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Editorial n°19 : Hein ? Justice ?

samedi 14 mai 2011, par Anne B

Quand vous entendez le mot « justice », qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ? Sans doute, pensez-vous à plusieurs de ses synonymes, comme équité, impartialité, intégrité, droiture, etc. , ou alors, à certains de ses symboles comme la balance ou les yeux bandés – on dit bien que « la justice est aveugle » ?

On entend d’ailleurs souvent qu’il faut s’en remettre à la justice, qu’elle fera éclater la vérité, que justice sera rendue,... Ah, mais c’est bien simple donc : si la police commet des débordements et se comporte de façon violente, il suffirait donc de porter plainte. Dans l’article de Christine Oisel, publié dans le n°4, « Pour la police de la zone de Bruxelles-midi : Arabe = punching-ball ! », le JIM avait raconté déjà l’histoire de 4 jeunes à Bruxelles victimes d’une agression policière et leur difficulté pour porter plainte.
Qu’avez-vous dit ? Hein ? Justice ?

Autre exemple : débordements policiers en février 2003 lors d’une manifestation festive, le Festival des Résistances, devant le centre fermé 127bis à Steenokkerzeel, à savoir fichage généralisé et jet d’autopompe sans raison blessant 2 manifestants (avec séquelles irréversibles pour une personne). Les manifestants ont porté plainte avec constitution de partie civile mais, depuis bientôt 10 ans, l’affaire traîne en longueur. Tout est fait pour décourager les plaignants, espérant qu’ils s’essoufflent d’eux-mêmes ou que leurs moyens s’épuisent pour continuer à payer les frais de justice (voir encart).
Qu’avez-vous dit ? Hein ? Justice ?

Et qu’en est-il quand il y a jugement ? La justice serait-elle plus « équitable » quand il s’agit de décider d’enfermer des personnes ? L’article de Florence Dufaux, « Cachez cette pauvreté que je ne saurais voir », souligne de façon évidente qu’il n’en est rien, en démontrant le lien entre précarité et emprisonnement. Que ce soit avant la détention, pendant ou après, la précarité favorise les décisions de détention et la prison favorise la précarisation, l’un entraînant l’autre dans une spirale infernale. Parfois, l’inéquitabilité de la justice est encore plus flagrante. L’article de Julie Robert retrace le parcours de Mumia Abu Jamal condamné à mort en 1982, lors d’un procès entaché d’erreurs et de manquements, dans un climat raciste évident. Il est en prison depuis et se bat pour être rejugé, sans succès. Seule la sentence définitive – peine de mort ou prison à perpétuité – a été réexaminée [1].
Qu’avez-vous dit ? Hein ? Justice ?
Mais laquelle ? En tout cas, pas celle de la balance et des yeux bandés.

Que reste-t-il dès lors de ses symboles ? Eh bien, c’est bien simple, reste le glaive, qui lui symbolise l’aspect répressif de la justice, son pouvoir de décision de sanctions et sa capacité à les faire appliquer. L’actualité ne manque pas d’exemples où l’arsenal judiciaire est utilisé pour s’attaquer aux militants. Relisez à ce propos l’article de Didier Brissa, publié dans le n°1, sur l’affaire de la mise sur écoute des altermondialistes en 2001. Et rappelons l’inculpation en 2008 de 4 membres du Secours Rouge pour participation aux activités d’un groupe terroriste [2]. Après 3 ans d’instruction (et un dossier toujours aussi vide), la Chambre du Conseil va statuer s’il y a lieu de poursuivre, et donc procès, ou s’il y aura non-lieu. Nous pourrions d’ailleurs multiplier les exemples.
Qu’avez-vous dit ? Hein ? Justice ?

Pourtant, des initiatives existent pour repenser ces questions de justice et tenter de retourner à son sens premier. Ainsi en est-il du Tribunal Russel, mis sur pied pour la première fois en 1966. Même s’il ne peut faire appliquer ses décisions, il a pour objectif de juger les atteintes au droit international, non examinées par les cours internationales, comme ce fut le cas pour la guerre du Vietnam et les faits commis par les Etats-Unis en 1966, ou pour les dictatures d’Amérique Latine en 1973. Dans son article « No justice, no peace », Max Redknight nous présente le Tribunal Russel pour la Palestine, qui a eu sa première session en mars 2010. Au niveau de la justice nationale, un colloque a eu lieu à Bruxelles en janvier 2011 pour penser les alternatives aux enfermements (prison, mineurs, étrangers, psychiatrie). Dans son article, Fifi Brindacier nous donne un aperçu des débats et de leurs conclusions, soulignant la possibilité de penser ces questions autrement. Vous trouverez aussi dans ce numéro un poème de Fifi évoquant l’ambiance carcérale.
Qu’avez-vous dit ? Hein ? Justice ?

Mais laquelle ? Et surtout, pour qui ?



Anne B


Une plainte qui met du temps à aboutir
  • Après quelques mois, demande d’accès au dossier et constat (sans doute prévisible) : rien, ou presque, n’a été fait par la juge d’instruction (censée instruire à charge et à décharge, pour rappel). Seuls le Comité P et la police fédérale ont été interrogés. Réaction des plaignants : demander via leur avocat ce qui s’appelle des devoirs d’instructions complémentaires [3].
  • Après quelques mois encore, nouvelle demande d’accès au dossier et re-constat : la juge a attendu que les plaignants demandent l’accès au dossier pour effectuer les instructions complémentaires demandées
  • A ce rythme, l’instruction durera 5 ans, sans jamais avancer sans que les plaignants n’insistent via des demandes d’accès au dossier et de devoirs d’instructions complémentaires (démarches payantes pour rappel)
  • Octobre 2008, enfin passage devant la Chambre du Conseil (qui décide sur base de l’enquête menée par la juge d’instruction s’il y a suffisamment d’éléments pour faire un procès ou non) : cette fois, c’est le juge de la Chambre qui renvoie la juge d’instruction au travail, des devoirs d’instructions complémentaires demandés par les plaignants n’ayant pas été faits
  • Octobre 2010, nouveau passage devant la Chambre du Conseil mais manque de bol, la juge présidant la Chambre tombe malade et report incessant du prononcé
  • Avril 2011, re-passage devant une nouvelle Chambre du Conseil (juge malade remplacée) et prononcé : non-lieu.
    Les plaignants ont fait appel, affaire à suivre donc (le JIM vous en reparlera très certainement). Mais un premier constat s’impose : tout est fait pour décourager les plaignants, espérant qu’ils s’essoufflent d’eux-mêmes (ou que leurs moyens s’épuisent pour continuer à payer les frais de justice).

A. B

Notes

[2Pour plus d’informations : www.noproces.org

[3Voir ici

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