L’histoire nous montre qu’il aurait pu en être autrement. Dans son spectacle, Lepage a retracé le parcours torturé et la fin malheureuse de l’ « éducation populaire » en France, à travers un hommage à l’une de ses fondatrices, Christiane Faure. Enseignante, elle a fait partie du Gouvernement provisoire de la « France Libre » et, après la Libération du pays en 1944, elle intégra le Ministère de l’éducation nationale où une « direction de l’éducation populaire et des mouvements de jeunesse » est créée. C’est en effet dans la Résistance au nazisme que l’éducation populaire plonge ses racines avec des personnes qui, telle Christiane Faure, ont réfléchi en partant de ce constat fondamental, à la fois simple et terrible : « Les années 1930 en Allemagne et la collaboration en France ont démontré que l’on pouvait être parfaitement instruit et parfaitement nazi. » [3]
Pour Christiane Faure et ses collègues, la « culture », l’intelligence et l’instruction ne sont, en soi, aucunement un obstacle à la barbarie incarnée par le nazisme. Afin de contribuer à éviter toute répétition du cauchemar fasciste, il fallait donc radicalement (re)penser l’éducation politique des jeunes adultes afin de favoriser leur réflexion critique grâce aux moyens de la culture populaire. Comme le résume, en forçant le trait, Franck Lepage, pour les fondateurs de l’éducation populaire telle qu’elle fut conçue à l’origine ; « la démocratie ne tombe pas du ciel, c’est le fascisme qui est naturel ».
Ce questionnement est encore de nos jours fondamental car, comme on va le voir, le fascisme ne naît pas d’un néant culturel et n’est pas synonyme d’ignorance, de vide ou d’absence de toute « culture » (indépendamment de l’opinion ou de la « qualité » de cette dernière). Comme l’a magistralement analysé Lionel Richard dans son ouvrage « Le nazisme et la culture » [4], l’expérience historique de la période hitlérienne le démontre amplement.
Lorsqu’on évoque la culture et le nazisme, c’est sans doute la phrase « Quand j’entends le mot « culture », je sors mon révolver ! » (Attribuée à tort au dirigeant nazi Joseph Goebbels [5]), qui vient à l’esprit. Cette image frappante peut cependant induire partiellement en erreur. Si, d’une part, les nazis ont effectivement menés une guerre d’anéantissement culturelle (notamment de la culture ouvrière et juive), d’autre part, comme le souligne Jean-Michel Palmier, « On peut dire que peu de régimes se sont souciés autant de développer certaines formes d’art que le régime nazi » [6]. Mais il s’agissait bien entendu d’une vision instrumentaliste : la création culturelle ne pouvait exister qu’en tant qu’instrument politique au service de l’idéologie nazie.
Weimar : le dernier sursaut d’un monde qui va mourir
Le nazisme est né dans la République de Weimar, elle-même issue de la défaite de l’Allemagne en 1918 et d’une révolution ouvrière écrasée dans le sang. L’ Allemagne des années 1920 et 1930 est avant tout frappée plus que tout autre pays par une crise capitaliste mondiale sans précédent. La misère, la corruption politique, la décomposition des institutions bourgeoises et le chômage de masse laisseront leur empreinte profonde sur la vie culturelle et artistique de l’époque. Comme « le dernier sursaut d’un monde qui va mourir » [7], la République de Weimar sera également caractérisée par un foisonnement culturel extraordinaire.
Dans les arts plastiques, la littérature, la poésie et la philosophie, à côté du dadaïsme, du futurisme, du constructivisme - et en architecture, des débuts du Bauhaus [8] - le courant dit « expressionniste », né au tournant du siècle, jette ses dernières lueurs, parfois sublimes. Marqué par un profond pessimisme romantique et anticapitaliste, l’expressionnisme était avant tout une vision angoissée du monde capitaliste moderne et développa des thèmes tels que la révolte contre la guerre et le pacifisme, le déclin de l’humanité mais aussi la conscience de la nécessité d’un monde nouveau, utopique. Une aile gauche de ce mouvement se liera ainsi de plus en plus au mouvement ouvrier et de nombreux artistes adhéreront au Parti communiste allemand (KPD). Une aile droite, par contre, mais bien plus minoritaire, rejoindra quant à elle les nazis.
