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Conséquences de la marchandisation du vivant
En une trentaine d’années, quelques multinationales [1] ont procédé au rachat de la majorité des semenciers. Beaucoup de semences originelles ont été remplacées par des hybrides F1 (qui sont des semences soit stériles, soit dégénérescentes car elles proviennent d’un croisement entre deux lignées différentes) [2]. Ces hybrides ont le sérieux désavantage de nécessiter des quantités considérables de fertilisants, de pesticides et d’eau [3]. Ces espèces croisées représentent une part significative de la totalité de certaines espèces commercialisées [4] et continuent à gagner du terrain au sein des autres espèces. Cette progression est d’autant plus inquiétante qu’il est interdit, en France, de commercialiser d’autres variétés que celles reprises dans un catalogue de référence [5].
D’une part, cette situation rend les agriculteurs (et, a fortiori, l’ensemble de la chaîne alimentaire) dépendants des multinationales qui ont procédé, de fait, à une confiscation des semences, élément de base de l’agriculture [6]. D’autre part, les contraintes liées à ces hybrides en terme d’irrigation, de fertilisants et de pesticides, outre leur nocivité pour l’environnement, rendent l’agriculture intrinsèquement déficitaire, ce qui a donné lieu au système souvent décrié des subventions. Sans compter que l’agriculture chimique est basée sur le pétrole [7], ce qui la rend très sensible à ses hausses de prix.
Coline Serreau a recueilli des témoignages et analyses d’agriculteurs et spécialistes de la question aux quatre coins du monde. En tous ces endroits, le même constat est fait : on assiste à une réduction drastique de la biodiversité depuis que depuis que le vivant est devenu une marchandise.
Destruction de la vie des sols
Les techniques exigées par ces hybrides polluent les aliments et détruisent la microbiologie des sols alors que la fertilité de ces derniers est déjà réduite par la généralisation des monocultures et l’agriculture intensive. Et, de fait, on assiste à une baisse de l’activité biologique des sols soumis à l’agriculture industrielle au niveau mondial [8].
Le film s’attarde sur les micro-organismes présents dans le sol ; cette vie microscopique naturelle possède, en effet, un rôle capital ; elle l’aère et sert aux microbes et aux racines qui ne peuvent pousser naturellement que dans un sol aéré. Cette ventilation du sol prévient également l’érosion, maintient les sols perméables et, par là, permet l’approvisionnement des nappes phréatiques.
Les insecticides tuent la vie du sol. C’est pourquoi, sur des terres soumises à ces produits chimiques, les cultures seront conditionnées à l’utilisation d’engrais artificiels. Ces fonctions capitales des micro-organismes expliquent que la qualité des terres cultivables se mesure en fonction de leur présence et de leur quantité.
Mythes de l’agriculture industrielle
Coline Serreau s’attaque à quelques mythes bien enracinés en matière agricole. De nos jours, dans l’agriculture industrielle intensive, « On ne nourrit plus les sols, on nourrit les plantes ». C’est toute une manière de considérer l’agriculture qui est à revoir ; les lois actuelles qui règnent dans l’agriculture dominante rendent les terres de plus en plus inexploitables et stériles. Parmi ces pratiques mortifères, le film pointe essentiellement le labour, le caractère indispensable des engrais chimiques ainsi que la séparation des cultures, de l’élevage et des forêts.
Le labour
« Quand on travaille la terre profondément, on la tue. Le labour est un mythe. Lorsque la terre est lissée, l’air ne peut y pénétrer et cela favorise l’érosion. La terre doit être grumeleuse » [9]. Contrairement aux pratiques systématiques de l’agriculture industrielle, le film nous apprend que le labour est mauvais pour la terre. Tous les intervenants le condamnent, seul un labour superficiel de la couche supérieure de la terre est bénéfique et n’attaque pas les micro-organismes. Le labour comme il a cours dans l’agriculture industrielle rend les sols compacts, les dessèche et les rend inaptes à accueillir des cultures sans aide artificielle.
L’écosystème
Contrairement à la séparation qui est de mise dans l’agriculture industrielle, les intervenants et les différentes initiatives présentées dans le film insistent sur l’importance de conserver l’agriculture, l’élevage et la sylviculture ensemble. Ces secteurs d’activités sont, en effet, complémentaires ; les racines des arbres permettent l’infiltration de l’eau dans le sol tandis que les feuilles des arbres ainsi que le fumier et le lisier font office d’engrais naturels. En appliquant cet équilibre, on obtient un sol fertile.
Les engrais
La nature possède suffisamment de ressources pour nous permettre de créer des engrais et pesticides naturels [10]. Plusieurs personnes et organisations présentées dans le film en témoignent. Et la nature n’a pas attendu l’intervention de l’homme pour pousser... En outre, il existe des techniques naturelles pour stimuler les sols très pauvres (en plantant simplement des arbres, des haies qui vont nourrir le sol) et le composte biologique est même tout à fait apte à fertiliser des terres arides comme le montre l’activité de Pierre Rabhi [11] au Burkina Faso. Le film insiste également sur la nécessité de protection des sols de cultures [12].
Plusieurs initiatives présentées le confirment ; tant en Inde qu’en Ukraine ou en France, les méthodes traditionnelles et écologiques donnent des résultats au moins aussi bons en termes de rentabilité que l’agriculture industrielle et ce, sans nuire au sol. Ces initiatives montrent également que l’agriculture biologique peut se pratiquer à grande échelle, avec une rentabilité similaire à celle de l’agriculture industrielle.
Nourrir la planète ?
