Mais qui se cache derrière le « Forum Nucléaire » ?
Le Forum Nucléaire se donne pour objectif de « devenir la référence par excellence en matière d’applications pacifiques du nucléaire. Tant à l’égard de la presse et du monde politique que du grand public » [2]. Rien que ça.
La lecture des statuts [3] de cette association sans but lucratif (si si !) est éclairante à plus d’un titre. Créée le 29 février 1972, cette asbl est en fait l’ancien « Groupement professionnel de l’Industrie Nucléaire ». Son objet social est « d’encourager le développement et les applications pacifiques de l’énergie nucléaire, d’informer et de documenter les membres, les entreprises ou organismes que les membres actifs représentent ou regroupent, ainsi que les tiers et le grand public, de susciter dans le pays un intérêt en faveur des applications pacifiques de l’énergie nucléaire, d’étudier les problèmes généraux ou particuliers ayant trait aux domaines envisagés ci-dessus. »
Il y a trois catégories de membres :
Les membres actifs [4] : on y retrouve Agoria, Areva, Belgoprocess, le Centre d’étude de l’énergie nucléaire (SCK-CEN), Electrabel, l’Institut National des Radioéléments (IRE), SPE, Synatom, Tractebel Engineering et Westinghouse Electric Belgium. Selon les statuts de l’asbl, ces membres payent une cotisation annuelle qui ne pourra pas dépasser 50.000 euros et peuvent être également mis à contribution, en fonction des besoins financiers du Forum Nucléaire Belge ou pour des besoins spécifiques, dans le cadre d’une cotisation extraordinaire qui ne pourra pas dépasser 5.000.000 euros par an.
Les membres associés [5] : Laborelec, MPE, Tecnubel, Transnubel et Transrad qui sont eux soumis à une cotisation annuelle qui ne peut pas dépasser 5.000 euros et qui peuvent également être sollicités pour une cotisation extraordinaire qui ne dépassera pas 10.000 euros par an.
Les membres individuels
Si on pouvait s’attendre à retrouver sans surprise Areva et Electrabel parmi les membres actifs du Forum Nucléaire, la présence de l’IRE, de Synatom, de Belgoprocess et du SKE-CEN, qui bénéficient de subventions publiques, pose question. Le Ministre de l’Energie, Paul Magnette, a d’ailleurs reconnu en Commission parlementaire [6] que de l’argent public avait bel et bien servi au financement de la campagne publicitaire du Forum Nucléaire. Le Centre d’étude de l’énergie nucléaire, société privée de fonds public, a payé une cotisation de 3.838 euros et des montants supplémentaires de 111.641 euros pour 2008 et à 150.000 euros pour 2009, justifiant leur participation au Forum Nucléaire par le fait qu’elle « permet de nouer des contacts commerciaux » et que « la campagne rencontre à leurs yeux leurs missions d’information et de diffusion des connaissances ». L’Institut des Radio Eléments (IRE) cotise au Forum Nucléaire à hauteur de 3.800 euros et a versé 2.000 euros supplémentaires pour le programme publicitaire en 2008 et 2009. L’IRE reconnaît que « la campagne ne correspond pas (à ses) missions mais il estime intéressant de participer au Forum, considéré comme une fédération professionnelle qui permet un échange d’expérience. »
C’est clair, net et précis, le Forum Nucléaire est donc, partiellement et de manière indirecte certes, alimenté financièrement par des subventions publiques.
Mais de quel débat parle-t-on ?
Un débat autour de la question de l’approvisionnement en électricité est absolument nécessaire. Ce financement public serait donc justifié si ce débat était mené de manière impartiale et correcte.
Ce n’est évidemment pas le cas de la part d’une asbl dont, rappelons-le, l’objet social est de « susciter dans le pays un intérêt en faveur des applications pacifiques de l’énergie nucléaire ».
Quelques exemples de manipulations malhonnêtes ? Le site du Forum Nucléaire en regorge ! Il y a trois parties dans l’espace débat. Une première est consacrée à des messages qui sont censés inviter à réfléchir et à réagir [7]. On y retrouve, en vrac, des affirmations qui mélangent tout et n’importe quoi, de l’utilisation du nucléaire pour la fabrication d’électricité à son utilisation médicale, et bien entendu, pour chaque message, le Forum Nucléaire nous explique en quoi l’énergie nucléaire nous est indispensable.