Les années 1920 et 1930 voient également le développement et la massification de nouvelles techniques et instruments ; l’automobile et l’aviation qui facilitent les communications et les transports, la photographie (explosion des magazines illustrés et naissance de la photographie et du photomontage en tant que formes artistiques), des récepteurs radio (qui devient le principal moyen d’information après la presse), ainsi que le triomphe du cinéma, désormais parlant. Malgré la crise, l’industrie cinématographique allemande était ainsi en pleine expansion ; des films comme « Métropolis », « M le Maudit » de Fritz Lang ou encore « L’Ange Bleu » de von Sternberg sont les symboles de cette époque. Weimar, enfin, c’est aussi l’apogée des théâtres, des cabarets et des spectacles de divertissement.
Culture prolétarienne
Héritage de l’hégémonie de la social-démocratie classique dans le mouvement ouvrier, il existait également à cette époque en Allemagne une solide tradition de culture ouvrière, une culture authentiquement prolétarienne en tant que forme de lutte élaborée par et pour les travailleurs. Il y avait une riche littérature ouvrière ; une longue tradition de chorales ouvrières et de chansons de luttes et révolutionnaires ; un « théâtre prolétarien » (fondé par Erwin Piscator) ; une photographie et des photomontages antifascistes (dont John Heartfield fut la figure emblématique) ; un début de « cinéma prolétarien » avec des documentaires, des courts et des longs métrages (l’immigré hongrois Bela Balazs jettera à cette époque les bases d’une « théorie marxiste du cinéma ») et même des cabarets et des spectacles de divertissements ouvriers.
Organisés par des petits collectifs, c’est dans la rue, dans les quartiers ouvriers, dans les usines, dans les tramways que cette culture ouvrière s’exprimait pour dénoncer l’exploitation et la misère. Dans un tel cadre, il n’est pas étonnant que le KPD utilisa pour son « agit-prop » (agitation et propagande) un très grand nombre de ces moyens artistiques et culturels. L’un des responsables de l’agit-prop du KPD, Willy Münzenberg, lança ainsi un hebdomadaire illustré « s’appuyant sur un vaste mouvement photographique ouvrier et vendu par un réseau spécial de colporteurs, distinct de tout circuit de distribution commercial. » [9]
L’impact de cette culture prolétarienne était tel que les nazis tenteront purement et simplement d’en détourner certaines expressions afin d’amadouer la classe ouvrière. Ils favoriseront ainsi une littérature qui exaltait l’usine et le travail manuel avec un vocabulaire socialisant. Mais l’exemple le plus caractéristique de ce détournement est celui des vieux chants ouvriers et révolutionnaires, dont les mélodies seront reprises, avec de nouvelles paroles, par les Jeunesses Hitlériennes et les Chemises brunes (S.A).
Mais à côté de ce foisonnement culturel et artistique d’avant-garde et de cette culture ouvrière que le nazisme se fera fort d’écraser ou de pervertir, l’Allemagne de Weimar portait également dans ses flancs une autre culture ; celle de la classe dominante bourgeoise, de l’aristocratie, des Junkers (grands propriétaires et officiers) prussiens et d’une petite-bourgeoisie ruinée et enragée par la crise. Cette culture était dominée par le nationalisme le plus réactionnaire ; par le sentiment de supériorité de la « race » et de tout ce qui était « authentiquement » allemand ; par le culte du respect de l’autorité, de la hiérarchie et de l’armée ; par une farouche volonté de domination impérialiste. C’est dans cette culture là, comme on le verra plus loin, que le nazisme allait largement puiser afin d’imposer son hégémonie culturelle.
La culture mise au pas de l’oie
Artiste médiocre et raté, Adolf Hitler se piquait, comme tous les despotes, d’avoir un sens esthétique aigu et sûr et c’est bien entendu lui qui va tracer l’orientation générale de la politique « culturelle » et « artistique » des nazis. Dans son livre-programme, « Mein Kampf », le ton était donné : « Il faut chasser du théâtre, des beaux-arts, de la littérature, du cinéma, de la presse, de la publicité, des vitrines, les productions d’un monde en putréfaction ; il faut mettre la production artistique au service d’un Etat et d’une idée de culture morale ».