« Plus on produit de marchandises, plus il y a de gens affamés » [13]. L’agriculture intensive industrielle et la révolution verte, censées supprimer la faim dans le monde n’ont pas fait disparaître la famine [14].
La révolution verte a détruit la petite agriculture [15] et a eu des conséquences sociales désastreuses [16]. Le film insiste aussi sur le taux élevé de suicides des agriculteurs dont la méthode est particulièrement symbolique (beaucoup se donnent la mort en avalant un bidon de pesticides).
Plusieurs intervenants reviennent également sur l’origine des pesticides et engrais utilisés dans l’agriculture ; ce sont des armes chimiques utilisées lors de la première guerre mondiale (gaz moutarde et nitrates d’explosifs) qui ont été transformés pour être utilisés dans l’agriculture…
Dans l’intérêt de la population ou de l’industrie ?
Les évolutions actuelles de l’agriculture ne vont pas non plus dans le sens d’un souci nourricier envers la population. Les biocarburants sont emblématiques de cet état de fait ; à l’heure où un milliard d’êtres humains souffrent de malnutrition, des champs sont réquisitionnés pour produire un nouveau type de carburant. Non seulement, on fait passer les carburants avant les personnes [17] mais ce type de cultures est très néfaste pour l’environnement [18], ce qui, sur le long terme, amputera encore plus l’apport nourricier de la planète.
Simultanément, « on cherche à produire génétiquement les résultats qu’on avait naturellement » ; les OGM et les brevets qui y sont liés sont « le cheval de Troie de ceux qui veulent s’approprier le patrimoine génétique de la planète ». Les OGM sont des plantes à pesticides, elles ont été conçues pour tolérer les pesticides ou les intégrer. Ce qui souligne la vision de l’agriculture de leurs concepteurs...
C’est pourtant après avoir constaté des plaies et blessures ainsi que des maladies de leurs travailleurs dues aux produits chimiques et leurs effets sur la nature que les intervenants du film ont décidé de se tourner vers l’agriculture biologique [19].
Initiatives de résistance
En plus de ces exemples mondiaux d’agriculteurs qui en reviennent avec succès à l’agriculture traditionnelle, le film passe également en revue des initiatives de résistance face à cette confiscation du vivant en France, en Inde, au Brésil, …
Le film revient d’abord sur certains épisodes de la révolte des Sans Terre au Brésil [20] et sur l’époque très violente des actions d’occupation des terres qui s’est soldée par de nombreuses arrestations et cas de torture. Le Mouvement sans terre n’utilise pas de produits chimiques et se bat principalement pour la démocratisation de l’accès à la terre et la production d’aliments.
Coline Serreau présente également plusieurs initiatives de distribution gratuite et échange de semences (issues de l’agriculture biologique et paysanne) de par le monde. En Inde, Vandana Shiva [21], lauréate du prix Nobel alternatif de la paix [22], a créé Navdanya [23], un réseau de gardiennes de semences qui englobe, notamment, 400 variétés de riz [24]. Ces semences sont distribuées gratuitement ; ensuite, à la récolte, soit l’agriculteur les rend, soit il les distribue à d’autres. L’association française Kokopelli [25] est également active dans la distribution gratuite de semences en Inde et possède des antennes dans nombre de régions du monde [26]. En France, également, un conservatoire de graines anciennes a été créé par Philippe Desbrosses [27] qui est également à la tête d’un Centre pilote en agriculture biologique de la ferme de Sainte-Marthe.
A côté de cela, Vandana Shiva a ouvert des « universités des grands-mères » pour conserver les connaissances agricoles de cette génération de femmes, la dernière à posséder ce savoir car, à cette époque, en Inde, les femmes s’occupaient de conserver les semences et de les reproduire.
Toutes ces initiatives s’attachent à rendre leur autonomie aux agriculteurs ainsi qu’à la sécurité alimentaire durable de la population, sécurité qui passe par le respect de la santé des agriculteurs et des consommateurs ainsi que de la terre et de l’environnement.
Perspectives futures [28]
Le consommateur a un rôle à jouer pour garantir sa sécurité alimentaire sur le long terme. En soutenant les initiatives de résistance à l’agriculture industrielle et à la confiscation du vivant. Francisco Whitaker, fondateur du forum social, insiste sur le pouvoir du consommateur qui peut s’exprimer de façon claire et nette par la voie du boycott. Il surestime peut-être ce pouvoir lorsqu’il affirme avec force que « le consommateur, c’est le patron » car, malheureusement, ces actions de boycott supposent, entre autres, une bonne information préalable ainsi qu’un pouvoir d’achat qui les permette.
Le message de ce film est cependant loin d’être utopique. Dans une déclaration récente [29], la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) a elle-même reconnu que l’agriculture biologique est capable de nourrir tous les habitants de la planète en affirmant que « ces modèles suggèrent que l’agriculture biologique a le potentiel de satisfaire la demande alimentaire mondiale, tout comme l’agriculture conventionnelle d’aujourd’hui, mais avec un impact mineur sur l’environnement » [30].
Revenir à une empreinte écologique soutenable consiste à « revenir aux années 60, pas à l’âge de la pierre » [31]. Il suffirait de supprimer les délocalisations et de conserver toutes les étapes de la production [32] au niveau local.
Enfin, il serait également temps de revoir les notions actuelles de croissance et de rentabilité. La croissance est décortiquée de manière édifiante dans le film. Comme l’explique Devinder Sharma [33], plus on pollue, plus le PIB augmente (étant donné les échanges d’argent que cela induit). Est-il raisonnable de se baser sur un tel indicateur ?
Eponine Cynidès
Pour plus d’informations sur le film et sur ses intervenants : http://www.solutionslocales-lefilm.com/accueil