Par exemple dans le message « Il faudrait renoncer au nucléaire. Aux accords de Kyoto aussi ? », on y apprend que l’énergie nucléaire « participe donc activement à la lutte contre le réchauffement climatique » [8]. Ou encore, sous le message « Les légumes, c’est bon pour la santé. Même s’ils sont irradiés ? » que « la ‘radiostérilisation’ permet d’éliminer les bactéries et autres micro-organismes présents dans certains aliments pour leur assurer une meilleure conservation » et que renoncer au nucléaire, c’est donc accepter « de manger des bactéries à tous les repas » [9]…
La seconde partie des débats reprend ce que le Forum Nucléaire appelle « Les libres propos » [10]. Ici ce sont les « propos les plus remarquables » des « leaders d’opinion » qui sont soumis à nos commentaires. Tous les messages, sans exceptions, sont en faveur de l’énergie nucléaire. Même les propos de Jan Vande Putte [11], Responsable de la Campagne Energie Nucléaire au sein de Greenpeace, qui réagissait à la campagne publicitaire du Forum Nucléaire, sont tournés d’une telle façon qu’on pourrait croire que, finalement, Greenpeace, en reconnaissant l’utilité du nucléaire médical reconnaît l’utilité du nucléaire tout court…
Enfin, la troisième partie des débats est consacrée aux quatre séances de « Live chat » [12] organisées par le Forum de février à mai 2009, avec Robert Leclère, président du Forum, Eric van Walleet et Hamid Aït Abderrahim du Centre d’étude de l’énergie nucléaire, la Belgian Nuclear Society Young Generation et, enfin, avec Alain de Halleux réalisateur de « R.A.S. Nucléaire Rien a signaler ».
Dans cette partie de « Live chat », les internautes sont invités à dialoguer avec tous ces experts de l’industrie nucléaire et à leur poser, sans tabou, toutes leurs questions. Certains attendent toujours leur réponse…
Bref vous l’aurez compris, ce n’est pas grâce au Forum Nucléaire que nous aurons enfin un débat démocratique sur la question du nucléaire. Ni sur la question de notre consommation énergétique globale... En éludant totalement le fait que la vraie solution est une diminution drastique de notre consommation énergétique (et, ce, quelle que soit la source énergétique) ainsi que les problématiques de la gestion des déchets, de l’approvisionnement et de la sécurité, le Forum Nucléaire nous fait croire qu’il n’y a qu’une solution : l’énergie nucléaire. Et autant aller droit dans le mur en fermant les yeux et en accélérant le mouvement…
Pourquoi cette campagne de propagande ?
En 2003, le Gouvernement "Arc-en-Ciel" [13] décide de sortir du nucléaire en adoptant la loi du 31 janvier 2003 "sur la sortie progressive de l’énergie nucléaire à des fins de production industrielle d’électricité" [14] qui prévoit l’arrêt progressif de toutes les centrales nucléaires situées en Belgique à partir de 2015.
Le 1er octobre 2009, Paul Magnette, Ministre fédéral de l’Energie, proposait d’allonger de dix ans la durée de vie des anciennes centrales suite aux conclusions du rapport GEMIX [15]. Le 12 octobre, le Gouvernement fédéral entérinait cette décision au prix d’un accord avec le groupe GDF Suez et la société Electrabel [16]. A ce moment, le Gouvernement est en train d’essayer de boucler un budget difficile. Difficile de ne pas faire le lien avec les 500 millions d’euros qui seraient [17] versés par GDF Suez de 2010 à 2014.
Mais difficile aussi, même si peu de gens l’ont fait, de ne pas penser que les campagnes de propagande du Forum Nucléaire ont aussi servi à préparer l’opinion publique à cette prolongation des centrales nucléaires. Passant outre toutes les questions qui restent aujourd’hui sans réponse autour du véritable impact des centrales nucléaires vieillissantes qui se trouvent sur notre territoire [18] et qui permettent, en passant, à GDF Suez de se faire de plantureux bénéfices estimés à au moins 1,2 milliard d’euros par an [19] grâce à l’amortissement de ces centrales.
Alors, au moment de la prochaine révision de la loi du 31 janvier 2003 au Parlement [20], pensez-vous que nos représentants auront vraiment réfléchi au nucléaire ou qu’ils se laisseront berner une nouvelle fois par des compagnies multinationales qui n’ont, faut-il le rappeler, que pour but de faire un maximum de profits… Et vous ? Le capitalisme, y avez-vous déjà réfléchi ?
Andrée Fonteyne