Pour les nazis, les responsables de la « dégénérescence » de la « culture allemande » sont tout désignés : ce sont les Juifs, les marxistes, les « nègres » (le cubisme s’inspirait des arts africains) et le climat de « bolchevisme culturel » régnant à l’époque de Weimar.
L’objectif était donc double : « assainir » la production culturelle et l’absorber dans les structure d’un Etat totalitaire afin d’en faire un instrument de propagande pour inculquer les valeurs national-socialistes. L’artiste et tout « créateur culturel » doivent se soumettre à l’Etat car ce dernier est l’émanation et l’expression suprême de la communauté nationale et raciale.
Là aussi, comme sur bien d’autres choses, les nazis n’ont pas fait œuvre de pionniers puisque « La lutte contre ‘l’art de gauche’ en Allemagne avait commencé bien avant la montée des nazis au pouvoir. De nombreux artistes avaient été poursuivis ou l’objet de tracasseries policières et administratives » [10]
Le premier instrument utilisé par les nazis dans leur politique « culturelle » fut la création d’une « Ligue de combat pour la culture allemande », qui rassemblait des artistes, des écrivains et des académiciens nazis ou pro-nazis. Pendant son ascension, le parti nazi utilisera cet instrument pour mener essentiellement une lutte idéologique et politique intense sur le terrain culturel, mais aussi des campagnes de dénigrement, de harcèlement et de persécution physique des « ennemis de la culture allemande ». C’est d’ailleurs bien souvent à l’entrée ou à l’intérieur des théâtres, des cinémas ou des cabarets que les affrontements les plus violents ont lieu entre les hordes nazies et les antifascistes.
Tout va évidement basculer après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en janvier 1933. Et ce n’est nullement un hasard si la première institution officielle nazie à être mise en place est le tristement célèbre « Ministère pour l’Information du peuple et la Propagande », créé et dirigé dès le 13 mars 1933 par Joseph Goebbels. Dans un premier temps, la presse, la radio, le cinéma, le théâtre et leur censure vont dépendre de lui, tout comme d’autres domaines tels que la publicité touristique et commerciale, autrement dit tous les moyens permettant de modeler l’esprit des masses. La Ligue de combat pour la culture allemande deviendra bientôt la seule association permise et dépend de ce ministère.
Goebbels n’aura de cesse d’étendre son empire au détriment d’autres ministères ou secteurs officiels et son ministère englobera pratiquement toute la production culturelle. En septembre 1933, une Chambre de la Culture est constituée sous la tutelle du Ministère de la Propagande. Le 1er novembre 1933, une ordonnance stipule que l’adhésion à l’une de ses 7 chambres spécifiques (beaux-arts, presse, théâtre, cinéma, radio, littérature, musique) était obligatoire « pour tous ceux dont l’activité relevait de la production, de la reproduction de la distribution et de la conservation de biens culturels ».
L’épuration des artistes touchera d’abord les Juifs, les communistes, les sociaux-démocrates, puis tous ceux qui s’opposent aux conceptions de « l’Ordre Nouveau ». Ceux qui refusent de se plier n’ont plus d’autre choix que de se taire s’ils veulent éviter l’arrestation ou de s’exiler. Il faut noter qu’à côté d’authentiques résistants au nazisme, la majorité des artistes, des écrivains, des académiciens et des professionnels de la culture va collaborer – volontairement ou non, avec ou sans enthousiasme - à l’entreprise de domination culturelle du nazisme.
L’art comme propagande et la propagande comme art
Les nazis vont consacrer des moyens colossaux à leur politique culturelle : la radio, le cinéma, la littérature, la mode, les spectacles, le théâtre, les sports, la peinture, la sculpture, l’architecture, aucun domaine n’échappe à leur mainmise. Tout comme les loisirs par exemple. Créée le 17 novembre 1933, l’organisation « Kraft durch Freude » (« La Force par la Joie », tous les travailleurs étaient forcés de s’y affilier) avait pour but de « rendre accessible aux travailleurs tout le patrimoine artistique et culturel de la nation allemande » par l’organisation de leurs vacances et de leurs voyages, de visites collectives de musées, par l’organisation d’expositions et de conférences avec des écrivains. Ainsi, chaque Allemand avait le devoir de se « cultiver ».
