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Violence légale

Reprises de l’été : Editorial n°1

dimanche 25 juillet 2010, par Gérard Craan (Date de rédaction antérieure : 15 octobre 2009).

[*Edito paru le 15 octobre 2009 dans le "Numéro 1" du JIM*]

Sitôt le mot violence lâché, des images très concrètes nous viennent à l’esprit : celles des conflits armés bien sûr ; mais aussi les émeutekes [1] à Molenbeek, ce double meurtre vraisemblablement commis par un jeune de 19 ans en IPPJ ou le spectre d’un islamisme radical en Europe.

Pourtant, une autre violence existe. Comme le décrit Christine Oisel, la violence tue et est tue. Mais nous n’y pensons pas spontanément : de la violence sociale qui explique les émeutes ; de la violence économique qui pousse des travailleurs à s’attaquer à leur patron ou à se suicider. Nous n’y pensons pas parce que cette violence est banalisée, admise, intégrée. Mais également parce qu’y répondre est jugé illégal (discréditant ainsi ses auteurs) et génère automatiquement une réaction étatique et donc légale.



La violence légale, c’est le thème de ce numéro 1.


Dans le cadre économique et social particulièrement assassin dans lequel nous nous débattons, l’Etat et les intérêts qu’il représente organise, méthodiquement, la répression de toute contestation, de la plus humble, de la plus pacifique, à la plus organisée et engagée.

La plus humble des mobilisations sociales parce que le simple fait de chercher un refuge n’est plus toléré et que les êtres humains qui demandent des papiers se voient dénier le droit d’exister : pas de logement, pas de revenus, pas de travail, pas de sécurité, pas de vie de famille. Violemment poursuivis par la police dans les rues de Bruxelles (lire l’article de Cédric et celui de Gérard Craan), le droit-même de revendiquer leur est désormais refusé sous prétexte d’une fausse régularisation.

La plus pacifique et innocente des contestations qui soient, quand des altermondialistes organisent une sage manifestation dans le but de contrarier le bon déroulement d’un sommet européen des ministres des finances. Ils s’apercevront un peu plus tard que la police les a mis sur écoute sur demande du parquet et qu’ils sont poursuivis par la justice. Didier, victime directe d’un acharnement juridique nous fait part de son parcours kafkaïen du combattant.

Répression de la plus engagée des résistances, aussi, lorsque sont créées des lois "antiterroristes". Au nom de la lutte contre le terrorisme, les libertés fondamentales sont bafouées. Tandis qu’un discours s’acharne à nous démontrer que seul Oussama Ben Laden et ses fils spirituels pourraient tomber sous le coup de la loi et que même eux ont droit à un avocat, quiconque est en réalité passible de poursuites. Les notions volontairement floues de la loi permettent d’enrayer toute contestation sociale remettant en cause les fondements du capitalisme ou tout acte de résistance à un envahisseur [2]. La récente grève chez Tecteo, distributeur de gaz et d’internet dans la région liégeoise aurait par exemple pu mener à des poursuites judiciaires sur base de la loi sur les infractions terroristes. Il n’en a rien été, non pas parce que les poursuites étaient juridiquement impossibles, mais bien parce que la résistance syndicale ne permet pas (encore) d’amalgamer grévistes et terroristes. A travers un dossier de fond [3], Fiona Wallers démonte les mécanismes de ces lois liberticides.
D’où l’importance, aussi, de soutenir les luttes et d’œuvrer à la création d’un rapport de force global qui puisse penche un peu plus en notre faveur. C’est ce que nous faisons modestement par ce journal et par ses journalistes, qui, parallèlement à l’écriture, participent à la construction d’un futur libre, solidaire et émancipateur. Dans la rue, dans leur quartier, au travail. Et c’est également ce que font beaucoup d’autres dont Stéphane, interviewé par Christine Oisel, qui nous narre ses mobilisations anti-Otan et sa détermination.

La dernière touche à cette organisation de la violence légale consiste, bien entendu, à enfermer. Qu’il s’agisse d’actes déstructurés, comme ceux liés à la petite délinquance, ou de résistance politiquement organisée, Fifi Brindacier revient sur la seule voie possible que se sont choisi, et que s’obstinent à choisir, les institutions. La peine de prison demeure un moyen inefficace, mais on lui attribue de plus en plus de fonctions : contention, protection de la société, réinsertion, normalisation, réparation, réhabilitation, réadaptation. Faut-il dès lors redéfinir la prison ou songer à son abolition, écrit-elle ?

Si nos luttes pour la construction d’un avenir non-capitaliste, émancipé et solidaire ne sont pas toujours légales, elle n’en sont pas moins compréhensibles, excusables, justifiables. Et en fait, légitimes. Se battre contre un licenciement, pour un meilleur salaire ou simplement un job, lutter pour pouvoir vivre en Belgique, ou pour sortir définitivement du capitalisme et l’abattre, c’est non seulement légitime, mais également nécessaire.



Gérard, pour l’équipe de JIM


Notes

[1Pour reprendre les propos d’une criminologue à l’émission radio Face à l’Info le 21/09/2009

[2Sans partager les objectifs des islamistes, Irak et Afghanistan sont, quoi qu’on en dise, des pays envahis militairement par les puissances occidentales. Et dont la résistance des peuples passe par bien d’autres vecteurs que le fondamentalisme religieux

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