie locale, des serfs et l’Eglise au milieu du village. Le pouvoir colonial et l’Eglise travaillant main dans la main, cette structure sociale se mit rapidement en place et perdurera pendant des décennies. De plus, l’efficacité des missionnaires pour s’intégrer dans des territoires reculés était telle que l’Eglise catholique était le partenaire incontournable de l’administration coloniale pour la gestion des communautés. Avec ce système de différenciation racialo-sociale, les classes sociales étaient scellées et hermétiques, véritable fascisme africain en action.

Génocide

Pour réaliser un explosif, trois éléments sont nécessaires : un carburant, un comburant et une source d’énergie dans un espace clos. Le carburant, ce sont les inégalités sociales ; le comburant c’est le contexte des indépendances Africaines dans la région dans la fin des années cinquante et en ce qui concerne la source d’énergie, l’étincelle, elle sera apportée par la deuxième vague de pères blancs flamands et la rédaction du « manifeste des Bahutu ».

C’est donc une nouvelle génération de pères blancs belges qui débarque après la deuxième guerre mondiale. Ils sont d’origine flamande pour la plupart et d’un milieu social populaire agricole. Ils prennent sympathie pour les hutus et projettent les injustices qu’ils ont vécues en Belgique sur la situation du Rwanda, les paysans flamands sous l’oppression des dirigeants francophones ; les paysans hutu sous le joug des aristocrates tutsi. Cependant, les intellectuels rwandais de l’époque, principalement tutsi puisque les seuls à avoir eu accès à l’éducation supérieure, aspirent à l’indépendance du Rwanda et veulent faire table rase du passé. Il est temps pour les colons belges de changer leurs alliances, les tutsi réfléchissent trop. Ces pères blancs tombent au bon moment pour l’administration coloniale. L’étincelle, porte le nom de « notes sur l’aspect social du problème racial indigène au Rwanda » plus connu comme le « manifeste des Bahutu », rédigé par neuf intellectuels hutu, tous chrétiens engagés puisque sortant du séminaire où s’est fait leur endoctrinement. Le « Manifeste des Bahutu » qui a été rédigé sous l’impulsion de l’Eglise Catholique, a pour programme politique la haine de « l’oppresseur » tutsi [21], il doit être éliminé. Ce programme sera mis en exécution dès 1959, lorsque le Rwanda subira le coup d’état d’une élite hutu radicale, qui dirigera le pays et mettra en place les premier massacres de familles tutsi. On parle du premier génocide rwandais ou ironiquement, du « petit génocide ». En 1962, c’est toujours sous ce régime de haine raciale que le petit pays des milles collines accède à l’indépendance [22].

Les tutsi fuient massivement les massacres pour se réfugier dans les pays limitrophes, Burundi, Congo, Ouganda, Tanzanie. Une partie de la diaspora se radicalise et s’arme. Ils se battront même au côtés de Che Guevara au Congo [23]. Les enfants de la diaspora, la deuxième génération d’exilés dont certains ont vécu la fuite des massacres s’organiseront aussi. C’est ainsi que le FPR, Front Patriotique Rwandais, sera créé en 1987 en Ouganda. Le FPR ouvrira dès 1990 un premier front militaire au Nord du Rwanda [24]. En 1994, avant de se lancer dans ce que l’on appelle les guerres du Congo - qui ont impliqué neuf pays africains et près de trente groupes armés [25] [26]- et de participer à la chute de Mobutu Sese Seko au Zaïre, ils mettront fin au génocide qui a emporté plus de 600 000 personnes, tutsi et hutu modérés, dans le petit Rwanda [27]. Les massacres, pour la plupart, étaient perpétrés à coups de machettes. François Mitterrand déclara à l’époque au sujet du Rwanda que « un génocide dans ces pays-là, c’est pas très important » [28].

Eric Léon

Notes

[6« Negrologie : pourquoi l’Afrique meurt », Stephen Smith, Ed. Mille et une nuits, 2005

[7Ce livre inspirera même le film « apocalypse now » de F.F Copolla. A la fin du film, il est possible, paraît-il de voir un exemplaire du livre de Konrad sur la table de nuit de Kurtz.

[8« Heart of darkness », J. Conrad, Wordworth Editions

[10Bière de banane traditionnelle

[11Lait fermenté

[12Pâte de manioc

[13Feuilles vertes pilées, de manioc et/ou de renga-renga généralement

[16La notion de race n’existant pas, j’utilise le terme comme il était utilisé à cette époque.

[18« Le sabre, la machette et le goupillon, des apparitions de Fatima au génocide Rwandais », Leon Saur, Ed. Autre Regard, 2004

[19Genèse 9

[20« Le sabre, la machette et le goupillon, des apparitions de Fatima au génocide Rwandais », Leon Saur, Ed. Autre Regard, 2004

[23« The African Dream, the diaries of the revolutionary war in the Congo », Ernesto « che » Guevara

[27[NDR] Pour autant, un rapport de l’ONU de 2010 met en évidence ce qu’on soupçonnait depuis depuis quelques années (cf. cet article de Radio Canada), les massacres dans les camps de réfugiés hutus au Zaïre relèvent peut-être du génocide. De quoi entacher l’étoffe de libérateur du FPR. Ce point sera plus particulièrement développé dans la deuxième partie.

SPIP | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0