Même la langue – et surtout la langue – sera un véhicule privilégié pour imposer l’idéologie nazie car, pour ces derniers, elle constitue « l’expression par excellence de la communauté raciale » [11]. Les linguistes nazis tenteront ainsi d’expurger de la langue allemande tous les mots étrangers. « Epurée, codifiée, la langue allemande est ainsi devenue sous le Troisième Reich un redoutable système de pression. Par la répétition constante d’un certain vocabulaire, elle a acquis la morphologie d’une appareil spécifique de domination » [12]
Régime totalitaire, le pouvoir nazi sur la culture fut forcément absolu. Instrument au service d’un Etat et d’une idéologie, la culture était ainsi ravalée au rang de propagande tandis que la propagande était présentée par Goebbels comme « une forme d’art »… [13]
« Là où l’on brûle les livres, on finira par brûler des hommes »
L’une des toutes premières opérations d’ampleur du Ministère de la Propagande de Goebbels fut l’organisation des sinistres autodafés de livres, conçus et organisés de manière méthodique afin de « frapper les esprits ». Le premier a lieu à Berlin le 10 mai 1933 et sera suivi par d’autres. Partout en Allemagne, des bûchers de livres sont ainsi dressés sous le slogan cynique « l’esprit allemand prend son essor ». Sur ordre du Ministère de la Propagande, « d’abord furent dressées des listes noires, travail qui dura presque trois semaines, par des employés compétents de l’administration des bibliothèques. Puis ces listes furent transmises à la Ligue de combat pour la culture allemande, qui les compléta. Définitives, elles furent alors communiquées aux associations d’étudiants de tous les établissements d’enseignement supérieur ». [14].
Ce sont ces associations d’étudiants qui étaient chargés de l’organisation pratique des cérémonies selon des rites et une mystique parfaitement huilée : entourés de tribunes et d’autels drapés de noirs, les autodafés avaient lieu la nuit qui, dans la symbolique nazie est un symbole du retour aux origines et la source d’un monde à naître. Le feu par lequel on détruit les livres symbolise bien entendu la « purification régénératrice » d’une « nouvelle vie ».
A peu près à la même période où se déroulent les premiers autodafés, les nazis ouvrent les premiers camps de concentration. Heinrich Heine, poète et écrivain romantique allemands du XIXe siècle, l’avait annoncé de manière prémonitoire : « Là où l’on brûle les livres, on finira par brûler des hommes ».
Existe-t-il une « culture nazie » ?
Pour le philosophe marxiste Norberto Bobbio ; « Une culture fasciste dans le double sens de culture faite par des fascistes déclarés ou à contenu fasciste n’a jamais réellement existé, ou du moins elle ne réussit jamais, en dépit de tous les efforts, à prendre forme dans une initiative ou dans des entreprises durables ou historiquement importantes » [15]
On ne peut parler en effet d’un art et d’une culture « nazis ». Dans les domaines culturels, artistiques et littéraires, les nazis n’ont strictement rien inventé ni créé de neuf. D’une part, par rapport à certaines expressions culturelles, ils ont tout bonnement mené une entreprise culturelle d’écrasement, d’anéantissement ou de détournement pervers - comme on l’a vu pour la culture prolétarienne. D’autre part, ils ont largement puisé dans un fonds culturel réactionnaire préexistant qu’ils ont développé et poussé jusqu’au paroxysme.
Parmi ce fonds culturel figure en tout premier lieu le principe de la supériorité allemande, ou de la prétendue « race aryenne ». En novembre 1933, un « éminent » professeur nazi du nom de Schultze-Naumburg définissait purement et simplement la culture comme l’expression de la race ; « Le fondement philosophique de toute culture repose sur les aptitudes morales et physiques particulières, sur la manière dont elles orientent la race qui est porteuse de cette culture. Une culture ne peut par conséquent avoir d’unité et, partant, être créatrice au sens propre que si le peuple est formé d’une race unique, ou du moins de races harmonieusement unies sous la direction d’une race unique. » [16].
Ce racisme, d’où découlaient l’antisémitisme nazi et le mythe de la « race supérieure », était particulièrement courant parmi les élites intellectuelles et dans la classe dominante bourgeoise et aristocratique car il fondait et justifiait idéologiquement leur volonté de domination impérialiste. Grande puissance arrivée trop tard pour le partage du monde (la France et l’Angleterre possédaient la majorité des colonies), le capitalisme allemand cherchait désespérément tout à la fois à écraser chez lui un mouvement ouvrier menaçant et, à l’extérieur, à trouver de nouveaux marchés et de nouveaux débouchés pour sa production ainsi que des sources de matières premières dont le pays était dépourvu.
Les autres caractéristiques de la « culture nazie » découlent directement ou partiellement (d’autres facteurs étaient également à l’œuvre) de cette détermination historique fondamentale : exaltation du militarisme, de la violence et de la guerre, négation de la lutte des classes, glorification des mythes, conception mystique de la langue, exaltation du sang et du sol, glorification des paysans, des héros, du parti, des chefs, mépris de la femme et glorification de son rôle de mère et d’épouse…
Ces « valeurs » furent inculqués pendant des décennies au peuple allemand avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Les nazis n’eurent qu’à se servir. Elles trouvèrent un écho et furent particulièrement répercutées et démultipliées par une petite-bourgeoisie - la principale base sociale du parti nazi - d’autant plus réceptive qu’elle cherchait des boucs émissaires pour sa déchéance provoquée par la crise du capitalisme.
Puisque le nationalisme réactionnaire et raciste est conservateur en politique, il l’est également dans le domaine culturel et artistique et privilégie toujours les formes esthétiques traditionnelles, léchées, ou le kitsch le plus vulgaire. Dans les beaux-arts, par exemple, « L’orientation donnée ouvertement par Hitler était celle du réalisme bourgeois ou du pompiérisme du XIXe siècle. Elle consistait à imiter servilement les formes du passé, selon un code académique. Tout innovation formelle, en effet, risquait de rompre l’homogénéité artificiellement recherchée dans une « culture » sur laquelle les Allemands devaient d’autant plus s’accorder qu’elle ne leur posait plus de questions et ne les incitait plus à réfléchir » [17].
Comme le souligne pour sa part Jean-Michel Palmier ; « L’art nazi sera toujours un néo-quelque chose. Aucune création originale, aucun style particulier si ce n’est cette brutalité et ce gigantisme qu’il donne à toutes les œuvres » [18]
Pour conclure
A l’heure où, aujourd’hui en Europe, l’extrême droite et des forces ouvertement néonazies comme en Grèce ont le vent en poupe à la faveur de la crise capitaliste, l’expérience historique du rapport entre la culture et le fascisme doit servir d’avertissement.
Un monde tel que le nôtre, saturé de « culture », d’information, de « créativité », de gens éduqués et instruits ne prémunit absolument pas contre le retour à la barbarie fasciste : « nous ne pouvons plus considérer d’un œil innocent la littérature, le langage, l’éducation, car nous n’ignorons plus désormais qu’on peut le soir lire Goethe ou Rilke, jouer du Bach ou du Schubert, et le lendemain reprendre sans faillir son horrible tâche dans un camp de concentration » [19].
C’est cela qu’avait parfaitement compris Christiane Faure et les fondateurs de l’éducation populaire en France et qui rend leur démarche si actuelle. Car la question clé n’est pas la quantité et la diffusion des connaissances, l’intelligence ou le niveau de culture (ou l’accès à la culture) atteint par une société, mais bien la capacité de les appréhender de manière critique, à partir d’une compréhension du monde et de ses antagonismes sociaux et, à partir de là, de chercher à agir sur eux de manière consciente en faveur de l’émancipation humaine.
Comme le résume bien Maria-Antonietta Macciochi : « Le fascisme ne correspond pas seulement à l’équation inculture – et caporalisme rustre – ou, pour mieux dire, il n’y correspond que lorsque, comme culture, il s’identifie à l’absence de l’esprit critique, à l’incapacité de saisir les contradictions du réel et de la dialectique ». [20]